Ex AI né eoAntonu Nie olat
G AVINE T,
L lu/ du ne ru is N codera .
Scient uira/n L Uterarum
e t Artium .
Vol.
.
LA TEINTURE.
M îr 'iv
•î 1 1
- m
ri o i. i 8 '
y
/
L’ART
D E
LA TEINTURE
DES LAINES,
E T
des Étoffes de laine,
EN GRAND ET PETIT TEINT.
Avec une Inftrudtion fur les Déboüillis.
Par M. Hellot } de VAcadétnie Royale des
Sciences 3 & de la Société Royale de Londres .
A PARIS,
f La Veuve Pissot, Libraire 3 Quay de
\ Conty, à la Croix d'Or.
Chez / Jean-Thomas Hekissant 3 rue S.
\ Jacques , à S. Paul & à S. Hilaire.
/PissoTj fils 3 Quay des Augullins ^ à
^ la Sagefîe.
M. DCC. L.
Avec Approbation & Privilège du Roy .
Digitized by the Internet Archive
in 2015
https://archive.org/details/lartdelateintureOOhell
PREFACE .
L y a peu d’Arts dune
auffi grande étendue que
celui de la Teinture. Tout
ce qui s’employe à l’habillement
des hommes j tout ce qui fert à
leurs emmeublemens , eft de fon
reflort , 6c n’a prefque de prix
qu’ autant quil en reçoit de cet
Art. Il n’eft pas néceflaire d’en-
trer dans un plus grand détail pour
en faire connoître futilité : on
l’apperçoit aifément , pour peu
qu’on y fafle réflexion. Mais ce
qui n’efl pas à beaucoup près auilî
connu , ce font les difficultés qui
l’accompagnent.
Une pratique de plufieurs an-
nées , un fens droit , de l’atten-
vj P R E' F A C S.
tion, fuffifent pour faire un ha-
bile Teinturier; mais cet habile
Teinturier ne fçaura que le tra-
vail des Laines , ou celui des
Soyes 5 ou quelqu’autre partie de
cet Art. C’eft beaucoup s’il fçait
à fond celle à laquelle il s’eft appli-
qué. Souvent même il ne travaille *
avec un fuecès confiant , que fur
un certain nombre de couleurs 5
qui ont quelque liaifon entr’elles ,
enforte qu’il ne fçait qu’imparfai-
tement la. pratique des autres.
La diftinction , judicieufe & né-
eeffaire , qu’on a faite dans les
Gouvernemens les mieux policés ,
de différens Corps de Teinturiers,
ou de différentes branches dans
le même Corps, pour les divers
genres de Teinture , empêche ce-
lui , qui travaille dans un de ces
Corps , de s’appliquer à ce qui fait
l’objet du travail, des autres. Il
peut réfulter un inconvénient de
PREFACE. vij
cette diftin&ion : elle rend les dé-
couvertes plus rares; mais il en
naîtroit de beaucoup plus grands
de la réiinion, & il feroit diffici-
le alors d’en découvrir la fource.
Un Phÿficien , qui veut pren-
dre quelque connoiffance de l’Art
de la Teinture , eft , pour ainfi
dire , effrayé par la multitude des
objets nouveaux que cet Art lui
préfente : il trouve à chaque pas
des obfcurités , fans pouvoir efpé-
rer aucun éclairciffement de la
part du commun des Ouvriers ,
qui ne fçait prefque jamais que
les faits , & qui , pour l’ordinaire ,
n’a que des mains &: fa routine.
Prefque toujours , la maniéré dont
il s’explique , le jargon auquel il
s’eft habitué , ne font que répan-
dre de nouvelles ténèbres, que
les circonftances bizarres , & fou-
vent inutiles , de fes procédés ,
rendent encore plus obfcures.
* iiij
vhj P R E’ F A C F.
Ceux , qui n’ont aucune idée
de cette matière , croiroient peut-
être trouver quelques éclaircifte-
mens dans les Livres qui en ont
traité ; mais il n’eft que trop cer-
tain qu’on n’y peut rien appren-
dre. Le Teinturier Parfait , dont
on a fait plufieurs Editions , & qui
a été réimprimé en dernier lieu
à la fuite des Secrets fur les Arts &
Métiers , n’eft qu’un aftemblage
monftrueux , de recettes impar-
faites , faufles ou décrites d’une
manière inintelligible. Les termes
de l’Art > les noms des Drogues y
font fou vent confondus , enforte
qu’il n’eft pas pofllble d'en tirer
aucune utilité. Je ne dirai rien
de plus fur ce Livre , ni fur l’Edi-
tion qu’on en a faite en Allemand
avec un titre féduifant. Il ne mé-
rite pas qu’on y falfe la moindre
attention. Je me ferois même dif-
penfé d’en parler y fi je n’avois pas
P R E' F A C E. ix
Craint quon me foupçonnât d’a-
voir profité de ce qu’il contient ,
fans vouloir le citer.
Je ne parlerai pas , à beaucoup
près de même , de l’Inftruétion Sc
des Réglemens fur la Teinture,
faits par ordre de M. Colbert.
C’eft , fans aucune comparaifon
ce que nous avons de meilleur far
cet Art. On y trouve toutes les
notions générales , aufli - bien
détaillées, que le peut permettre
un Ouvrage de peu d’étendue.
C’eft la bâfe du travail , dont on
trouvera les détails dans ce Trai-
té , & ce fera toujours un bon gui-
de pour les recherches qu’on vou-
dra faire dans la fuite. Néanmoins,
il y manque un grand nombre de
faits -, de plus , la manipulation des
procédés ne pouvoit y être décri-
te , & ne devoir pas l’être dans
un Réglement : arnfi cette Infini-
ftion n’eft utile qu’à ceux qui ont
X P R E' F A C F.
déjà acquis des connoifTance$
dans l’Art de la Teinture.
On trouve quelques recettes
dans le Canepanus de Atramentis >
dans le Plicfo , ou Arte Tmtoria >
petit Traité Italien fur la Teintu-
re des Soyes , dans Wecker y Mi -
xault &: autres Compilateurs de
Secrets ; elles font , à peu de cho-
fe près , dans le cas de celles du
! Teinturier Parfait.
On peut être affuré que j’ai exé-
cuté en petit , & qu’on a fait en
• grand, dans différentes Manufa-
ctures du Royaume , tout ce qui
eft enfeigné dans cet Ouvrage ,
qui n’eft pas écrit pour les Teintu-
riers habiles , mais pour ceux qui
cherchent à le devenir.
J’aurois fouhaité pouvoir donner
une idée des connoiffances qu’a-
voient les Anciens fur le fait de la
Teinture, mais j’avoue qu’après
avoir fait beaucoup d extraits , je
P R E' F A C E. x)
n’ai pu en former un tout qui fût
de quelque utilité. D'ailleurs, cette
érudition, n’étant pas mon objet
principal , & ne pouvant être efti-
mée que comme une curiofité Lit-
téraire , je n’ai pas crû devoir m’y
arrêter.
Je n’ofe me flatter d’avoir por-
té cet Ouvrage à fon dernier ter-
me de perfeftion : on fçait trop
bien que les Arts en acquiérent
tous les jours , & que celui-ci eft
dans ce cas, plus que tout autre.
Mais j’efpére qu’on me fçaura
quelque gré d’avoir tiré cette ma-
tière de l’obfcurité où elle étoit
enfevelie , & d’avoir mis les Phylî-
ciens , & même les T einturiers , en
état de faire des découvertes & de
perfeétionner un Art très-utile * &:
duquel il m’a parû qu’on n’avoit
que des notions fort conflues.
* * & * * * * * * * * * * * * * 'k * Vf * * * * * * A *
TABLE
DES CHAPITRES
Contenus dans ce Volume.
E la Teinture des Laines y &
desEtoJfes de Laine , page tj
CHAPITRE I.
Des vaijfeaux & inf rumens fervans
à la Teinture y 4
CHAPITRE IL
De la diftinttion du Grand& du Vêtit
T tint fur les Laines , z$
CHAPITRE III.
Des Couleurs du grand & bon T tint >
40,
TABLE. xïïj
CHAPITRE IV.
Du Bien , 48
CHAPITRE V.
De la Cuve de Pajlcl , 57
CHAPITRE VL
De la Cuve de Voue de f 116
CHAPITRE VIL
De la Cuve d’indigo , 1 Z3
CHAPITRE VII L
De la Cuve d’Inde à froid avec l’u-
rine 139,
Cuve chaude d’indigo à l’urine r
143.
C HA PI TR E IX.
Cuve d’Inde à froid fans urine , 155
x\v TABLE.
CHAPITRE X.
De la maniéré de teindre en bleu >
1 66.
CHAPITRE XI.
Du Rouge 9 Z41
CHAPITRE XII.
De l’Ecarlatte de Graine y ou Ecar-
latte de Venife y Z44
CHAPITRE XIII.
De rEcarlatte couleur de feu , zy6
CHAPITRE XIV.
DuCramoif, 341
CHAPITRE XV.
Del*Ecarlatte de Gomme- Lacque , 354
CHAPITRE XVI.
Du Coccus Polonicus, infecte colo-
rant, 364
TABLE. xv-
CH APITR E XVII.
Bu Rouge de Garence , 369
CHAPITRE XVIII.
Du Jaune y 397
CHAPITRE XIX.
Bu Fauve , 407
CHAPITRE XX.
Bu Noir , 413
CHAPITRE XXL
Bes couleurs que donne le mélange du
Bleu & du Rouge , 447
CHAPITRE X X I L
Bu mélange du Bleu du du Jaune â
45 5*
CHAPITRE XXIII.
Bu mélange du Bleu du du Fauve 3
4 ô 7-
XV) TABLE.
CHAPITRE XXIV.
2)^ mélange du Bleu & du Noir ,
468.
CHAPITRE XXY.
Du mélange du Rouge & du Jau-
ne y 470
CHAPITRE XXVI.
Du mélange du Rouge & du Fauve y
477 *
CHAPITRE XXVII.
Du mélange du Rouge & du Noir >
480.
CHAPITRE XXVIII.
Du mélange du Jaune & du Fauve >
482,.
CHAPITRE XXIX.
Du mélange du Jaune dr du Noif 9
484.
TABLE. xvîj
CHAPITRE XXX.
Du mélange du Fauve & du Noir >
485 .
CHAPITRE XXXI.
Des principaux mélanges des couleurs
primitives , prifes trois a trois 9
4 8 ^
CHAPITRE XXXII.
De la maniéré dont fe fondent en*
femble les laines de différentes cou-
leurs , pour les Draps ou Etoffes de
mélange, 500
CPI APITRE XXXIII.
De la maniéré de préparer Us Feutres
d’effai, 504
Du Petit Teint.
CHAPITRE I.
De la Teinture des Laines & Etoffes
de Laine en petit Teint > 5 1 1
xviij TABLE.
CHAPITRE IL
De la Teinture de Bourre , 51 6
CHAPITRE III.
De l’Orfeille , & de la maniéré de
l’employer, 541
CHAPITRE IV.
Du Bois d’Inde , ou de Campêche ,
j 64.
CHAPITRE V.
Du Bois de Brefil , 596
CHAPITRE VI.
Du Fuji et , 606
CHAPITRE VIL
Du Roucou , 6oy
CHAPITRE VIII.
De la Graine d’Avignon , 6 1 2
TABLE. xix
CHAPITRE IX.
De U T erra Mérita , ou Curcuma >
6l b
INSTRUCTION
Sur le Déboüilli des Laines > & Etof-
fes de Laine , 61 7
Fin de la Table des Chapitres.;
EXTRAIT des Regiff res de [Académie
Royale des Sciences .
Du vingt-deuxième Décembre 1742.
M Eflieurs D e Reaumur & l'Abbé
Nollet ayant examiné par ordre
de l'Académie un Manufcrit de M.
Hellot, qui a pour titre : V Art de la
Teinture des Lames , & Etoffes de
Laine , &c. 8c en ayant fait leur rap-
port , l'Académie a jugé que cet Ouvra-
ge étoit très-digne de l'impreffion, nora
feulement pour l'importance de fon ob-
jet , mais encore pour les nouveautés
qu' il contient , & pour la méthode avec
laquelle T Auteur Fa rédigé. En foi de
quoi j'ai ligné le préfent Certificat. A
Paris, ce 25. Janvier 1743.
Dortous de Mairanj
Secr.perp . de l'Acad . Royale des Sciences»
PRIVILEGE DU ROI.
L OUIS, par la grâce de Dieu, Roy
de France & de Navarre : A nos
amez & féaux Confeillers, les Gens te-
nans nos Cours de Parlement, Maîtres
des Requêtes ordinaireâde notre Hôtel,
Grand Confeil , Prévôt de Paris, Baii-
lifs , Sénéchaux , leurs Lieutenans Civils ,
& autres nos Julficiers, qu'il appartien-
dra, Salut. Notre Academie
Royale des Sciences, Nous a très-
humblement fait expofer , que depuis
qu'il Nous a plu lui donner , par un Ré-
glement nouveau , de nouvelles mar-
ques de notre affe&ion , Elle s'eft appli-
quée avec plus de foin à cultiver les
Sciences , qui font l'objet de les exerci-
ces*, enforte qu'outre les Ouvragesqu'-
Elle a déjà donnés au Public , Elle lèroi t
en état d'en produire encore d'autres ,
s’il Nous plaifoit lui accorder de nouvel-
les Lettres de Privilège , attendu que
celles que Nous lui avons accordées en
date du lïx Avril 169 3 , n’ayant point eu
de temps limité , ont été déclarées nul-
les par un Arrêt de notre Confeil d’Etat
du 13 Août 1704 , celles de 1713 8c
celles de 1717 étant auffi expirées *, 8c
délirant donner à notredite Académie
en corps 8c en particulier , 8c à chacun
de ceux qui la compofent, toutes les fa-
cilités 8c les moyens qui peuvent contri-
buer à rendre leurs travaux utiles au Pu-
blic , Nous avons permis 8c permettons
par ces Prélentes à notredite Académie,
de faire vendre ou débiter dans tous les
lieux de notre obéilfance 5 par tel Im-
primeur ou Libraire quelle voudra choi-
Îîr, un Livre intitulé : L Art de U Tein-
ture des Laines & Etoffes de Laine , en
Grand 8c Petit teint , 8c ce pendant le
temps 8c efpace de quinze années con-
fécutives , à compter du jour de la date
defdites Préfentes» Faifons défenies à
toutes fortes de perfonnes , de quelque
qualité 8c condition qu’elles foient , d’en
introduire d’imprelîion étrangère dans
aucun lieu de notre obéilfance : com-
me aulli à tous Imprimeurs - Libraires t
de autres , d’imprimer , faire imprimer ?
vendre , faire vendre , débiter ni con-
trefaire ledit Ouvrage ci-dellus fpécifié ,
en tout ni en partie , ni d’en faire aucuns
extraits , ifbus quelque prétexte que ce
foit , d’augmentation , correction , chan-
gement de titre , feuilles mêmes répa-
rées , ou autrement , fans la permiflion
exprefle 8c par écrit de notredite Aca-
démie , ou de ceux qui auront droit
d’Elle , 8c fes ayans caufe , à peine de
confifcation des Exemplaires contrefaits,
de dix mil livres d’amende contre cha-
cun des contrevenans , dont un tiers à
Nous , un tiers à l’Hôtel-Dieu de Paris ,
l’autre tiers au Dénonciateur , & de tous
dépens, dommages & intérêts : à la
charge que ces Prélèntes feront enregi-
llrées tout au long fur le Regiftre de la
Communauté des Imprimeurs 8c Librai-
res de Paris , dans trois mois de la date
d’icelles > que J’impreiïîon dudit Ouvra-
ge fera faite dans notre Royaume 8c non
ailleurs , 8c que notredite Académie le
conformera en tout aux Réglemens de
la Librairie , & notamment à celui du
dix Avril 1725 *, 8c qu’avant que de les
expofer en vente, le Manufcrit ou Im-
primé , qui aura fervi de copie à l’im-
preüion audit Ouvrage , fera remis dans
le même état , avec les Approbations 8c
Certificats qui en auront été donnés , ès
mains de notre très-cher & féal Cheva-
lier Garde des Sceaux de France, le Sieur
Chauvelin : & qu'il en fera enluite re-
mis deux Exemplaires de chacun dans
notre Bibliothèque publique , un dans
celle de notre Château du Louvre , 8ç
un dans celle de notre très-cher & féal
Chevalier Garde des Sceaux de Fran-
ce , le Sieur Chauvelin s le tout à peine
de nullité des Préfentes : du contenu
defquelles vous mandons & enjoignons
de faire jouir notcedite Académie, ou
ceux qui auront droit d'Elle , & fes ayans
caufes , pleinement & paisiblement , lans
fouffrir qu'il leur foit fait aucun trouble
ou empêchement. Voulons que la Co-
pie deldites Préfentes , qui lera impri-
mée tout au long au commencement ou
à la fin dudit Ouvrage , foit tenue* pour
duement fignifiée , & quà la Copie col-
lationnée par l'un de nos amés & féaux
Confeillers & Sécretaires > foy foit ajou-
tée comme à l'Original : Commandons
au premier notre Huiffier , ou Sergent ,
de faire pour l'exécution d'icelles , tous
adtes requis & néceflaires,fans demander
autre permiflion , & nonobftant clameur
de Haro , Charte Normande , & Lettres
à ce contraires : Car tel eft notre plaifir.
Donné à Fontainebleau le douzième Jour
du mois de Novembre, Tan de grâce mil
fept cent trente-quatre , & de notre Ré-
gné le vingtième. Par le Roy en Ton Con-
feil. Signé, SAIN SON.
Regi/lré fur le Regijlre FIII. de la Chambre
Royale Syndicale des Imprimeurs & Li-
braires de Paris 3 num. y 92. fol. 77 $. conformé-
ment auRéglement de 172 $. qui fait défenfes ,
Art. IF. à toutes perfonnes , de quelque qualité
& condition qu elles foient , autres que les Im-
primeurs & Libraires , de vendre , débiter , Ù 4
faire afficher aucuns Livres pour les vendre en
leurs noms . , foit qu’ils s’en difent les Auteurs
eu autrement ; àla charge de fournir les Exem-
plaires preferits par l’Art. CFI II. du même
Réglement. A Paris le $. Novembre 1 7^4.
G. Martin, Syndic,
cession-
J E foufligné , reconnois avoir cédé à M r *
Veuve Pi ffot & Jean-Thomas HerifTant,
Libraires à Paris , mon droit au prêtent Privi-
lège , pour un Ouvrage de ma compofition ,
intitulé : L’Art de la Teinture des Laines &
Etoffes de Laine , en Grand & Petit Teint,
{ >our en jouir en mon lieu & place , fuivant
es conventions faites entre Nous , le 10 Juin
1749. H E U Q T.
PART
L’ART
D E
LA TEINTURE.
€#***>**#*
De la Teinture des Laines > Ç>
des Etoffes de Laine .
Vant que d’entrer dans
le détail de la Teinture
des Laines > il faut donner
une idée des couleurs primiti-
ves , ou plutôt de celles qui por-
tent ce nom parmi les gens de
l’Art -, car on verra par la lefrure
du célébré Ouvrage de M. New-
ton , fur la lumière & les cou-
A
i L’Art
leurs , qu elles n’ont point de rap-
port avec celles que les Phyficiens
connoiffent fous ce nom ; mais
ce qui les a fait qualifier de la
forte par les Ouvriers , c’eft que
parla nature des ingrédiens dont
ces couleurs font compofées , el-
les font la bafe d’où dérivent tou-
tes les autres de quelque efpece
qu’elles foient. Cette divilion de
couleurs , &: l idée que je me pro-
pofe d’en donner, eft auffi com-
mune aux différais genres de
Teinture , comme à celle de la
Soye , du Fil , &c. ainfi je ne puis
me difpenfer de fuivre cet ordre,
qui eft pris du fond même de la
matière que je traite.
On compte cinq couleurs Pri-
mitives , qui font le bleu , le rouge ,
le jmne , le fauve , ou couleur de
racine , &c le noir. Chacune de ces
couleurs peut fournir un très-
grand nombre de nuances , de-
de la Teinture. j
puis la plus claire jufqua la plus
foncée } & de la combinaifon de
deux ou de plufîeurs de ces dif-
ferentes nuances , naiffent toutes
les couleurs qui font dans la na-
ture. Souvent on brunit, on éclair-
cit , on change très-confiderable-
ment les couleurs par des ingré-
diens non colorans , tels que font
les fels acides , les fels alcalis , les
fels neutres , la chaux , 1 urine ,
farfenic , f alun, & autres , & dans
la plupart des Teintures , on pré-
pare avec quelques-uns de ces in-
grédiens , qui par eux-mêmes ne
donnent point , ou ne donnent
que très-peu de couleur , les lai-
nes ou les étoffes de laine aue Ton
1
veut teindre. On conçoit aifé-
mcnt quelle prodigieufe variété
il doit réfulter du mélange de ces
differentes matières, ou même
de la maniéré de les employer ,
ôc quelle attention on doit avoir
A ij
4 L’Art pe la Teinture.
aux moindres circonftances pour
réülïîr parfaitement dans un Art
fi compliqué , & dans lequel il fe
renconrre tant de difficulté.
CHAPITRE I.
Des vaijfeaux dr inftrumens
je r vans à la Temture .
I L faut premièrement établir
un Atelier de Teinture dans
un endroit fpacieux , couyert ,
mais éclairé d’un beau jour , &
proche d’une eau courante , au-
tant qu’il fera poffible ; car elle
eft extrêmement neceflaire , foit
pour préparer les laines avant que
fie les teindre , foit pour les fai-
re dégorger après quelles font
teintes. Il faut auffi que l’Atelier
foit pavé avec .chaux &: ciment,
qu’on y ait ménagé des ruif»
Chapitre L f
féaux qui ayent affés de pente
pour lecoulemènt prompt & fa-
cile des eaux oc vieux bains de
teinture , qu’on y jette en grande
quantité.
On placera dans quelque en-
droit , diftant de huit ou dix pieds
des Chaudières , pour la plus
grande commodité , deux ou plu-
fieurs Cuves pour le bleu 5 fui-
vant la quantité d’ouvrage qu’on
préfume avoir à faire. Ces Cuves
s’appellent Guefdes ou Cuves de
Paftels c’eftle point de la tein-
ture le plus important : ôc ce qu’il
y a de plus difficile dans cet Art,
c’eft de bien affieoir & réchauffer
une cuve dePaftel, c’eft-à-dire ,
de la bien préparer &c gouver-
ner , jufqu’à ce quelle foit en état
de donner fa couleur bleue.
Ces fortes de Cuves font de
dix à douze pieds de diamètre,
& de fîx à fept de hauteur. El-
A iij
6 L’Art de la Teinture.
les font formées de douves ou
pièces de bois dé fix pouces de
largeur 5 6c de deux d’épaiftéur,
6c bien cerclées de fer de trois
pieds en trois pieds. Lorfqu’elles
font conftruites ? on les enfonce
dans la terre , en forte qu’elles
n’excedentque de trois pieds 6c
demi ou quatre pieds au plus ,
afin que l’Ouvrier puiflé manier
plus commodément les laines ou
étoffes qui font dedans ; ce qui fe
fait avec de petits crochets dou-
bles , emmanchés d’un bâton de
longueur convenable , félon le
diamètre de la Cuve. Le fond de
ces Cuves n’eft point de bois,
mais pavé avec chaux 6c ciment;
ce qui cependant n’eft aucune-
ment effentiel , 6c ne fe pratique
qu’à caufc de leur grandeur , 6c
parcequ’il feroit difficile qu’un
rond de bois d’une fi grande
étendue pût foutenir tout le poids
Chapitre I. 7
de ce que la Cuve doit contenir.
Quand on a de la laine ou de
1 étoffé à teindre en bleu dans
cette Cuve , que je fuppofe pré-
parée , comme il fera dit dans le
Chapitre IV. on place au- de dans
de cette Cuve un Cercle ou Cer-
ceau de fer > dont l'intérieur eft
garni dun rezeau de cordes , de
dont les mailles ont huit ou dix
lignes en quarré. Ce Cercle fe
nomme une Champagne , de cette
Champagne fert à empêcher que
les laines ou étoffes ne tombent
au fond de la Cuve , de 11e fe mê-
lent avec la pâtée ou le marc qui
y eft. O11 la foutient pour cet effet
à la hauteur que l’on veut , par le
moyen de trois ou quatre cordes
que l’on attache aux bords de la
Cuve.
On fe fert auffi pour pallier la
Cuve 3 c’eft-à-clire , pour la re-
muer ou brouiller le marc avec
8 L’Art de la Teinture.
ce qui eft liquide , d’un inftru-
ment de bois appelle un Râble.
C’eft une planche épaiffe , aron-
die en forme d’un demi cercle-,
&c emmanchée au bout d’un long
bâton. On fouléve avec ce rable
la pâtée du fond de la Cuve pour
la mêler dans le bain, &: l’on s’en
fort auiîî pour heurter la Cuve 3
c’eft-à-dire , pour pouffer bruf-
quement , avec force , la fur-
face du bain jufqu’au fond de la
Cuve , & par-là y introduire de
l’air , &: former des bulles , ou
une efpece d’écume, qui fert à
faire connoître l’état où eft la
Cuve , ainfi que je l’expliquerai
dans la fuite.
il y a aufli le Tranchoir , qui eft
une efpece de palette de boi3,
laquelle fert à mefurer la quan-
tité de chaux que l’on met dans
la Cuve ; je le décrirai en parlant
de la maniéré de poferlaCuve,
Chapitre I. 9
& je donnerai en même temps
l’explication des termes de l’Art,
à melure que je ferai obligé de
m’en fervir.
La grandeur que je viens d’in-
diquer pour les Cuves, n'a rien
de fixe : elle dépend du befoin
ou de la volonté. On a fait pofer
ou aiTeoir plulieurs fois avec fuc-
cès , une Cuve qui ne tcnoit
qu’un muid , & une autre dont la
capacité n etoit que de foixante
pintes y mais dans ce cas , il faut
l’entourer de fumier ou d’une
mafibnnerie , ou empêcher par
quelqu’ autre moyen qu’elle ne fe
refroidiife trop promptement y
car alors ces petites Cuves fc-
roi eut manquées.
On prépare une autre forte de
Cuve pour le Bleu , qu’on nom-
me Cuve d’ hde , parceque c’elt
ï Indigo feul qui lui donne fa cou-
leur. Les Teinturiers qui fe fer-
A y
io L’ApvT de la Teinture,
vent de la Cuve de Paftel , n’em-
ployent point ordinairement cel-
le d Indigo. Cependant comme
on fe fert pour la pofer d’un vaif-
feau particulier à cet ufage , il eft
à propos de le décrire.
Cette Cuve a pour l’ordinaire
cinq pieds de haut 3c deux de
diamètre dans fa partie fuperieu-
re 3 elle fe rétrécit par en bas ,
3c na plus vers le fond que huit
à dix pouces de large : on enterre
cette Cuve dun pied ou un
pied 3c demi , pour la commo-
dité du travail, 3c on bâtit au-
tour un mur cilindrique qui s’é-
lève jufqu au haut de la Cuve , 3c
fur lequel fes bords font foutenus.
On voit que ce mur étant verti-
cal , ou tout droit par dedans ,
&’par confequent cilindrique , 3c
la Cuve qu’il entoure étant en
forme de cône , il doit demeurer
un efpace vuide par en bas. Cet
Chapitre I. u
efpace fert à y mettre de la braife
de du charbon , pour entretenir
la Cuve dans un degré de cha-
leur convenable. On pratique
pour cet effet dans le bas une
petite porte ou ouverture pour y
palier le charbon , qu’on a loin
de pouffer tout autour de ia Cu-
ve , afin quelle fe chauffe le plus
egalement qu'il eit poiîible. Par
cette manière de pofer la Cuve ,
le feu fe trouve au-deffus de l’In-
digo , lequel fe précipite au fond,
quand on fa mis dans cette Cuve
de cuivre , de par coniequent il
ne fçauroit fc brûler de perdre fa
qualité, comme cela arrive roi t ,
fi le reu écoit immédiatement
fous le fond de la Cuve. On prend
la même précaution pour les Cu-
ves de Paftel à la Hollandoife ,
dont il fera parlé dans la fuite.
Il y a encore une attention à
avoir pour que le feu ne foit pas
n L'Art de la TeintüPvE,
trop promptement étouffé j c’cft
de placer un tuyau de fer ou de
grais , qui communique depuis
cette cavité où eft placé le char-
bon jufqu au-deffus de la Cuve.
Ce tuyau fera fcellé pour plus de
commodité le long de la murail-
le y contre laquelle la Cuve eft
appuyée pour l’ordinaire. On fe
fert pour remuer le bain de cette
Cuve d’un Rable^ mais plus petit
que celui qui fert à la Cuve de
Paftel : on peut aufli y mettre une
Champagne , mais cela n’eft pas
trop d ’ufage, parceqn’on n y teint
ordinairement que deséchevaux
de laine ou de foy e , qu’on ne lâ-
che point entièrement de crainte
de les broüiller , & qui par confé-
quent ne peuvent pas defcendre
allés bas dans la Cuve pour tou-
cher au marc ou à la pâtée du
fond, parcequ’ils n’ont pas allés
de longueur.
Chapitre I. 1 3
J’ai fait obferver ci-devant
qu’on peut affeoir une Cuve de
Paftel en petit. Il eft encore plus
aifé d’en pofer une d’indigo
d’auflï petit volume que l’on veut*
&; la forme du vaiffeau eft alors
de très-peu d’importance. J’en
ai préparé une de quatre pintes
dans une Cucurbite de cryftal,
&: une de chopine feulement dans
une petite Cucurbite. Je donne-
rai le détail des précautions né-
ceffaires pour y réüilîr, lorfque
;e parlerai de la Cuve d’indigo.
Outre ces Cuves, il eft nécef-
faire d’avoir plulîeurs Chaudiè-
res de différentes capacités; fui-
vant la quantité d’ouvrage qu’on
veut faire à la fois. On peut les
faire conftruire en cuivre rouge
ou en cuivre jaune , mais le cui-
vre rouge vaut mieux, parcequ’il
eft moins fujet à tacher , lorfque
la laine ou l’étoffe le touche , ou
î4 L’Art de la Teinture.
lorfqu’elle y féjourne quelque
temps.
Il eft bon auffi d’en avoir une
d 'étain fin pour l’écarlate , par-
ceque la laine filée , ou les étof-
fes, ne s’y tachent jamais 3 au
lieu qu’il eft à craindre que cela
n’arrive dans les Chaudières de
cuivre. Les Teinturiers qui fe
fervent de ces derniers pour tein-
dre en écarlate , ont la précau-
tion de mettre au-dedans un filet
de cordes ou un grand panier à
claire voye , d’ozier écorcé , pour
empêcher que l’étoffe n’appro-
che du cuivre , de ne le touche *
parceque le filet ou le panier
étant d’un plus petit diamètre
que la Chaudière , il y a par con-
féquent un efpace considérable
entre l’un de l’autre. Malgré tou-
tes ces précautions, il y a bien
des gens qui penfent que l’écar-
late n a pas autant d éclat de de
Chapitre I. if
vivacité, quand elle eft faite d ans
des Chaudières de cuivre, que
quand elle fort d une Chaudière
d’étain. C’eft de quoi je parlerai
dans le Chapitre de l'écarlate.
Toutes ces Chaudières feront
fcellées le plus qu’il eft poffible ,
à la même hauteur , & contiguës
les unes aux autres; enforte que
les plus profondes defeendent
plus bas que les autres , mais ne
foient pas plus élevées. Elles fe-
ront revêtues tout autour d’un
mur fait de tuilau & de terre à
four : l’extérieur feulement fera
enduit de plâtre pour plus de pro-
preté ; & afin qu’il ne fe dégrade
pas fi facilement, le defiiis du
contour de ce mur fera formé
par des jantes de roue , liées les
unes aux autres par des cram-
pons de fer. Les bords rabatus
de la Chaudière feront cloüés fur
ces jantes avec des clouxdecui-
\6 L’Art de la Teinture.
vre , & non de fer , pàrceque
ceux-ci feroieiit des taches aux
étoffes. Ces jantes fervent aufli
à empêcher que l’eau bouillante
qui fort quelquefois de la Chau-
dière, quand le feu de deffous
eft trop vif, n’entraîne rien de
mal propre avec elle en retoni*
bant dans la Chaudière. Onfcel-
lera par la même raifonune plan-
che de champ entre les Chau-
dières , afin que le bain de Tune
ne tombe pas dans celle d’à côté ,
lorfqu’on les fait travailler toutes
deux à la fois : mais cette pré-
caution fera inutile, quand on
aura un lieu affés vafte pour éta-
blir les Chaudières à une diftan-
ce un peu confidérable les unes
des autres.
On chauffe ces Chaudières
par-deffous , de ordinairement
pour plus de commodité , on en-
ferme fous un même manteau de
Chapitre I. 17
cheminée les foyers de toutes les
Chaudières, ainfi que les regif-
très qui font au-deffus pour don-
ner de l’a&ivité au feu, ces re-
giftres font des ouvertures plus
ou moins grandes , par où paflént
la fumée & une partie de la flam-
me : la grandeur de ces regiftres ,
celle du foyer, la chauife de la
Chaudière , c'eft-à-dire , la dif-
tance de fon fonds à l’âtre où
l’on fait le feu, font déterminées
par la grandeur des Chaudières $
mais le manteau de la cheminée
doit toujours couvrir toutes ces
ouvertures , &: venir jufqu’au bord
de la Chaudière , afin que la fil-
mée y entre toute entière , & qu’il
n’y en ait point dans l’endroit où
Ton travaille. On ne peut guères
donner un plan fixe de ces Chau-
dières & de leur établiflement
dans un Atelier , puifque cela dé-
pend de la plus ou moins grande
i8 L’àrt de la Teinture.
quantité d’ouvrages qu’on doit y
faire.
On perce dans le manteau de
la cheminée 3 ou dans le mur au-
deflus de chacune de ces Chau-
dières , des trous pour y placer
des perches grofîes comme le
bras ou environ, à la hauteur
d’environ cinq pieds <k demi.
Elles fervent à y mettre égouter
les échevaux de laine ou de foye,
ou les étoffes dont on n’a que de
petites parties à teindre , afin que
le bain retombe dans la Chau-
dière. On pafife pour cela des bâ-
tons dans tous les échevaux, &
on pofe ces bâtons fur les perches.
Lorfque ce font des étoffes
qu’on veut teindre , qu’on en a
des pièces entières , & même pla-
ceurs à la fois, on fe fert a un
tour. C’eft un axe de bois garni
d’une manivelle , ôc fur lequel
font attachés quatre petites pie-
Chapitre I. 19
ces de bois un peu larges &épaif-
fes, en forme d’aîles de moulin
à eau, qui feraient fort courtes.
On fait mouvoir ce tour avec îa
main , en pofant les deux extré-
mités de fon axe fur deux four-
chettes de fer, qui fe placent,
quand on veut, dans des trous
pratiqués à deffein fur les jantes
de bois qui foutiennent les bords
de la Chaudière * 6c pour s’en
fervir , on enveloppe fur ce tour
un bout de l’étoffe , ôc le faifant
tourner promptement , il fe char-
ge fucceflîvement de toutes les
parties de l’étoffe j on le tourne
enfuite à contrefens , on y met
l’autre bout de l’étoffe le pre-
mier, 6c continuant toujours de
la forte , l’étoffe fe trouve teinte
auffi également qu’il eft poifible.
Si la piece d’étoffe eft allés lon-
gue , ou fi l’on en a plufieurs à
teindre de la même couleur , on
zo L’Art de la Teinture.
coud enfemble les deux bouts *
enforte qu’elle forme un anneau -,
on paffe le tour au travers de eet
anneau, on le pofe enfuitefur les
fourchettes , & on le tourne com-
me on vient de le dire.
Si ce qu’on a à teindre eft de
la laine en toifon qui doive être
mife en couleur avant que d’être
filée , on aura une efpéce d’é-
chelle de bois fort large , de la
longueur du diamètre de la Chau-
dière , & dont les échelons foient
fort près les uns des autres. C’eft
fur cette échelle ou civiere ,pla-*
cée fur la Chaudière, que l’on
met la laine pour l’égouter , pour
l’éventer , ou pour la changer de
bain. Il eft inutile de dire com-
bien on doit avoir d’attention à
ce que cette échelle , les bâtons
dont on fe fert, le tour, ôcc.
foient bien lavés & bien propres.
Il en eft de même des Ghaudie-
Chapitre î. zt
res & de tous les inftrumens qui
fervent à la Teinture. Cn con-
çoit aifément que fans cela on fe-
roit des taches à tout moment ,
ou que même l’éclat de la tein-
ture feroir terni par le mélange
des différentes matières qui poud-
roient s’y rencontrer. On ne fçau-
roit trop recommander la pro-
preté dans toutes les opérations
de cet Art.
Je ne parlerai point des autres
vaille aux ou inftrumens qui fer-
vent à la Teinture , 6c qui font
connus de tout le monde , com-
me chaudrons, poêlons, féaux,
tonneaux , barils , étouffoirs pour
conferver la braife du foyer des
Chaudières , pelles , couvercles
de bois pour les Chaudières , cu-
viers , planches à fouler , mor-
tiers , vaifleaux de verre & de
grais pour les diflblutions métal-
liques , réchauds , fourgons pout
iz L'Art de la Teinture.
attifer le feu des Chaudières , &
plufieurs autres pareils utenciles
dont le befoin , quon en a , mon-
tre allés la çnaniere de s’en fer-
vir.
On doit avoir aulîî un cafîin
de cuivre pour enlever le bain
des Chaudières , quand il a fourni
toute fa teinture. C’eft une efpé-
ce de grande cuillère de cuivre ,
emmanchée de bois, qui tient
environ huit à dix pintes. On fe
fert , pour achever de vuider les
Chaudières, de febilles ou écuel-
les de bois , ôc pour les bien lieu*
toyer , d’un balai de jonc avec du
fablon, &c d’une éponge pour les
effuyer &: deifécher. Dans les
grands Ateliers , onfoude au fond
des Chaudières de grande capa-
cité , un tuyau de cuivre portant
en dehors un robinet que l’on
ouvre quand on veut en vuider
les bains. Ce tuyau fe décharge
Chapitre II.
clans un canal pratiqué fous le
pavé de l’Atelier , & ce canal a
l’on ilïixë jufqu’ à la riviere , près
de laquelle l’Atelier de Teinture
a été établi.
Voilà , à ce que je crois , toutes
les inltru&ions qui peuvent fe
donner fur les outils ou ucenciles
qui fervent à la Teinture en gé-
néral. S’il y en a quelqu’un dont
je n’ai pas parlé, je le ferai lorf*
qu’il y aura occalîon d’indiquer
fon ulage.
t£r tir C- Üh Ütr '<ls
CHAPITRE II.
De la diflinffion du Grand & du
Petit Teint fur les Laines .
I L y a deux maniérés de tein-
dre lesLaines de quelque cou-
leur que ce foit. L’une s’appelle
teindre en grand ô* bon teint s fau-
14 L’Art de la Teinture,
tre > teindre en petit ou faux teint .
La première confifte à employer
des drogues ou ingrédiens qui
rendent la couleur folide, en-
forte qu’elle réfifte à l’adion de
l’air , & quelle ne foit que diffi-
cilement tachée par les liqueurs
acres ou corrolives; les couleurs
de petit teint au contraire fe
paffent en très-peu de temps à
l’air j & fur-tout 11 on les expofe
au foleil , & la plupart des li^
queurs les tachent de façon qu’il
n’eft prefque jamais poffible de
leur rendre leur premier éclat.
On fera peut-être étonné qu’y
ayant un moyen de faire toutes
les couleurs en bon teint, l’on
permette de teindre en petit
teint; mais trois raifons font qu’il
eft difficile , pour ne pas dire im-
poffible, d’en abolir l’ufage. Pre-
mièrement , le trayail en eft beau-
coup plus facile : la plupart des
couleurs
Chapitre II. 2,5
couleurs 6c des nuances qui don-
nent le plus de peine dans le bon
teint, fe font avec une facilité
infinie en petit teint. Seconde-
ment, la plus grande partie des
couleurs de petit teint font plus
vives 6c plus brillantes que celles
de bon teint. En troifiéme lieu ,
6c cette raifon eft la plus forte de
toutes, le petit teint fe fait à
beaucoup meilleur marché que
le bon teint. Quand il ny auroit
que cette demie re raifon , on
jugera aifément que les Ouvriers
font tout ce qu’ils peuvent pour
fe fervir de ce genre de Teinture
préférablement à l’autre. C’eft
ce qui a déterminé le Gouver-
nement à faire des loix pour la
diftindion du grand 6c du petit
Teint.
Ces loix prefcrivent les fortes
de laines 6c d’étoffes qui doivent
être de bon teint , 6c celles qu’il
B
i6 L’Art de la Teinture.
eft permis de faire en petit teint.
C’elt la deftination des laines fi-
lées 6c le prix des étoffes qui dé-
cident de la qualité de la tein-
ture quelles doivent recevoir.
Les laines pour les canevas 6c les
tapifferies de haute 6c baffe liffe ,
6c les étoffes dont la valeur ex-
cède quarante fols l’aulne , en
blanc , doivent être de bon teint.
Les étoffes d’un plus bas prix,
ainfî que les laines groflieres def-
tinées à la fabrique des tapiffe-
ries, appellées Bergame 6c Point
de Hongrie , peuvent être en petit
teint. Tel étoit l’efprit du Ré-
glement de M. Colbert, 6c c’eft
fur le même principe qu’a été
fait celui de M. Orry , Control-
leur Général des Finances en
1733. On y a éclairci un grand
nombre de difficultés qui nui-
foient à l’exécution du premier,
ôc on y £& entré dans le détail
Chapitre IL 17
qui a été jugé né ce flaire pour
prévenir, ou au moins pour dé-
couvrir toutes les prévarications
qui pourraient fe commettre.
C’eft pour ces mêmes raifons
que les Teinturiers du grand 6c
bon teint font un Corps féparé
de ceux du petit teint, 6c quil
n’eft pas permis aux uns d’em-
ployer, ni même de tenir chés
eux les ingrédiens affeêtés aux
autres. Il y a dans le Royaume
une troifîéme Communauté , qui
eft celle des Teinturiers en foye,
laine 6c fil. Ceux-ci ont la per-
miffion de faire le grande le pe-
tit teint : mais cette Commu-
nauté forme trois branche s, dont
l’une eft pour la foye , la fécondé
pour la laine filée , 6c la troifîéme
pour le fil. Le Teinturier qui a
opté pour un de ces trois genres
de travail, ne peut faire que ce
qui eft permis à ceux de fa bran-.
L’Art de la Teinture.
che : ainfi , celui qui a opté pour
le travail des foyes , ne peut tein-
dre ni la laine filée ni le fil : il en
eft de même des autres. Le Tein-
turier de cette troifiéme Com-
munauté qui a choifi le travail
des laines filées, peut avoir chés
lui les inerédiens du grand &: du
petit teint j mais il ne lui eft pas
permis de faire ufage de ceux
affedés au petit teint, que furies
laines groftîeres dont j’ai parlé.
Telles font les fages précau-
tions qu’on a prifes , 6c qu’il étoit
nécelfaire de prendre, pour ar-
rêter les abus qui s’étoîent gliffés
dans un Art dont la perfedion
eft extrêmement importante au
bien 6c à l’avantage du com-
merce. On peut confulter les Rè-
glement mêmes , fi l’on veut avoir
un détail plus exad de tout ce
qui y eftpreferit pour le maintien
de l’ordre 6c de la police de ce£
Communautés,
Chapitre Iï. 29
Comme on n’a pu s affiner
exactement , ni par les informa'-*
rions prifes de différens Teintu-
riers , ni par la leCture des anciens .
Rcglemens , de ce qui caraCtéri-
foit précifément les couleurs de
bon teint & celles de petit teint *
il a fallu, pour y parvenir, prendre
le moyen le plus long, le plus
difficile , mais en même temps le
plus affine , ou pour mieux dire ,
le feul fur lequel on pouvoir com-
pter avec certitude. Feu M. Du-
fay, de l’Académie Royale- des
Sciences , que le Miniffere avoir
choifi pour travailler à la per-
fection de cet Art, a fait teindre
chés lui des laines de toutes les
couleurs , 6c avec tous les ingré-
diens qui font ulités dans la Tein-
ture , tant en grand qu’en petit
tein£. Il a même fait venir des
différentes Provinces ceux qui ne
font point en ufage à Paris. En-
30 L’Art de la Teinture.
fin 5 il a raflémblé la plus grande
partie des matières qu’il a foup-
çonné pouvoir être employées à
la Teinture , & il en a eiïayé un
très -grand nombre , fans avoir
égard aux préjugés des Teintu-
riers , fur les bonnes ou mauvaifes
qualités des unes ou des autres.
Il avoir commencé d’abord fes
épreuves fur des laines filées ;
mais il a trouvé plus de facilité
dans la fuite à fe fervir de mor-
ceaux de drap blanc, parcequ’il
étoit plus commode pour les ex-
périences qu’il avoit deffein de
faire.
Pour reconnoître enfuite cel-
les de toutes ces couleurs qui
étoient folides & celles qui ne
l’étoient point, 6c diliinguer par
conféquent celles de bon teint ,
de celles de petit teint, il a ex-
pofé au foleil &c à l’air pendant
douze jours des échantillons de
Chapitre IL 31
toutes ces couleurs , teintes chés
lui , &: dont il connoifloit la com-
pofition. Ce temps a paru fuffi-
îant pour les éprouver ; car les
bonnes couleurs ne font point ou
que très-peu endommagées , &
les faufîès font effacées en grande
partie; de forte qip après les dou-
ze jours d’expofition au foleil en
efté , & à l’humidité de l’air pen-
dant la nuit, il ne peut refier au-
cun doute fur la claffe dans la-
quelle chaque couleur doit être
rangée, lorfqu’elle a été éprou-
vée de la forte.
Néanmoins il reftoit encore
une difficulté , c’eft que n’ayant
pas expofé toutes ces couleurs à
l’air, précifément dans le même
temps ni dans la même faifon ,
les unes dévoient avoir eu plus
de foleil que les autres, & par
conféquent avoir beaucoup plus
perdu dans le même cfpace de
L’Art de la Teïntüri.
douze jours, que celles qui aü-
roient été expofées pendant un
temps fombre ou pendant dés
jours plus courts. Mais il a remé-
dié à cet inconvénient d’une ma-
niéré qui né laide plus aucune
difficulté ni aucun doute fur
l’exaétitude de l’épreuve 3 car il
a choifi une des plus mauvaifes
couleurs, c’eft-à-dire , une de
celles fur lefquelles le foleil avort
fait l’effet le plus fenlîbïe pen-
dant l’elpace de douze jours.
Cette couleur lui a fervi de piè-
ce de comparaifon dans tout le
cours de fes expériences , &: cha-
que fois qu’il a expofé à l’air des
échantillons , il y a joint un mor-
ceau de cette même étoffe. Ce
n’étoit plus alors le nombre des
jours auquel il avoit égard , c’é-
toit à la couleur que prenoit fon
échantillon de comparaifon, &il
le laiffoit expofé jufqu’à ce qu’il
Chapitre II. 33
eut autant perdu que celui qui
avoir été expofé pendant douze
jours d’efté. Comme il marquoit
toujours le jour auquel il expo-
foit les échantillons , il a eu oc-
cafion d’obferver que dans l’hy-
ver il fuffifoit de les laifler au
grand air quatre ou cinq jours de
plus, pour perdre autant qu’ils
auraient fait en efté. En fuivant
cette méthode , il ne lui eft refté
aucun fcrupuie fur la certitude
de fes expériences.
Cette épreuve , par l’expofi-
tion à l’air & aux ratons du fo-
leil, avoir encore un autre objet;
c’etoit de trouver les déboüillis
convenables à chaque couleur.
On appelle Débomüi ou Debout y
l’épreuve qui fe fait pour con-
noître fi une étoffe eft de bon
teint ou non. On en fait boüiilir
un échantillon dans de l’alun , du
tartre , du favon , du vinaigre*, du
B y
34 L’Art de la Teinture.
citron , &c. &: par l’effet que font
ces drogues fur la couleur, on
juge quelle étoit fa qualité. Les
Déboüillis pratiqués jufqu’en
1733 étoient li infufhfans , qu’ils
n’ont pu fervir à M. Dufay d’in-
dication pour en trouver déplus
fïirs. Il y avoir même de bonnes
couleurs qu’ils emportaient, fans
endommager que très -peu les
mauvaifes ; enforte qu’il a été
obligé d’en fixer plufieurs , dont
chacun fert à un très-grand nom-
bre de couleurs^ c’eft ce qu’on
verra à la fin de ce Traité : mais
voici en peu de mots la régie
qu’il a fuivie pour les trouver.
Après avoir vû l’effet de l’air
fur chaque couleur bonne ou
mauvaife , il éprouvoit fur la mê-
me étoffe différentes efpéces de
déboüillis , & il s’arrêtait à celui
qui faifoit fur cette couleur le
même effet que l’air avoir pro-
Chapitre IL 3j
duit : marquant enfuite le poids
des drogues, la quantité de l’eau,
la durée de l’épreuve, il étoitfûr
de produire fur cette couleur un
effet pareil à celui que l’air de-
voir y faire } fuppofé quelle eut
été teinte de la même maniéré
que l’avoir été la Tienne , c’eft-à-
dire , félon la méthode des Tein-
turiers du grand ou du petit teint.
Parcourant de la forte toutes les
couleurs & tous les ingrédiens
qui entrent dans la Teinture, il
trouvoit un moyen , qu’on peut
regarder comme fur , de connoî-
tre la bonne ou mauvaife qualité
de chaque couleur , en faifant par
le déboiiilli une elpéce d’analyfe
de ce qui étoit entré dans fa corn-
polîtion. On ne peut fe dilpenfer *
fans injuftice , d’avoiier que les
moyens qui ont conduit M. Du-
fay à la découverte de ces dé-
bouillis, ou épreuves des couleurs*
Obferva*
tior.s fur
les Dé-
boüillis.
3 6 L’Art de la Teinture.
ne foient très - ingénieufement
O #
imaginés , parceque l’épreuve ,
par l’air & le foleil , ne peut être
mife en ufage dans les cas où il
faut juger fur le champ fi une
étoffe , expofée en vente dans une
Foire ou ailleurs ., eft de bon teint,
au cas que fon prix l’exige.
Les déboiiiliis de la nouvelle in-
ftruétion publiée fur les Mémoi-
res de M. Dufay , lui font perdre
en peu de minutes, lorfqu’elle eft
de faux teint , tout ce qu’elle per-
droit étant expofée pendant dou-
ze ou quinze jours à l’air. Mais
comme des régies générales, pour
de femblables épreuves , doivent
être fujettes à bien des excep-
tions , ou qu’on n’a pû prévoir , ou
qui ayant été prévûés, n’ont pû
être détaillées, fans courir le rif*
que de faire naître de la confu-
fîon, ou des fujets de contefta-
tions fans nombre 3 il s’enfuit que
Chapitre II. 37
ces régies, données peut-être
conlme trop générales , font aufiî
trop rigoureufes dans plufieurs
cas, où des couleurs claires de-
mandent des fels ou des dofesde
fels moins aftives que des cou-
leurs bien chargées , qui peuvent
perdre une quantité eonfidé râ-
ble de leurs ingrédiens colorans
dans la liqueur agiiTante d’un dé^
boüilli quelconque , fans qu’on y
apperçoive de changemens fort
fenfibles. Il auroit donc fallu prefe
crire un déboüilli prefque pour
chaque nuance ; ce qui étoit im-
poffible , vuleurs variétés infinies;
Ainfi l’air &: le foie il feront tou-
jours la véritable épreuve j & tou-
te couleur qui 11’y recevra point
d’altération pendant un certain
temps, ou qui y acquierera ce que
les Teinturiers appellent du fond,
doit être réputée de bon teint ,
quand menue elle changerait
$8 L’Art de la Teinture.
beaucoup aux déboüillisprefcrits
par la nouvelle inftrudion. L’é-
carlate en eft un exemple : com-
me le favon emporte prefque en-
tièrement cette couleur, on la
foumife à l’épreuve de l’alun } &
quand elle eft faite avec la co-
chenille feule , fans autre mélan-
ge d’ingrédient colorant , elle
doit prendre r dans une diffolu-
tion d’alun boiiillante , une cou-
leur pourpre : cependant, fi l’on
expofe de l’écarlate aufoleil , elle
y perd une partie de fon vif, &:
elle devient plus foncée ; mais
cette nuance foncée n’eft pas
celle que l’alun lui donne. Ainfi
les déboüillis, dans certains cas,
ne peuvent pas être fubftitués à
l’adion de l’air &dufoleil, au
moins quant à la parité de l’effet.
J’ai fait avec le bois de Fer-
nambouc , qui comme prefque
tous les autres bois chargés de^
Chapitre IL j$>
couleur , eft de faux teint, un rou-
ge beaucoup plus beau que les
rouges de garence, & auffi vif que
les rouges faits avec la graine de
Kermès j ce rouge , au moyen de
fa préparation particulière , dont
il fera parlé en ion lieu , a demeu-
ré expofé à l’air pendant les deux
derniers mois de 1 740 , qui , com-
me on fçait , ont été fort pluvieux?
&: pendant les deux premiers de
1741 : malgré la pluie & le mau-
vais temps, il a réfifté} & bien
loin de perdre, il a acquis du
fond. Cependant ce même rou-
ge fi folide à l’air 11e réfîfte pas à
l’épreuve du tartre. Seroit-il jufte
de le profcrire , parceque ce fel
le détruit , & les étoffes , que nous
employons à nos habillemens ,
font-elles deftinées à être boüil-
lies avec le tartre, avec l’alun,
avec le favon? Je ne prétends
pas cependant défapprouver les
4o L’Art de la Teinture.
épreuves par les déboitillis, elles
font utiles , parcequ’ elles font
promptes } mais il y a des cas où
elles ne doivent pas fervir de ré-
gies pour prononcer une confif-
cation, fur-tout quand elles ne
feront pas connoître qu’une cou-
leur qui a du être faite avec des
drogues de bon teint , fa été avec
les ingrédiens du petit teint.
Après avoir donné les notions
préliminaires fur la diftindion du
grand & du petit teint, il con-
vient de donner la pratique des
couleurs de l’une &■ de l’autre
clafle.
CHAPITRE III.
Des Couleurs du grand & hon T 'tint.
O N appelle , comme je l’ai
déjà dit , Toutes les couleurs,
folides ? couleurs de grmd & bo&
Chapitre III. 4 r
teint ; & les autres , couleurs de -pe-
tit teint , ou de faux teint. Quel-
quefois on nomme les premiè-
res, couleurs fines , &: les autres*,
couleurs fauffes : mais cette expref-
fion peut être fujette à équivo-
que ; car on confond quelquefois
les couleurs fines avec les cou-
leurs hautes, qui font celles où
entre la cochenille, & dont le
prix eft plus confidérable que
celui des autres. Ainlî pour évi-
ter toute ohfcurite, Rappellerai
les premières , bonnes couleurs , ou
couleurs du grand de 1 bon teint j &
les autres , couleurs faujfes , ou cou-
leurs du petit teint.
Les expériences , qui font un Théorie
très -bon guide dans la Phyfique ,
ainfi que dans les Arts , m’ont
démontré que la différence des
couleurs , félon la diffindion pré-
cédente, dépend en partie de la
préparation du fujet qu’on veut
L'Art de la Teinture.
teindre , & en partie du choix
des matières colorantes qu’on
employé enfuite pour lui donner
telle ou telle couleur. Ainfi je
crois qu'on peut dire comme un
principe général de l’Art dont je
traite , que toute la mécanique
invifîble de la Teinture confifte
à dilater les pores du corps à
teindre , à y dépofer des particu-
les d une matière étrangère & à
les y retenir par une efpece d’en-
duit que ni l’eau de la pluie ni
les raïons du foleil ne puiflent
altérer j à choilîr les particules
colorantes d’une telle ténuité ,
qu’elles puiflent être retenues 5
fuffifamment enchaflées dans les
pores du fujet , ouverts par la
chaleur de l’eau boüillante , puis
refferrés par le froid, &: de plus,
enduits de l’elpece de maftic que
Iaident dans ces mêmes pores les
fels choifis pour les préparer.D’où
Chapitre III. 43;
il fuit que les pores des fibres de
la laine dont on a fabriqué , ou
dont on doit fabriquer des étof-
fes, doivent être nettoyés,aggran-
dis , enduits , puis refferrés, pour
que l’atome colorant y foit rete-
nu à peu près comme un diamant
dans le chaton d’une bague.
Les expériences m’ont fait
connoître auflî , qu’il n’y a point
d’ingrédient colorant de la clafie
du bon teint , qui n’ait une fa-
culté aftringente &c précipitante *
plus ou moins grande ; que cela
fuffit pour féparer la terre de l’a-
lun , l’un des fels qu’on employé
dans la préparation de la laine
avant que de la teindre 3 que cette
terre unie aux atomes colorans
forme une elpéce de lacque fem-
blable à celle des Peintres , mais
infiniment plus fine ; que dans les
couleurs vives , telles que l’écar-
late, où l’on ne peut employer
44 L’Art de la Teinture.
l’alun , il faut fubftituer à fa ter-
re , qui eft toujours blanche ,
quand l’alun eft bien choifi , un
autre corps qui fourni lié à ces
atomes colorans une bafe aufti
blanche ; que l’étain pur donne
cette bafe dans la teinture en
écarlate > que lorfque tous cCs
petits atomes de lacque 7 terreufe
colorée fe font introduits dans
les pores dilatés dufujet, fenduit
que le tartre ( autre fel fervant à
fa préparation ) y a laiffe , fert à
y maftiquer ces atomes , & qu’en-
fin le refterrement des pores , oc-
cafionné par le froid >• fert à les
y retenir.
Peut-être que les couleurs de
faux teint n’ont ce défaut que par-
eequon ne prépare pas fuffifam-
ment 1er fujet ; enforte que les par-
ticules colorantes n’étant que dé-
pofées fur fa furface lifté , ou dans
des pores dont la capacité n’eft
Chapitre III. 4$
pas fuffifante pour les recevoir ,
il eft impoiTible que le moindre
choc ne les en détache. Si l’on
trouvoit le moyen de donner aux
parties colorantes des bois de
.teinture l’aftriftion qui leur man-
que , & qu’en même temps on
préparât la laine à les recevoir ,
comme on la prépare par exem-
ple à recevoir le rouge de la ga-
rence, je fuis déjà alluré par une
trentaine d expériences , qu’on
parviendrait à rendre ces bois
aulh utiles aux Teinturiers du
bon teint , qu’ils l’ont été jufqu’à
préfent aux Teinturiers du petit
teint.
Les régies précédentes auront
leur application dans d’autres
Chapitres de ce Traité , où je ne
manquerai pas de faire obferver
ce qui m’a déterminé à les em-
ployer comme principes gênés
4^ U Art de la Teinture.
Les couleurs connues par les
Teinturiers fous le nom de cou-
leurs frimitives , font au nombre
de cinq j fçavoir , le bleu > le rou-
ge y le jaune , le fauve ou couleur
de racine , <5c le noir . Je ne don-
nerai point ici un détail ennuieux
&: prefque inutile de tous les in-
grédiens qui doivent être em-
ployés dans ces couleurs pour le
bon teint, non plus que de ceux
.qui ne font permis que dans le
petit teint , ou de ceux qui font
défendus dans l’un & dans l’au-
tre, à caufe de leur mauvaife
qualité de ronger, de durcir &:
de dégrader les laines. Ces in-
grédibns ne font point encore
connus du Le&eur, & il fera plus
à propos de n’en parler qu’à me-
fure que je traiterai des couleurs
en particulier, dans la compofi-
tion defquelles ils peuvent entrer.
.Ceux qui voudroient voir le ça-
. Chapitre III. 4^
talogue de tous ces ingrédiens
réünis fous le même coup d’œil,
&: rangés chacun dans leur clafle
par rapport à leur bonne ou mau-
vaife qualité , n’auront qu’à con-
fulter le réglement , où ils les trou-
veront dans l’ordre qu’ils délir
rent.
Je vais examiner de fuite les
cinq couleurs primitives dont je
viens de parler, & je donnerai
les différens moyens de les pré-
parer d’une maniéré folide & du-
rable, c’eft-à-di re, conformément
à ce qui eft prefcritparlesrégle-
mens aux Teinturiers du gran4
& bon teint.
4§ L’Art de la Teinture,
CHAPITRE IV.
Du Bleu .
L E bleu fe donne aux laines
ou étoffes de laine de toute
efpéce,fans qu’il foit befoin de
leur faire d’autre préparation ,
que de les bien moüiller dans
l’eau commune tiède , & de les
exprimer enfuite ou les laiffer
égoûter. Cette précaution eft né-
ceffaire , afin que la couleur s’in-
troduire plus facilement dans le
corps de la laine , &: quelle fe
trouve par-tout également fon-
dée : & il eft néceftaire de le faire
pour toutes les couleurs , de quel-
que efpéce quelles foient, tant
fur les laines filées que fur les
étoffes de laine,
A l’égard des laines en toifon
fpi fervent à la fabrique des
draps.
Chapitre IV. 49
draps , tant de mélange que d’au-
tre forte , ôc que pour cette rai-
fon on eft obligé de teindre avant
quelles foient filées, il y aune
autre préparation à leur faire ,
qui eft de les dégraiffer, c’eft-à-
dire , les dépoüiiier de la graille
naturelle quelles avoient fur le
corps de l’animal, &: qu’on ne
leur ôte que lorfqu’on fe difpofe
à les mettre à la teinture (.* ).
Comme cette opération eft du
reilort du Teinturier, & quelle
eft indifpenfable pour les laines ,
qui fe teignent avant que d’être
filées , en quelque couleur que ce
foit, je vais' donner la manière
de la faire. Elle n’eft pas abfolu-
ment la même par-tout, & il fe
peut trouyer quelque différence
dans la pratique : mais voici la
( * ) La graille naturelle adhérente à la laine *
fait qu'elle le conferve en magalin fans être atta-
quée des Tines qui la xongeiotent lï elle é toit
gtaiffée.
C
50 L’Art de la Teinture.
maniéré dont on s’y prend dans
la Manufa&ure d’Andely en Nor-
mandie, dont les draps font d’u-
ne très-belle fabrique.
d c D ia g îai S ^* ert ^ une Chaudière qui
ne. tient environ une vingtaine de
féaux : on y met douze féaux
d’eau quatre féaux d’urine , qui
eft ordinairement fermentée : on
chauffe la Chaudière, ôdorfque
le bain eft chaud à pouvoir feu-
lement y fbuffrir la main , on y
jette environ dix à douze livres
de laine en fuain , c^eft-à-dire,
de laine qui a encore fa grailfe
naturelle. On la lailfe environ un
quart d’heure dans la Chaudière,
en la remuant de temps en temp's
avec des bâtons : on la lève en-
fuite , & on la met égoûter un
moment fur une civiere. ( C’eft
cette efpéce d’échelle large , dont
j’ai parlé dans la defeription des
inftrumens fervant à la Teinture.)
Chapitre IV. jt
On la porte de -là dans une gran-
de corbeille quarrée , placée dans
une eau courante j &: deux hom-
mes l’y remuent long-temps avec
de grands bâtons ,fe la ramenant
à plufîeurs reprifes de l’un à l’au-
tre , jufqu’à ce que la graille ou
le fuain enfoit entièrement forti.
Cette graille trouble l’eau & la
rend laiteufe , tant qu’il en relie
dans la laine. Lorfque cette eau
celle de fe troubler, c’elt ligne
que la laine elt ailes dégraiilée \
on la retire alors , & on la met
égoûter dans un panier. Tandis
que la première mile de dix à
douze livres de laine ell dans la
corbeille , on en met une fécondé
quantité femblable dans la Chau-
dière, & l’on continue toujours
de la forte tant qu’on a de la laine
à dégrailfer. Si le bain de la Chau-
dière diminue trop , on y en re-
met de nouveau , compofé de
Cij
5'x L'Art de la Teinture.
même dune partie d'urine &: de
trois parties d’eau. On dégraiffe
ordinairement une balle de laine
tout de fuite. Si elle pefoit deux
cens cinquante , étant en fuain 3
elle diminue pour l’ordinaire de
foixante livres , &: elle ne pefe
plus que cent quatre-vingt-dix
livres étant dégraiflèe & féchée.
On conçoit aifément que cette
diminution peut beaucoup va-
rier , fuivant le plus ou le moins
de fuain qui étoit contenu dans
la laine , & fuivant qu’on la dé-
graifté avec plus ou moins d’exac-
titude. Mais on ne fçauroit trop
recommander de la bien dégrail-
fer , parcequ’elle en eft mieux dif-
pofée à prendre la teinture,
pourquoi Le fuain, qui eft une tranfpi-
graîfie d h ration graflè légèrement uri-
niac. neufe du mouton, retenue dans
£a toifon , trop épaiffe pour la
iaiifer échapper , eft indiifolublç
Chapitre I V. 53
àfeau ;par conféquent l’eau feule
ne pourroit fen détacher. On
ajoute dans la Chaudière une
quatrième partie durine , mais il
faut quelle ait été gardée quel-
ques jours, afin que ces fels vo-
latils foient développés par la fer-
mentation, c’eft- à-dire , qu’il eft
néceflaire que cette urine com-
mence à avoir une odeur forte.
Ce fel volatil étant un alcali , for-
me avec le fuain une forte defa-
von , parceque c’eft toujours ce
qui réfuite de l’union d’une ma-
tière huileufe avec un alcali quel-
conque. Dès l’inftant qu’un favon
eft formé par la combinaifon de
ces deux principes, il eft diflo-
luble à l’eau , de par conféquent
il eft aifément emporté par elle.
La preuve que dans cette opéra-
tion il s’eft fait un vrai favon,
c’eft que l’eau qui l’emporte blan-
chit, tant quelle en détache de
C iij
54 L'Art de la Teinture.
la laine. S’il y a eu alfés d’urine
fermentée dans la Chaudière
pour la quantité de fuain qui étoit
adhérent à la laine , elle fera bien
dégraiflee : s’il n’y en a pas eu
affés, tout le fuain n’aura pas pu
être converti en fa von , & la laine
demeurera gralfe. On pourroit
faire la même opération avec des
alcalis fixes , comme avec une
leiïive de potaffe ou de cendres
grayelées; mais outre que cette
leffive couteroit beaucoup plus
que Turine, il fetoit à craindre
que fi l’on n’en trouvoit pas la
jufle proportion , la laine n’en fut
altérée. Car j’ai reconnu par dif-
férentes épreuves que ces fortes
de fels cauftiques détruifent fort
aifément toutes les matières ani-
males , laine , poil de chèvre ,
foye , &c.
Je prie le Leéteur de fe fou-
venir que quoique dans la fuite
Chapitre IV. jj
je ne fa/fe plus mention de eette
opération du dégrais , elle eft
néanmoins néceffaire pour toutes
les laines que Ton met à la tein-
ture avant que d’être filées ; de
même qu’il faut toujours moüiller
celles qui font filées, & les étoffes
de toute efpéce , afin qu’elles
prennent la couleur plus égale-
ment.
Des cinq couleurs matrices ou
primitives dont j’ai parlé •> il y en
a deux qui ont befoin d une pré-
paration que l’on donne a^ec des
ingrédiens qui ne fourniffent au-
cune couleur , mais qui par leur
acidité & par la fineffe de leur
terre difpofent les pores de la
laine à recevoir la couleur. Cette
préparation s’appelle le Bouillon .
Il varie fuivant la nature & la
nuance des couleurs. Celles qui
en ont befoin font le rouge , le
jaune , &: les couleurs qui en dé-
C iiij
5 6 L'Art de la Teinture.
rivent. Le noir exige une prépa-
ration qui lui eft particulière. Le
bleu êc le fauve , ou couleur de
racine n en demandent aucune :
il fuîftt que la laine foit bien dé-
graiffée & moiiillée ; & même
pour le bleu , il n’y a pas d’autre
façon à y faire que de la plonger
dans la cuve , l’y bien remuer 6e
l’y laiffer plus ou moins long-
temps , fuivant que l’on veut la
couleur plus ou moins foncée.
Cette raifon , jointe à ce qu’il y
a beaucoup de couleurs, pour
lefquelles il eft néceflaire d’avoir
précédemment donné à la laine
une nuance de bleu, m’a déter-
miné à commencer par donner
fur cette couleur les régies les
plus précifes qu’il me fera poftl-
ble. Car s’il y a beaucoup de fa-
cilité à teindre la laine en bleu ,
lorfque la Cuve de bleu eft une
fois préparée^ il n’en eft pas de
Chapitre V. 57
même de la préparation de cette
Cuve , qui eit réellement l’opéra"
tion la plus difficile de tout l’Art
de la Teinture. Il ne s’agit dans
toutes les autres que d’exécuter
d’après des procédés fîmples
tranfmis des Maîtres à leurs Ap-
prentifs.
11 y a trois ingrédiens qui fer-
vent à teindre en bleuj fçavoir,
le paftel , le voue de de l’ indigo. Je
donnerai les préparations de cha-
cune de ces matières , de je com-
mence par la Cuve cle paftel.
4 * 4/ itr ttr 4 4- c-
4* 4" 4" 4* 4* w
CHAPITRE V.
De U Cuve de Paftel.
L E Paftel eft une plante qui
fe cultive en Languedoc &
dans quelques autres endroits du
Royaume. On l’apporte en bal-
les , qui pefenc ordinairement
C 7
58 L’Art de la Teinture.
depuis cent cinquante jufqua
deux cens livres; il reffemble à
de petites mottes de terre deflé-
chées & enlafiees de Quelques fi-
bres de plantes : aulîî n’eft-ce
que la plante nommée en Latin
Jfrtis ou Giajtum , qu’on faitpou-
rir après qu’on l’a cueillie à un
certain degré de maturité , &:
qu’on réduit enfuïte en pelotes
pour la faire fécher. Il y a diver-
fes précautions à obferver pour
cette préparation , fur laquelle
on trouvera plufieurs articles dans
le Réglement de M. Colbert fur
les Teintures. Le meilleur Paftel
préparé vient du Diocèfe d’Alby.
Pour le mettre en état de don-
ner fa teinture bleue, on fe fert
de ces grandes Cuves de bois ,
dont j’ai parlé au commencement
de cet Ouvrage ; & plus ces Cu-
ves font grandes , mieux l’opéra-
tion réüflit. Ordinairement on
Chapitre V. 59
prend trois ou quatre balles de
Paftel, & ayant bien nettoyé la
Cuve , on en fait l’afliette comme
il fuit.
O11 charge une Chaudière de de ^ a m ^“ e
cuivre la plus proche de la Cuve , ve.
d’eau la plus croupie qu’on puifle
avoir : ou fi l’eau n’eft pas cor-
rompue & croupie , on met dans
la Chaudière une poignée de je-
neflrole ou de foin* c’eft-à-dire,
environ trois livres , avec huit li-
vres de garence bife ou croûtes
de cette racine. Si l’onpeut avoir
le bain vieux d’un garençage , il
épargnera la garence , & même
il fera un meilleur effet. La Chau-
dière étant remplie, & ayant al-
lumé le feu défions dès trois heu-
res du matin , on la fera bouillir
cinq bons quarts d’heure , ( quel-
ques Teinturiers la font boüillir
jufqu’à deux heures & demie ou
trois heures ) puis o& la verfe au
Çvj
6o L'Art de la Teintüre.
moyen d’un canal dans la grande
Cuve de bois bien nettoyée, &
au fond de laquelle on à mis plein
un chapeau de fon de froment.
En furvuidant le bain boüillant
de la Chaudière dans la Cuve ,
ik pendant qu’il coulera par le
bout de la goutiere ou canal , on
mettra dans cette Cuve les balles
de Paftel Tune après l’autre , afin
de pouvoir mieux les rompre,
pallier &. remuer avec les râbles :
on continuera d’agiter jufqu’à ce
que tout le bain chaud foit fur-
vuidé dans la Cuve , & lorfqu’eiîe
fera remplie un peu plus qu’à
moitié , on la couvrira avec des
morceaux de couvertures , cou-
pés un peu plus grands que fa cir-
conférence : on mettra encore
pardeffus une pièce de drap , afin
quelle foit étouffée le plus exacte-
ment qu’il eft poflible , & on la
laiffera repofer quatre bonnes
heures.
Chapitre V. éi
Quatre heures apres l’afïiette,
on lui donnera X évent , c’eft-à-
dire , quon la découvrira pour
la pallier bien & y introduire de
nouvel air. On y fera tomber pour
chaque balle de Paftel un bon
trenchoir de cendres , nom dégui-
fé que les Ouvriers donnent à la
chaux vive qu’ils ont fait étein-
dre , quelques-uns dans l'eau,
d’autres à l’air. Al’égard du/m?-
choir , c’ell une elpéce de palette
de bois qui fert à mefurer grof-
fierement la quantité de chaux
que l’on met dans la Cuve. Elle
a cinq- pouces de large &: trois
pouces & demi de long : elle peut
contenir à peu près une bonne
poignée de chaux. Quelques
Teinturiers la nomment auflî
tailloir . Quand après l’éparpille-
ment de cette chaux, la Cuve
aura été bien palliée , on la re-
couvrira de même qu’aupara-
Si L'Art de ia Teinture.
Tant, hormis un petit efpace de
quatre doigts qu’on lai lier a dé-
couvert pour lui donner un peu
deventr
Quatre heures après on la re-
tranchera 9 c’eft-à-dire , qu’on la
palliera fans lui donner de chaux,
puis on la recouvrira & la lailfera
repofer deux ou trois heures , y
lailfant comme dedusune petite
communication avec l’air exté-
rieur.
Au bout de ces trois heures,
on pourra la retrancher encore ,
la palliant bien , ôc fi. elle n’eftpas
encore prête &: venue a doux ,
félon le langage du Teinturier,
c’eft-à-dire , fi elle ne jette point
de bleu à fa furface , & qu’elle
fiille encore , ce qui fe remarque
en heurtant ou frappant de plat
avec la planche du rable dans la
Cuve , il faut après l’avoir bien
palliée la laiflér repofer encore
Chapitre V. gf
une heure &: demie, prenant
bien garde li elle ne s’apprête
point , & 11 elle ne vient point à
doux , c’eft-à-dire, 11 elle ne jette
point du bleu.
Alors on lui donnera Veau 9
c’eft-à-dire , qu’on achèvera de
la remplir , y mettant l’indigo
dans* la quantité qu’on jugera à
propos y car le Teinturier a pré-*
lentement la liberté d’en em-
ployer autant qu’il veut. Ordi-
nairement on en employé de dé-
laie , comme il fera dit , plein
un chaudron ordinaire d’Atte-
lier pour chaque balle de Paftel $.
ayant rempli la cuve à lîx doigts
près du bord , on la palliera bien 5
& on la couvrira comme aupa-
ravant.
Une heure après lui avoir
donné Veau , on lui donnera le
pied y fçavoir, deux trenchoirs
de chaux pour chaque balle de
64 L’Art de la Teinture.
Paftel , &c plus ou moins , félon la
qualité du Paftel , & félon qu’on
jugera qu’il ufe de chaux. Je prie
le Lefteur de me pafler ces ex-
preffions : j’écris ce Traité pour
lé Teinturier ; ainfî il faut que je
parle la langue qu’il entend : le
Phyficien n’aura pas de peine à
fubftituer les termes propres que
peut-être l’Ouvrier n’elitendroit
pas. Il y a desPaftels qui s’apprê-
tent beaucoup plutôt les uns que
les autres , & l’on ne peut donner
fur cela des régies exactes , qui
foient en même temps générales.
Il faut remarquer auili que l’on
ne répand la chaux qu après que
la Cuve eft bien palliée.
Ayant recouvert la Cuve , on
y mettra au bout de trois heures
un échantillon qu’on y lailïera
entièrement fubmergé pendant
une heure. Au bout de ce temps
vous le retirerez pour voir ü la
Chapitre V. 6$
Cuve eft en état. Si elle y eft , cet
échantillon doit fortir -verd,
prendre la couleur bleue , étant
expofé une minute à l’air. Si vo-
tre Cuve verdit bien 1 echantil-
lon , vous la pallierez & lui don-
nerez un ou deux trenchoirs de
chaux , puis vous la recouvrirez.
Trois heures après vous la
pallierez & y répandrez de la
chaux , ce dont elle aura befoin j
puis vous la recouvrirez, & au
bout d’une heure & demie, la
Cuve étant rafïife, vous y met-
trez un échantillon que vous ne
lèverez qu’au bout dune heu-
re , pour voir l’effet du Paftel j de
fi l’échantillon eft d’un beau verd,
&: qu’il prenne un bleu foncé à
l’air , vous y en remettrez encore
un autre pour vous affurer de
l’effet de la Cuve. Si vous trou-
vez cet échantillon affés monté
en couleur , vous achèverez de
66 L’Art de la Teinture.
remplir votre Cuve d’eau chau-
de , &. s’il fe peut , d’un vieux bain
de garençage, &: vous pallierez.
Si vous jugez que la Cuve a en-
core befoin de chaux , vous lui
en donnerez une quantité fuffi-
fante félon qu’à l’odeur & au ma-
niement vous jugerez qu elle en
aura befoin. Cela fait , vous la
recouvrirez > &: une heure après y
fi elle eft en bon état, vous met-
trez vos étoffes dedans 6c vous en
ferez l’ouverture. C’eft ainfî que
les Teinturiers nomment la pre-
mière mife de la laine ou de l’é-
toffe dans une Cuve neuve.
Indices qui fervent À bien gouverner
me bonne Cuve .
O N connoît qu’une Cuve
eft bien en œuvre , c’eft-
à-dire , quelle eft en état de tein-
dre en bleu, quand la pâtée ouïe
marc qui fe tient au fond eft d’un
Chapitre V. 67
verd brun ; quand il change étant
tiré hors de la Cuve; quand la
fleurée, c’eft-à-dire, l’écume en
groffes bules qui fumage , eft d’un
beau bleu Turquin ou P ers , de
quand l’échantillon , qui y a été
tenu plongé pendant une heure 5
eft dun beau verd d’herbe foncé.
..Lorfqu elle eft bien en œuvre
elle a aufti le brevet ouvert > clair
de rougeâtre , 6c les gouttes 6c re-
bords qui fe font fous le rable en
levant le brevet , font bruns. Ou-
vrir le brevet , c’eft lorfqu’on lève
la liqueur avec la main ou avec
le rable pour voir quelle couleur
a le bain de la Cuve fous fa pre-
mière furface.
La pâtée ouïe marc doit chan-
ger de couleur , ainfi que je viens
de le dire , en fortant du brevet
ou du bain, de brunir à l’air ex-
térieur auquel on l’expofe.
Quand on manie le brevet ou
68 L’Art de la Teinture.
bain , il ne doit paroîtrc ni ru-
de entre les doigts ni trop gras j
&: il ne doit avoir ni odeur de
chaux ni odeur de leiîive. Voilà
à peu près toutes les marques
d’une Cuve qui eft en bon état.
Indices d'une Cuve qui a foujfert
far le trop ou le trop peu de chaux ,
qui font les deux extrêmes qu on
doit le plus éviter .
Q Uand une Cuve eft trop
garnie 5 c’eft-à-dire , quand
on y a mis de la chaux plus que
le Paftel n’a pû en ufer , on le re-
connoît facilement en y mettant
un échantillon , qui au lieu de de-
venir d’un beau verd d’herbe ,
n’eft que fali d’un bleu grisâtre
&: mal uni. La pâtée ne change
point , 6c la Cuve ne fait prefque
point de fieurée \ le brevet ou le
bain n’a aulfi qu’une odeur pi-
Chapitre V. 6 f
quante de chaux ou de lefîîve de
chaux.
Il s’agit de remédier à cet in-
convénient , en dégarniffant la
Cuve , ce que les Teinturiers font
de plufieurs maniérés. Les uns fe
fervent de tartre, les autres de
fon , dont ils mettent dans la Cuve
un boiffeau,plus ou moins, félon
quelle efl garnie : d’autres y met-
tent un feau d’urine. En quelques
lieux, on fe fert d'un grand ré-
chaud de fer affés long pour pou-
voir atteindre depuis la pâtée juf-
qu’au haut de laCuve. Ce réchaud
ou fourneau aune grille à un pied
près de fon fond, de un tuyau
de fer prenant du de|fous de cette
grille & montant jufqu’au haut
du réchaud , pour pouvoir fournir
de l’air qui anime le feu du char-
bon qu’ils mettent fur la grille.
Ils enfoncent ce fourneau dans la
Çuye jufque fur la pâtée, fans
y o L’Art de la Teinture.
pourtant le faire entrer dedans *
St ils l’arrêtent avec des barres de
fer, de crainte qu’il ne s’élève.
La chaleur communiquée par ce
fourneau fait monter toute la
chaux du fond de la Cuve à la
fuperficie du bain* ce qui donne
la facilité d’en ôter avec un ta-
mis ce qu’on juge à propos. Mais
quand on l’a ôtée ., il faut être at-
tentif à en rendre à cette Cuve
la quantité dont elle a befoin.
Quelques-uns dégarniflent aufiî
la Cuve de Paftel avec gravelle
ou tartre, & vieille urine boüil-
lies enfemble. Mais le meilleur
remède , quand elle eft trop gar-
nie , c’eft d’y mettre du fon St de
la garence à difcrétion ; St fi elle
neft qu’un peu trop garnie , il fuf-
fit de la laifler repofer quatre ,
cinq ou fix heures, ou plus, y
mettant feulement deux pleins
chapeaux de fon , St trois ou qua-
Chapitre V. 71
tre livres de garence , quon dis-
tribue légèrement fur la Cuvej
après quoi on la couvre. Au bout
de quatre ou cinq heures , ou
heurte dedans avec un rable , &
félon la couleur que prennent
les bules d’air élevées à l’occa-
fion de ce mouvement imprimé
à tout le bain , on met un échan-
tillon dedans pour en voir l’effet.
Si elle eft rebutée , &: quelle
ne jette du bleu que quand elle
eft froide, il faut la biffer reve-
nir fans la tourmenter, 8c quel-
quefois laifter pafter des journées
entières fans la pallier : quand
elle commencera à faire un
échantillon p affable , il faudra en
remettre le bain au feu pour le
réchauffer. Alors ordinairement
la chaux , qni fembloit n’avoir
plus la force d’exciter de fer-
mentation, fe réveille & empê-
che la Cuve de donner fi-tôt du
ji L’Art de la Teinture.
teint. Si on veut l’avancer > on
répand deffiis du fon &:de la ga-.
rence , comme auffi plein un ou
deux paniers de Paftel neuf 3 ce
qui aide le bain réchauffé à ufer
fa chaux.
Il faut avoir foin auffi d’y met-
tre des échantillons d’heure en
heure , afin de juger par la cou-
leur verte qu’ils y prennent , com-
ment la chaux fera rongée. Par
ces épreuves, on fe inet en. état
de la conduire avec plus d’exac-
titude 3 car quand une fois une
Cuve a fonde rt par le trop ou
trop peu de chaux , elle efi bien
plus difficile à gouverner. Si
pendant le temps que vous tra-
vaillez à la faire revenir, le bre-
vet ou le bain fe morfond un
peu trop , il faudra l’entretenir
en chaleur , en furvuidant du
clair, <k remplaçant ce bain clair
par de l’eau chaude 3 car quand
Chapitre V. 7$
îc bain ou brevet eft froid , le
Paftel n’ule point du tout de
chaux ou fort peu : quand il eft
trop chaud , cela retarde aufli
l’aftion du Paftel & f empêche
d’ufer la chaux qu’on y a mife.
Ainlî il vaut mieux attendre un
peu que de prelfer les Cuves àfe
remettre , lorfqu elles ont fouf-
fert.
On connoît quune Cuve n’a
pas été allés garnie de chaux , &
qu’elle a fouftert, lorfquele bain
ou brevet ne fait point de fieu-
rée , c’eft-à-dire , de grolfes bulles
d’air d’un beau bleu } mais qu’il
ne donne qu’une écume com-
pofée de petites bulles ternes >
& lorfqu’en heurtant deflus avec
le rable , il ne fait que jriller :
( c’eft le bruit qüe font ime infi-
nité de petites bulles d’air qui fe
crèvent à mefure qu’elles fe for-
ment). Lç bain a auifi une odeur
.0
74 L’Art de la Teinture.
d’égoût ou d’œufs couvés. Il eft
rude 6c fec au toucher. La pâtée
tirée hors du bain ne change
point y ce qui arrive prefque
toujours quand une Cuve a fouf-
fert difette de chaux. L’on doit
craindre cet accident principa-
lement lorfqu’cn fait l’ouverture
6e que l’on met en Cuve ; car fi
on n’a pas bien obfervé l’état de
la Cuve , tant à l’odeur qu’en
heurtant dedans avec le rable
après avoir mis la champagne ,
6e qu’on mette imprudemment
les étoffes dans la Cuve , lorf-
que le Paftel aura ufé toute fa
chaux, il eft à craindre que la
Cuve ne fe perde , parceque les
étoftes y étant mifes, le peu qu’il
y refte de chaux en état d’agir en-
core s’y attache } le brevet refte
dégarni , 6c alors la Cuve ne fai-
fant que barboüiller , il faut reti-
rer ces étoftes &c remédier prom-
Chapitre V. 7 J
ptcment à la Cuve pour fauver
le refte du teint, en y mettant
trois ou quatre trenchoirs de
chaux , plus ou moins , félon que
la Cuve aura fouffert, 6c ce fans
avoir encore pallié au fond. Il
faut obferver fi enpalliant 6c heur-
tant, le jr die ment celle , & fi la
mauvaife odeur change : alors
on peut efpérer qu il n’y aura eu
que le brevet ou bain qui aura
fouffert, 6c que la pâtée n’efi: pas
encore en difette. Lorfque vous
aurez appaifé le bruit ou frille*
ment , au moins en partie , 6c que
le brevet fendra la chaux 6c aura
le maniement doux , vous cou-
vrirez la Cuve , 6c la laifferez re-
pofer j ôc fi la fleurée fubfifte en-
core fur la Cuve au bout d’une
heure 6c demie, vous y mettrez
un échantillon, que vous lèverez
une heure après, 6c vous vous
gouvernerez félon le fond du verd
Ouver-
ture de la
Cuve.
/*
y6 L’Art de la Teinture.
qu’il y prendra. Mais ordinaire-
ment les Cuves ainfi rebutées ne
font pas fi-tôt en état de teindre.
La Cuve étant en bon état,
yous y .dcfcendrez la Champagne ,
& prendrez pour l’ouverture une
mife de trente aulnes de drap,
ou l’équivalent de fon poids en
laine bien dégrailfée , que vous
aurez defïèin de teindre en bleu
fers , pour en faire enfuite un noir.
Ayant paflfé & repaffé cette mife,
toujours couverte du bain , ou
entre deux eaux, pendant une
bonne demie heure , vous torde-
rez le drap au moulinet attaché
à la potence qui doit être au-def-
fus de la Cuve 3 & fi c’eft de la
laine , comme vous l’aurez plon-
gée avec fon filet, le même filet
fervira à la tordre. Vous dévui-
derez le drap par fes lifierespour
f éventer &îe déverdir, c’eft-à-
.dire , lui faire perdre la couleur
Chapitre V. 77
verte qu’il aura en fortant de la
Cuve , & prendre la couleur
bleue. Si ce drap ou cette laine,
à la première torfe , n’étoit pas
affés foncé pour un bleu pers , vous
lui donnerez un rejet , en remet-
tant dans la Cuve le bout de là
pièce de drap qui en eft forti le
premier j &c félon la force de vo-
tre Paftel , vous donnerez à cette
mife jufqu’à deux ou trois rejets ,
félon que vous le jugerez nécef-
faire à finteufîté du bleu que
vous voulez avoir. Si votre Paftel
eft bon , tel que feft ordinaire-
ment le vrai Lmrugais , après
avoir tiré la première mife, vous
pouvez en mettre' une fécondé
fur cette ouverture ou premier
travail de la Cuve.
Après avoir fait cette ouver-
ture , qu’on nomme auffi premier
pÆement , vous pallierez de nou-
veau la Cuve , 6c la garnirez de
D iij
y % L’àrt de la Teinture*
chaux avec difcrétion j lui laif-
fant l’odeur & maniement con-
formes à ce qui eft dit ci-deffus,
obfervant qu’à mefure que le
teint diminue , la vertu du Paftel
diminue au (IL
Si votre Cuve eft en bon train ,
vous ferez le premier jour de
f ouverture trois ou quatre pal-
liemens , &z le lendemain deux ou
trois. Il faut feulement prendre
garde à ne pas la fatiguer , à ne
pas lui donner des miles auiïi for-
tes le fécond que le premier jour.
Quant aux couleurs ; pour tirer
de cette Cuve nouvellement po-
fée tout le profit poftible , on teint
d’abord les étoffes deftinées pour
être mifes en noir, enfuite les
bleus de- Roy , puis celles qui doivent
être mifes en verds bruns . Les
violets &: les bleus Turquins fe
font ordinairement dans les der-
niers palliemens du fécond jour
de f ouverture.
Chapitre V. 79
Le troifîéme jour , fi la Cuve
fe trouve trop diminuée de quan-
tité , il faut la remplir d’eau chau-
de jufqu’à quatre pouces près du
bord y quelques Teinturiers ap-
pellent cette addition d’eau re-
jalUge d’une Cuve.
Vers les derniers jours de la
femaine , on fait les bleus les plus
clairs ; le famedi au foir , ayant
pallié la Cuve, 011 la garnit un
peu plus que le jour précédent,
afin qu’elle puifTe fe conferver
jufqu’au lundi. On remet le brevet Ré chaut
ou bain fur le feu le lundi matin, ve ülie Cu ‘
en le faifant paffer de la Cuve
dans la Chaudière de cuivre par
le moyen de la goutiere ou canal
qui fe place d’un bout fur l’une ,
éc de l’autre bout fur l’autre : on
vuide ce brevet clair jufqu’à la
pâtée , & quand il fera boüillant ,
on le fera repafler de nouveau
dans la Cuve , palliant la pâtée à
D iiij
8 o L’Art de la Teinture.
mefure que ce bain chaud y tom-
be par l’extrémité du canal : on
peut y ajouter en même temps
plein un chaudron d’indigo pré-
paré , comme il fera dit ci-après.
Lorfque la Cuve fera remplie
à quatre pouces près du bord, &
qu’elle fera bien palliée, on la cou-
vrira, & au bout de deux heures
on y mettra un échantillon , qu’on
n’y laiffera qu’une heure : on ajou-
te de la chaux , félon la nuance du
verd que cet échantillon d’effai
aura prife en palliant cette cuve
& au bout d’une heure ou deux ,
fi la Cuve n’apasfouffert,ondoit
y mettre une mife d’étoffe. L’a-
yant conduite entre deux eaux
pendant une bomie demie heure,
on la tord j on donne un rejet à
cette étoffe , comme on a fait à la
Cuve neuve. Cette Cuve réchauf-
fée fe gouverne de même , c’eft-
à-dire , qu’on fait jufqu’à trois pal-
Chapitre V. 8 r
liemens le premier jour , prenant
garde à chaque paliiement fi elle
n’a pas befoin de chaux ; car en
ce cas , il faut y en mettre la quan-
tité qu’on jugera nécefïaire.
Le bleu qui feroit fait de Paf*
tel fcul r feroit , félon le fentiment
de quelques perionnes prévenues
en faveur des anciens ufages,
beaucoup meilleur que celui que
donne le Paftel auquel on a ajou-
té l’indigo : mais alors ce bleu
feroit beaucoup plus cher , par-
ce que le Paftel donne beaucoup
moins de teinture que cette fé-
cule étrangère j il a été vérifié,
par des expériences répétées, que
quatre livres de bel indigo de
Guatiœalo rendent autant qu’une
balle de Paftel Albigeois j&cinq
livres , autant qu’une balle de
Laurxgais , qui péfe ordinaire-
ment deux cens dix livres. Ainfi
l’emploi de l’indigo mêlé avec le
82, L’Art de £a Teinture.
Paftel eft d’une grande épargne
& évite beaucoup de frais ; puif-
que pour avoir autant d’étoffes
teintes par une feule affiette de
Cuve avec l’indigo, il en fau-
drait faire deux, fî on le fuppri-
moit , encore n’auroit-on pas pré-
cifément autant de teinture.
Aux Cuves neuves, on met
d’ordinaire l’indigo fondu , après
que le Paftel a fait paraître fon
bleu , 8c un quart d’heure ou un
demi quart d’heure après, on don-
ne le pied , c’eft-à-dire , qu’on y
met la chaux , & d’autant que cet
indigo fondu en eft déjà garni
par la îeiïive dans laquelle on la
diflbut , on diminua la chaux
qu’on donnoit au Paftel feul.
Au réchaut, on met l’indigo
dès le fâmedi au foir, afin qu’il
s’incorpore avec le bain ou bre-
vet, & qu’il lui ferve de garni-
ture au moyen de fa chaux.
Chapitre V. 8 $
T réparation de /’ Indigo dejline' à la
Cave de PajleL
L ’Indigo Guatimalo , ou de
Guatimala > eft le meilleur
de tous : on nous l’apporte de
l’Amérique en forme de petits
cailloux d’un bleu pers . On en
coimoît la bonté à l’emploi & eu
le rompant. Pour être bon , il faut
qu’il foit en-dedans de couleur
de violette foncée , 6c qu il pren-
ne un œil cuivreux en le frottant
fur l’ongle : le plus leger efl: le
meilleur.
Pour difïoudre & fondre l’in-
digo , il faut avoir dans l’Attelier
au Guefde , c’eftle nom qu’on don-
ne aux Cuves de Paftel , une
Chaudière particulière avec fon
fourneau. Quatre-vingt ou cent
livres d’indigo demandent une
Chaudière qui tienne trente à
trente-cinq féaux d’eau.
*
84 L’Art de la Teinttjre.
On le fond dans une leffive ;
6c pour la faire , on charge la
Chaudière d’environ vingt-cinq
féaux d’eau claire, on y ajoure
plein un chapeau de fon de fro-
ment avec douze ou treize livres
de garence non robée, 6c qua-
rante livres de bonnes cendres
gravelées : c’efi demie livre de
ce fel alcali , 6c deux onces 6c de-
mie de garence pour chaque li-
vre d indigo j car toutes ces do-
fes font dcftinées à la diffolution
de quatre-vingt livres de cette
fécule. On fait boiiiliir le tout
à gros botiillons pendant trois
quarts d’heure ou environ : puis
on retire le feu de deflous le
fourneau , 6c on laiffe rcpofer
cette leffive pendant demie heu-
re , afin que la lie ou les fèces
fe dépofent au fond. Enfui te on
furvuide le clair dans des ton-
neaux nets placés exprès auprès
Chapitre V. 8 f
de la Chaudière. Otez le marc
relié dans la Chaudière, faites-
la bien laver : reverfez-y la leffi-
ve claire que vous* aviez vuidée
dans les tonneaux ; allumez un
petit feu delfous, & mettez-y en
même temps les quatre-vingt li-
vres d’indigo réduits en poudre
grolïiere. Entretenez le bain dans
une chaleur forte , mais fans le
faire boiiillir , &: facilitez la dif-
folution de cet ingrédient en
palliant avec un petit rahle fans
difeontinuer , afin d’empêcher
qu’il ne s’encroûte &: ne fe brûle
au fond de la Chaudière. On
entretient le bain dans une cha-
leur moyenne & la plus égale
qu’il eft polfible , en y verfant de
temps en temps du lait de chaux
qu’on aura préparé exprès dans
un bacquet pour le refroidir.
Lorfque vous ne fendrez plus rien
4e grumeleux au fond de la Chau-
S 6 L’àrt de la Teinture.
diere, & que l'indigo vous pa-
roîtra bien délayé ou bien fondu,
Vous retirerez le feu du fourneau,
& n y laiflérez que fort peu de
braife pour entretenir feulement
une chaleur tiède : vous couvri-
rez la Chaudière avec des plan-
ches & quelque couverture , & y
mettrez un échantillon d étoffé
pour voir s’il en fort verd , & fî
ce verd fe change en bleu à l’air.
Si cela n’arrivoit pas, ilfaudroit
ajouter à ce bain le clair d’une
nouvelle lefîivc préparée comme
la précédente. C’eft de cette dif-
ïolution d’indigo dont on prend
un, deux ou plufîeurs féaux pour
les ajouter au Paftel, lorfque la
fermentation l’a allés ouvert pour
qu’il commence à donner fon
bleu.
Ce détail de la préparation
d’une Cuve de Paftel n’eft pas
exadement conforme à la mé-
Chapitre V. §7
tïiode ordinaire des Teinturiers
dà-p refont : mais ayant fait po-
fer une Cuve fuivant la defcri-
ption quon vient de lire , elle a
très-bien réüftl, & on en a tiré
des bleus parfaits de toutes les
nuances. Il eft néceflaire cepen-
dant d’avertir que pour gouver-
ner une Cuve de Paftel &fçavoir
remédier à tous les accidens, il
faut qu’un Manufacturier ait à
fes gages un bon Guefderon , c’eft
le nom qu’on donne au Compa-
gnon T einturier qui a fait fa prin-
cipale occupation delà conduite
du Paftel. La pratique lui en a
plus appris que tout ce qu’on
pourroît en enfeigner dans ce
Traité.
Après m’être alluré des moyens
qu’on doit employer pour la réüf-
fite d’une Cuve de Paftel en
grand , j’ai voulu voir s’il n’étoit
pas poflible d’en alfeoir une en
Cuve
Paftel
petit.
ta L’Art de la Teinture.
beaucoup moindre volume y ce
que quelques Teinturiers pré-
tendoient être impraticable. J’ai
pris un petit tonneau qui tenoit
environ cinquante pintes j je l’ai
placé dans une Chaudière rem-
plie d’eau, que j’avois foin de te-
nir chaude autant qu’il étoit né-
ceffaire. J’ai mis quarante pintes
d’eau de riviere dans une petite
Chaudière avec une once ôc de-
mie de garence & une très-petite
poignée de gau de. C’eit une her-
be qui fert à teindre en jaune,
6c qui m’a paru dans la faite
ne fervir à rien dans cette opé-
ration j mais on me la confeilla.
alors comme néceflaire. Je fis
boüillir le tout trois bonnes heu-
res j &: fur les neuf heures dufoir
je verfai tout ce bain dans le pe-
tit tonneau placé dans la Chau-
dière , après y avoir mis deux pe-
tites poignées de fon : j’y jettai
Chapitre V. £9
en meme temps quatre livres de
\ Paftel , 3c ayant bien pallié le tout
> avec le rable pendant un quart
d’heure , je la couvris, 3c j’eus foin
de la faire pallier de même tou-
tes les trois heures pendant la
nuit. Je n’ai point mis d’eau fure
dans cette petite Cuve, comme
quelques Teinturiers en mettent
à préient ; mais le fon que j’y
avois mis d’abord en tient lieu ,
car il s’aigrit avec le bain même.
Le lendemain , fur les neuf
heures du matin, la Cuve com-
mençoit à faire un petit bruit ou
pétillement , ce que quelques
Teinturiers prétendent expri-
mer, en difant que la Cuve de-
vient fourde. Il s’y formoit aufll
une efpéce d’écume 3c des peti-
tes bulles comme celles d’une eau
favoneufe. Elle fut bien palliée,
&j’y jettaiune once & demie de
chaux éteinte & tamifée 5 ce qui
$0 L’Art de la Teinture.
fît augmenter l’écume : 1’odeur
changea un peu , 5c devint plus
forte } ce qui me fit juger que
j’aurois pu y mettre un peu plus
de Paftel.
A dix heures 5c demie , la Cu-
ve avoit une odeur de chaux plus
forte : elle faifoit de l’écume 5c
un peu de bruit. J’y mis alors un
échantillon , qui au bout d’une
heure étoit verdâtre , 5c un mo-
ment après , dun bleu très-clair.
On la pallia enfuite, 5c au bout
d’une heure j’y remis un fécond
échantillon , qui y demeura aufii
une heure , 5c qui étant forti verd,
devint d un bleu plus foncé que
le premier. Cela me fit juger
qu’elle étoit en état de recevoir
l’indigo.
A midi 5c demi , j’y mis deux
onces d’indigo non dilTout,mais
feulement bien pilé , tamifé 5>C
délaie dans de l’eau chaude avec
Chapitre V. 9 ï
i gros comme une noix de cendres
I gravelées. ( C’eft de la lie de vin
i calcinée , qui contient beaucoup
| de fel alcali , ainlî que je l’ai déjà
; dit. ) J’y plongeai enfuite de deux
I aeures en deux heures un échan-
î rillon, palliant cette petite Cuve
t üternativement , c’eft - à - dire ,
ju’une heure après l’avoir pal-
» iée je mettois un échantillon qui
/ demeuroit une heure , après
quoi on la pallioit de nouveau.
{ 2e qui fut continué de la forte
. ufqu’à dix heures du foir; & en
j :omparant enfemble les échan-
I illons que j’en retirois , on voyoit
pie leur couleur devenoit tou-
{ ours de plus en plus foncée : ils
levenoient aullî de plus en plus
| r ifs , à mefure que la chaux su-
joit, félon le langage des Ou-
\ Tiers.
Il auroit fallu la remplir alors ;
I e que l’on jugeoit nécelfaire ,
L’Art de la Teinture.
parceque le dernier échantillon
étoit à un point de vivacité qui
montrait que l’aétion de la chaux
étoit amortie , 6c qu’elle n’agiffoit
plus ; mais il aüroit fallu travail-
ler dodus vers les deux heures
après minuit : ainfi , à caufe de
l’incommodité de l’heure >}e ju-
geai à propos de la rallentir en
la garnilfant & en lui donnant de
nouvelle nourriture pour la faire
aller jufqu’au lendemain y c’eft-à-
dire , que j’y remis environ une
demie once de chaux ; après quoi
on la pallia, 6c une heure après,
on y mit un échantillon , qui ,
étant retiré au bout d’une heure,
étoit à la vérité bien plus bleu
que les autres r mais qui., au moyen
de la chaux, étoit plus terne &
moins vif que le précédent. C’eft
ainfi que l’on rallentit l’aétionde
la Cuve , 6c qu’on l’amene à être
en état de travailler à l’heure la
plus convenable.
Chapitre V, 95
Dans le cours de la nuit , j’y fis
11e ter e deux autres échantillons
pi augmentèrent toujours en
verdeur au fortir de la Cuve , 8£
lont le bleu étoit toujours de
plus en plus foncé. Celui que Ton
ira vers les huit heures du ma-
in , .étoit encore un peu terne :
|:e qui prouyoit que la chaux
[qu’on avoit mife le foir , ‘n étoit
. ,)as encore ufée , & quelle agif-
( .oit trop fortement. Comme on
. a pallioit alors , je fis enlever
ivec le râble un peu de la pâtée
lu fond , pour voir en quel état
lie étoit. Je la trouvai brune ri-
ant fur le jaune ; mais aufli-tôt
p’elle avoit pris l’air, fa furface
.erdifloit & devenoit de couleur
l’olive. Si l’on enlevoit cette fnr-
: ace avec la main, le delfous étoit
le la même couleur que la pâtée
voit paru d’abord j mais il ver-
liflbit un moment après. L’odeur
94 L’Art de la Teinture.
en étoit allés forte , quoique ce
ne fut pas celle du montant de
la chaux. Le bain en étoit jaunit |
tre à peu près comme delabier-
re , & l’écume ou fleurée qui s’en
élevoit lorfqu’on le heurtoit avec
le rable , étoit bleue. Toutes ces
indications font les meilleures
qu’il y ait pour faire juger que la
Cuve doit parfaitement réüflir.
Je continuai d’y mettre des :
échantillons &: de la pallier alter-
nativement jufqu’à deux heures
après midi. L’échantillon que
l’on retira alors étoit très-verd,
&: devint l’inftant d’après d’un
bleu très-vif : ce qui dénotoit qu’il
étoit temps de remplir la Cuve. !
Pour cet effet , je mis environ
quinze ou fçize pintes d’eau dansi
une petite Chaudière > avec deux
gros de garence & une poignée
de fon : je fis boüillir le tout une
demie heure , & je mis ce brevet
Chapitre V.
: dans la petite Cuve à trois heu-
1res : on la pallia tout de fuite , ôr
. une heure après j’y mis un échan-
tillon , que je retirai au bout d’u-
ne heure , ôc qui fe trouva très-
i beau 6e très-vif.
Cette petite Cuve fe trouva
. fur les fept heures en état de tra-
J vailler , elle y auroit été de
même dix-fept ou dix-huit heu-
res plutôt, lî on ne l’avoit pas re-
tardée à deffein. On y mit une
petite champagne , qui eft ce cer-
| cle de fer garni de rézeau de fi-
celle, que j’ai décrit en parlant
des inftrumens néceffaires à la
Teinture, &: on la fît defcendre
jufqu’à trois ou quatre doigts de
la pâtée , l’affujettiflant à cette
hauteur par le moyen de quatre
ficelles attachées au bord du ton-
neau.
On y paffa alors une aune de
ferge blanche , qui n’avoit point
fS L’Art de la TEnrruRE.
eu d’autre préparation que de la
bien moüiller auparavant , afin
que la couleur prit également
par- tout. On la mania pendant
un .demi quart d’heure dans la
Cuve, la remuant avec les mains
&: avec un petit crochet de fer.
Au bout de ce temps , on la re-
tira fort verte j on la tordit pour
exprimer le bain , & elle devint
bleue aufli-tôt qu elle eut pris
l’air. On la remit encore un demi
quart d’heure dans la Cuve , afin
que la couleur fut plus foncée ,
èc eHe en iortit plus verte que la
première fois, & aufli-tôt quelle
fut exprimée , elle devint d’un j
très-beau bleu , tel que je le fom
haicois.
On y pafla tout de fuite une
livre de laine filée qui avoit été
auparavant moilillée dans l’eau
chaude & exprimée j mais il y
ÉLYpit fi peu de Paftel dans la
Cuve*
Chapitre V. 97
Cuve , que cette laine n’y prit
qu’une couleur de bleu célefte.
On remit donc à l’achever au
lendemain , & pour que la Cuve
fe put conferver en état, &: en
même temps pour la remettre en
? couleur , j’y répandis une demie
once de chaux tamifée. Avant
que d’y mettre cette chaux , elle
avoit une odeur approchante de
celle de la viande rôtie * mais
; aulîi-tôt que la chaux y fut, on
en fentit l’odeur , le montant ou
le piquant : ou pour en donner
une idée plus nette , il fe déve-
loppa quelque chofe de volatile &:
d’urineux. On couvrit la Cuve ,
& le lendemain on acheva la li-
vre de laine filée. On auroit pu
1( y teindre encore une livre ou
t j deux de laine , en la garnifiant
a , & l’entretenant , mais je la fis jet-
ter pour ne pas perdre du temps
inutilement , parceque ces expé-
I E
5>8 L’Art de la Teinture.
riences me fuffifoient pour prou-
ver qu’il eft poflîble d’affeoir une
Cuve cle Paftel en petit comme
en grand.
J’ajouterai maintenant quel-
ques réflexions qui me parodient
encore néceffaires pour une plus
parfaite connoiffance de cette
opération.
Il ne faut jamais réchauffer la
Cuve de Paftel quelle ne foit en
œuvre 5 c’eft-à-dire , quelle n’ait
ni trop ni trop peu de chaux ,
enforte que pour être en état de
travailler, il ne lui manque que
d’être chaude. On reconnoît
quelle a trop de chaux , comme
je l’ai dit, à l’odorat, c’eft-à-dire,
par l’odeur piquante que l’on
îent. O11 juge au contraire qu’il
n’y en a pas affés lorfqu’elle a une ;
odeur douceâtre , 6c que l’écume,
que Ion nomme aulli rMat , qui
s’élève à la furface en la heur-
I !
il
Chapitre Y. 99
tant avec le rable , eft dun bleu
pâle.
On doit avoir attention, lorf-
qu’on veut réchauffer la Cuve,
de ne la point garnir de chaux la
veille ( bien entendu quelle n’en
auroitpas trop befoin) \ car fî elle
étoit garnie , elle courroit rifque
d’avoir ce que les Teinturiers ap-
pellent un Coup de pied , parce-
qu’en la réchauffant on donne
plus d’adion à la chaux qui y eft ,
8c quelle s’u fe plus prompte-
ment.
On remet ordinairement de
nouvel indigo dans la Cuve cha-
que fois qu’on la réchauffe, 8c
cela à proportion de ce qu’on a
à teindre. Mais il ne ferait pas
néceffaire d’y en mettre fî l’on
n’avoit que peu d’ouvrage à faire,
ou qu’on 11 ’eut befoin que de cou-
leurs claires.
Il n’étoit permis par les anciens
E ij
ïoo L’àrt m la Teinture.
Réglemens de mettre que fix li-
vres d’indigo pour chaque balle
de Paftel 5 parcequ’on croyoit
que la couleur de l’indigo n’étoit
pas folide , & qu’il n’y avoit qu’u-
ne grande quantité de Paftel qui
put l’afliirer &: la rendre bonne \
mais il eft démontré préfente-
ment, tant par les expériences
de feu M. Dufay , que par celles
que .j’ai faites depuis , que la cou-
leur de l’indigo , même employé
feul , eft toute auflï bonne & ré-
fifte autant à l’aétion de l’air , du
foleil, de la pluie &: des déboüil-
lis, que celle du Paftel. On a ré-
formé cet article dans le nouveau
Réglement de 1 7 3 7 , & on a per-
mis aux Teinturiers du bon teint
d’employer dans leurs Cuves de
Paftel la quantité d’indigo qu’ils
jugent à propos , ainfi que je l’ai
déjà dit.
Lorfqu’une Cuve a été ré-
Chapitre V. ioî
chauffée deux ou trois fois, de
que l’on a bien travaillé deffus,
on conferve fouvent le même
bain , mais on enlève une partie
de la pâtée que Ton remplace
par de nouveau Paftel. On, ne
peut preferire aucune dofe fur
cela ,parcequ’elle dépend du tra-
vail que le Teinturier a à faire.
L’ufage apprendra là-deffus tout
ce qu’on peut délirer. Il y a des
Teinturiers qui confervent piu-
fieurs années le même bain dans
leurs Cuves, ne faifant que les
renouveller de Paftel de d’indigo
à mefure qu’ils travaillent deftiis :
d’autres vuident la Cuve en en-
tier, de changent de bairi,lorf-
que la Cuve a été réchauffée fix
ou fept fois , de quelle ne donne
plus aucune teinture. Il n’y a
qu’un long ufage qui puiffe ap-
prendre laquelle de ces pratiques
eft la meilleure. Il eft cependant
ioi L’Art de la Teinture.
plus raifonnable de croire qu’en
la renouvellant en entier de temps
en temps, elle domiera des cou-
leurs plus vives & plus belles. Les
meilleurs Teinturiers ne font pas
ceux qui agiffent autrement.
On conftruit en Hollande des
Cuves qui n’ont pas befoin d’être
réchauffées fi fouvent que les au-
tres. Meilleurs Van Robbais en
ont fait faire depuis quelques
années dans leur Manufaéture
Royale d’Abbeville. Toute la
partie fupérieure de ces Cuves ,
a la hauteur de trois pieds, eft
de cuivre. Elles font de plus en-
tourées d’un petit mur de bri-
que , qui eft à fept ou huit pou-
ces de diftance du cuivre. On met
dans cet intervalle de la braife
qui entretient pendant très-long-
temps la chaleur de la Cuve,
enforte qu’elle demeure plufieurs
jours de fuite en état de travail-
Chapitre V. 103
1er fans qu’il foit néceffaire de la
réchauffer. Ces fortes de Cuves
font beaucoup plus chères que
les autres , mais elles font très-
commodes , fur-tout pour y palier
des couleurs fort claires, parce-
que la Cuve fe trouve toujours en
état de travailler , quoiqu’elle foit
trè s-foi ble ; ce qui n’arrive pas
aux autres* qui le plus fouvcnt
font la couleur beaucoup plus
foncée qu’on ne le voudrojt, à
moins qu’on ne laiffe confîdéra-
blement refroidir ; & en ce cas,
la couleur n’en elt plus fi bonne ,
& n’a plus la même vivacité. Pour
faire ces couleurs claires dans des
Cuves ordinaires , il vaut mieux
en pofer exprès qui foient fortes
en Paftel & foibles en indigo ,
parce qu’alors elles donnent leur
teinture plus lentement, & les
couleurs claires fe font avec plus
de facilité.
E iiij
io4 L’Art de la Teinture.
A l’égard des Cuves à la HoL
landoife , dont je viens de par-
ler , les quatre , que Meilleurs de
Van Robbais ont fait faire dans
leur Manufacture , ont lîx pieds
de profondeur , dont les trois
pieds &: demi du haut font en
cuivre , de les deux pieds &: demi
du bas font de plomb. Le diamè-
tre du bas eft de quatre pieds de
demi , de celui ‘du haut, de cinq
pieds quatre pouces , en forte
quelles contiennent environ dix-
huit muids.
Je reviens aux autres obferva-
tions qu’il y a à faire fur le ré-
chaut des Cuves ordinaires. Si
l’on réchauffoit la Cuve, lorf-
qu’elle fouffre, c’eft-à-dire , lorf-
qu’elle n’a pas tout- à- fait allés
de chaux 5 elle fe tourneroit en
chauffant , fans qu’on s’en apper-
çut, en forte qu’elle courroitrif-
que d’être entièrement perdue ,
Chapitre V. 105
parceque la chaleur achèverait
d’ufer en peu de temps la chaux
qui y étoit déjà en trop petite
quantité. Si on s'en apperçoit à
temps, le remède feroit de lare-
jetter dans la Cuve , fans la chauf-
fer davantage , & de la garnir de
chaux. On attendroit enfuite
quelle fut revenue en œuvre pour
la réchauffer.
Quand on la réchauffe , il faut
prendre garde de mettre de la
pâtée dans la Chaudière avec le
bain ou brevet. Il faut aufli avoir
grande attention de ne la pas
chauffer jufqu’à la faire boiiillir,
parceque tout le volatile nécef-
îaire à l’opération , s'évaporerait.
Il y a quelques Teinturiers, qui
en réchauffant leurs Cuves , ne
mettent pas l’indigo aufli -tôt
après que le bain eft verfé de la
Chaudière dans la Cuve , & qui
ne l’y font entrer que quelques
E v
io 6 L’Art de la Teinture.
heures après , lorfqu’ils voyent
que la Cuve commence à venir
en oeuvre. Ils ne prennent cette
précaution que dans la crainte
que la Cuve ne réufiiffe pas , &C
que leur indigo ne foit perdu :
mais de cette maniéré l’indigo
ne donne pas fi bien fa couleur j
car on cd obligé de travailler fur
la Cuve auffî-tôt qu’elle eft en
état, afin qu’elle ne fe refroidiffe
pas , ôt l’indigo n’étant pas tout-
à-fait diffout, ou tout-à-fait in-
corporé , de quelque maniéré
qu’on l’employe , il ne fait pas
d’effet. Ainfi il vaut beaucoup
mieux le mettre dans la Cuve
âuffi-tôt qu’on y a jetté le bain«>
&: la bien pallier enfuite.
Si l’on réchauffe une Cuve fans
quelle ait travaillé , on ne doit
pasl’écumer comme dans les ré-
çhauts ordinaires , parcequ’pn
ènléveroit l’indigo j au lieu que
Chapitre V. 107
lorfqu'elle a travaillé , cette écu-
me eft formée de la partie ter-
reufe de l’indigo &: du Paftel,
jointe à une portion de la chaux.
Quand on a trop mis de chaux
dans la Cuve , il faut l’attendre
jufqu’à ce qu’elle foie ufée : on
peut accélérer en la réchauffant ,
ou y mettre des ingréd ens qui
détruifent une partie de l’aétion
de la chaux , comme du tartre ,
du vinaigre y du miel , du fon ou
quelque acide minéral, ou enfin
quelque matière propre à s’ai-
grir } mais tous ces corredifs
ufent en même temps l’indigo de
le teint du Paftel : ainh le meil-
leur eft de la lailfer ufer fans rien
faire.
On ne garnit ordinairement
une Cuve de chaux que le pre-
mier, le fécond, & quelquefois
le troifîéme jour y 3c il faut ob-
ferver de ne pas y palier les via*
io8 L’Art de la Teinture.
lets y les pourpres & autres laines
ou étoffes, qui ont déjà une cou-
leur facile à endommager, le len-
demain du jour qu elles ont été
garnies , parceque la chaux , qui
y eft encore ailes aftive , ternit
la première couleur de la laine :
ainfi ce n’eftque le cinquième ou
le fixiéme jour qu’il y faut paffer
les cramoifis pour les mettre en
r violet y & les jaunes pour les met-
tre en verd j avec cette attention,
la couleur en fera toujours plus
brillante.
Lorfque la Cuve a été réchauf-
fée , il faut attendre quelle foit
en œuvre pour la garnir. Si on le
faifoit un peu trop tôt, elle fe
troubleroit : il arrive roit la même
chofe , fi on avoit mis un peu de
pâtée dans la Chaudière. Le re-
mède , en ce cas , eft de la laiffer
repofer avant que de la faire
travailler, jufqu a ce quelle foit
Chapitre V. 109
remife j ce qui va à deux , trois,
quatre heures , &: même à un jour.
On employé quelquefois de la
i chaux qui eft légère , c’eft-à-dire,
qui a moins de force : alors il ar-
rive , fi on n’y prend pas -garde ,
que la Cuve a un coup de pied ,
parceque cette chaux légère refte
dans le bain , ôc ne s’incorpore pas
fi bien dans la pâtée. On con-
noît cet accident à ce que le bain
a une odeur forte , & la pâtée ,
au contraire , une odeur douceâ-
tre -, au lieu quelle devroit être
la même dans l’un & dans l’autre»
Le remède eft encore de la laif-
fer ufer* en la palliant fouvent
pour mêler la chaux avec la pâ-
tée , jufqu’à ce que fon odeur de
Cuve fe rétabliflè y &: que lafleu-
rée ou écume foit bleue.
On peut, fi l’on veut , pofer
un Guefde ou Cuve de Paftel , fans
y mettre d’indigo •> mais alors elle
Pré p ai
ion de
h&ux.
‘ uo L’Art de la Teinture.
ne donnera que très-peu de cou-
leur, & ne pourra teindre qu’une
petite quantité d’étoffes ou de
laine j car une livre d’indigo four-
nit , comme je l’ai déjà dit, au-
tant dé teinture que quinze à
feize livres de Paftel. J’en ai fait
pofer une de la forte, pour con-
noître quelles éroient les facultés
du Faftclfeul, &je n’ai pas trou-
vé, malgré tout ce que la pré-
vention peut faire direfouvent
fans preuve, que l’indigo lui cé-
dât en rien pour la beauté & la fo-
If dite de la couleur.
Comme on employé toujours
la chaux , & quelquefois feau sûre
dans l’a /fierté d’une Cuve , je crois
que c’eft ici l’occaiion de parler
de leur préparation.
Pour éteindre la chaux, com-
bine elle le doit être, quand elle
eft deftinée aux opérations de
teinture , on plonge dans l’eau
Chapitre V. ut
Fun après l’autre plufieurs mor-
- ceaux de chaux , &: après que
chacun y a demeuré jufqu’à ce
qu’il commence à pétiller, on le
retire pour en mettre un autre ,
&; on les jette à mefure dans une
Chaudière vuide ou autre vaif-
Ifeau quelconque , où la chaux
■ achève de s'éteindre d’elle-mê-
l me , & fe réduit en poudre en
augmentant confidérablement
de volume. On paffe enfuite cette
chaux dans un fac de cannevas ,
& on la conferve dansunbacquet
ou dans un tonneau bien fec.
Les eaux sûres font néceffai-
res, non-feulement dans quel-
ques circonftances de l’affiette
d’une Cuve de Paftel, mais dans
quelques-unes des préparations
que l’on donne à la laine &: aux
étoffes, avant que de les mettre
à la teinture. Elles fe font de la
maniéré fuivante.
ni L’Art de la Teinttjre.
Prépara- On remplit d’eau de riviere
«au sûre, une Chaudière de la grandeur
que l’on veut : on met le feu def-
fous, & lorfque la Chaudière a
fait un boüillon, on jette cette
eau dans un tonneau , où Ion a
mis une fuffifante quantité de
fon : on remue bien le tout avec
un bâton trois ou quatre fois le
jour. La quantité du fon &: de
feau n’eft pas bien importante.
Quant à moi, j’ai réufli en met-
tant trois boiffeaux de fon fur un
tonneau qui contenoit deux cens
quatre-vingt pintes. Ainfi, cela
revient à peu près à un boilfeau
fur cent pintes d’eau. Au bout
de quatre ou cinq jours , cette
eau eft aigrie , & par conféquent
propre à être employée dans tous
les cas où elle ne nuira pas aux
préparations de la laine , qui font
indépendantes de la Teinture,
dont je traite dans cet Ouvrage.
Chapitre V. ïij
Car il peut arriver qu'une laine
en toiion , qui aura été teinte
dans un bain de teinture où l'on
auroit mis une trop grande quan-
tité d'eau sûre , en forte plus dif-
ficile à filer, pàrceque la fécule
du fon fait une efpéce d’empoix
qui colle les fibres de la laine , 8c
les empêche de fournir un fil
égal. Il faut remarquer aufii que
c'eft un mauvais ufage de lailïer
féjourner les eaux sûres dans des
Chaudières de cuivre , comme je
l’ai vû pratiquer chés quelques
Teinturiers fort employés, par-
ceque cette liqueur étant un aci-
de , corrode le cuivre de la Chau-
dière pendant fon féjour , 8c fi elle
y a demeuré allés long -temps
pour fe charger un peu de ce
: métal, elle occafionnera unedé-
feduolïté , tant dans la teinture
i que dans la qualité de l'étoffe ,
dont fouyent on ne fçait à quoi
ï 14 L’Art de la Teinture.
attribuer la caufe : Dans la tein-
ture , parceque le cuivre , difTout ,
communique toujours du verdâ-
tre : dans la qualité de l’étoffe,
parceque le même cuivre difTout
eft efcarrotique fur toutes les ma-
tières animales.
Je crois n avoir rien obmis de
tout ce qu’il y a d’eflentiel à la
Cuve de Paftel. S’il fe trouvoit
dans la pratique 'des difficultés ou
des accidensdontjen’aiepasfait
mention , ils ne font pas confidé-
rables, &: on trouvera aifément
le moyen*d’y remédier, fi on fe
rend familière la manœuvre de
cette opération. Les Leéteurs,
qui n’ont point d’idée de ce tra-
vail, croiront que je me fuis trop
étendu j ils y trouveront auffi des
répétitions 5 mais ceux qui vou-
dront faire ufage de ce que je me
fuis propofé d’enfeigner dans le
Chapitre qu’on vient de lire , me
Chapitre V. riÿ
reprocheront peut-être d’avoir
été trop court. J’ai crû qu’il étoit
mieux , à caufe de la difficulté de
l’opération , de rapporter en for-
me de Mémoire tout ce que j’ai
remarqué , en conduifant moi-
même la petite Cuve dont j’ai
donné le détail , pour ainfi dire,
heure par heure j que de m’en
tenir à la defcription del’affiette
d’une Cuve en grand , telle que
je l’ai donnée d’abord ^ parceque
je n’y avois pas été toujours pré-
I ifent. Quand on aura lû ce Cha-
pitre avec attention, on ne fera
pas étonné que le Chef-d’œuvre
ordonné aux Apprentifs qui veu-
lent fe faire recevoir Maîtres
Teinturiers du grand & bon
teint , foit de pofer une Cuve de
Paftel, de de travailler deffus*
1 1 6 L’Art de la Teinture.
CHAPITRE VI.
De lit Cuve de Vouede.
J E n’ai prefque rien à dire de
la Cuve de Vouëcîe, qui foit
différent de ce que j’ai dit decel-
le de Paftel. Le Vouede eft une
plante que l’on cultive en Nor-
mandie, & quony prépare pref-
que de la même maniéré que l’on
fait le Paftel en Languedoc.
Voyez , fur fa Culture , 1 inftruc-
tion générale fur les teintures , du
18 Mars 1(371 5 depuis l’article
2,5 9 jufqu’au 188 Compris , il y eft
traité de la culturel préparation
du Paftel &: du Vouede. La Cuve
de Vouede fe pofe ou s’aftied
comme celle de Paftel : toute la
différence qu’on y peut trouver ,
c’eft qu’il a moins de force , &
qu’il fournit moins de teinture.
Chapitre VI. 117
Voici le détail d une Cuve de
Vouéde que j’ai faite en petit &
iu Bain-marie , comme celle de
?aftel du Chapitre précédent :
’avois pour objet de vérifier un
procède qui m’avoit été envoyé
ie Normandie.
Je plaçai dans une Chaudière
non petit tonneau de cinquante
)intes , & je le remplis aux deux
:iers d’un brevet fait avec de l’eau
le riviere , une once de garence
, le un peu de gaude. Je mis en
nême temps dans le tonneau une
>onne poignée de fon de froment
\c cinq livres de Vouéde. Onpal-
ia bien la Cuve & on la couvrit.
1 étoit cinq heures du foir. Elle
ut encore palliée à fept heures ,
l neuf, à minuit, à deux heures
\e à quatre heures. Le Vouéde
‘toit alors en œuvre , c’eft-à-dire,
B pie la Cuve étoit fourde , comme
e l’ai dit de celle de PafteL II y
j iB L'Art de ia Teinture.
avoit quelques bulles d’air afles
grofles , mais en petite quantité,
& elles n’avoient prefque point
de couleur. Onia garnit alors de
deux onces de chaux, & onia pal-
lia. A cinq heures, on y mit un
échantillon , qu’on leva à fix heu-
res , en la palliant. Cet échantil-
lon commençoit à avoir de la
couleur. On y en mit un autre à
fept heures : à huit heures on
pallia, & l’échantillon en fortit
afles vif, on y mit une once d’in-
digo : à neuf heures , un autre
échantillon, à dix heures, onia
pallia , de on y mit une once de
chaux, parcequ’elle commençoit
à avoir une odeur douceâtre. A
onze heures , un échantillon : à
midi on la pallia. On continua de
la forte jufqu’à cinq heures. On
y mit alors trois onces d’indigo,
à fix heures un échantillon ; à fept
heures on la pallia. Il auroit été
Chapitre VL 1 1 9
remps de la remplir alors, par-
Ibequelle étoit parfaitement en
oeuvre , 8c que l’échantillon, après
en être forti bien vert, étoit de-
venu d’un bleu fort vif. Mais ou-
|j:re que j’étois fatigué d’avoir
} oaffé déjaune nuit , j’aimai mieux
I a retarder jufqu’au lendemain
30ur voir Ion effet au jour, 8c
3our cela j’y mis une once de
bhaux qui la foutint jufqu’à neuf
1 heures du matin. O 11 y mit de
remps en temps des échantillons:
; le dernier, qui fut levé alors,
S ^tant fort beau, je la fis remplir
avec un brevet compofé d’eau 8c
d’une petite poignée de fon feu-
lement. On la pallia, 8c on y mit
des échantillons d’heure en heu-
re : elle fe trouva en état à cinq
heures , 8c l’on travailla deffus. On
la garnit enfuite de chaux , 8c on
la pallia pour la conferver jufqu’à
ce qu’on voulut la réchauffer.
ïtto L’Art de la Teinture.
J en pofai deux mois après une
autre avec le Vouëde feul fans
indigo , pour pouvoir juger de la
folidité de la teinture du Vouëde,
& je la trouvai aux épreuves auffi
bonne que celle duPaftel. Ainfi,
toute la fupériorité du Paftel fur
le Vouëde , confifte en ce que ce-
lui-ci fournit moins de teinture
que l’autre.
Les petites variétés que Ton
peut remarquer dans la façon de
pofer ces différentes Cuves, prou-
vent qu’il y a bien des circonf-
tances dans ces procédés , qui ne
font pas abfolument nécelfaires.
Il me paroît que la feule chofe
importante , &: à laquelle on doit
donner toute fon attention , eft
de conduire la fermentation avec
prudence , &: de ne donner la
chaux que lorfqu’on la juge né-
celfaire par les indications que
j’ai rapportées. A 1 egard de l’in-
Chapitre VI. 12,1
digo 3 qu’on le mette à deux re-
prises ou tout à la fois, un peu
plutôt ou un peu plus tard , cela
, me paroît très - indifférent. On
pourroit dire la même chofe fur
la gaude que j’ai employée deux
fois, & fupprimée deux autres 3
de la cendre gravelée dont j'ai
mis un peu dans la petite Cuve
de Paftel, & dont je n’ai point
mis dans celle de Vouède. Enfin
je crois , Sc il me paroît bien dé-
montré , que la diftribution de la
chaux eft ce à quoi on doit avoir
le plus d’égard dans tout le cours
du travail des Cuves , tant pour
les affeoir, que pour les réchauf-
fer. J’ajoûterai que , quand on
pofe une Cuve de Paftel ou de
Vouède , on ne fçauroit regarder
trop fouvent en quel état elle eft 3
car s’il y en a qui retardent (ce
1 qu’on attribue à la foiblefle du
Paftel ou du Vouède) il y en a
)
izz L’Art de la Teinture.
auffi qui viennent très-prompte-
ment en œuvre. J’en ai vû per-
dre une moyenne de foixante-
dix livres de Paftel, parcequ’elle
vint en œuvre à huit heures ; le
Guefderon négligea d’y regarder
aullî fouvent qu’il le falloir , &
il y avoit au moins deux heures
qu’elle étoit en état, lorfqu’il la
découvrit : la pâtée étoit montée
entièrement à la furface du bain ,
ôc le tout avoit une odeur fort ai-
gre. Il ne fut pas pollible de la
raccommoder -, 6c il fallut la jetter
fur le champ, parcequ’elle auroit
pris dans peu une odeur fœtide
ou cadavéreufe infupportable.
Cet avancement ou ce retar-
dement de l’aétion de la Cuve
peut auffi venir de la températu-
re de l’air. Car la Cuve fe refroi-
dit beaucoup plus promptement
en hyver qu’en été. C’eft pour-
quoi il eft néceffaire d’y veiller
Chapitre VIL 125
attentivement , quoique pour
l'ordinaire elles foient environ
quatorze ou quinze heures avant
que d’être en œuvre. Je tâche-
rai d’expliquer dans la fuite com-
ment fe fait le développement
des parties colorantes de cet in-
grédient fi utile à la Teinture j
mais il faut auparavant parler des
Cuves qui fe préparent avec l’in-
digo feul.
CHAPITRE VIL
De U Cuve d’ Indigo.
&
L ’I n d 1 g o eft la fécule d’une
plante qu’on nomme Nil ou
Ami . Pour faire cette fécule on
a trois Cuves , l’une au-deffus de
l’autre , en maniéré de cafcade.
Dans la première , qu’on appelle
Dr empire ou Pourriture , & qu’on
remplit d’eau, on met la plante
Fij
1 2,4 L’Art de la Teinture.
chargée de Tes feüilles, de fon é-
corceSc de fes fleurs (*). Au bout
de quelque temps , le tout fer-
mente ; f eau s’échauffe de bouil-
lonne, s’épaifîît & devient dune
couleur de bleu tirant fur le vio-
let; la plante dépofant tous fes
fels , félon les uns , de toute fa fub-
ftance , félon les autres. Pour lors ,
on ouvre les robinets de la tr em-
pire
de Ton en fait fortir l’eau
chargée de toute cette fubftance
colorante de la plante , dans la
fécondé Cuve appellée la Batte-
rie , parcequ’on y bat cette eau
avec un moulin à palettes, pour
condenfer la fubftance de l’Indi-
go , & la précipiter au fond , en-
iorte que l’eau redevient limpide
&: fans couleur, comme de l’eau
( * ) Au Village ce Sarguelfe proche de la Ville
d’Amadabat ,les Indiens ne fe fervent que des feiiil-
les de Y *Anil , fie ils jettent la tige fie les branches.
C’eft aufli de cet endroit que vient l’Indigo le plus
parfait.
Chapitre VIL 1^5
commune. On ouvre les robinets
de cette Cuve pour en faire
écouler l’eau jufqu’àla fuperfïcie
de la fécule bleue : après quoi
on ouvre d’autres robinets qui
font au plus bas , afin que toute
la fécule tombe au fond de la
troifiéme Cuve, appellée Repo -
y 3 />,parceque c’eft-là où l’Indigo
fe repofe &fe delféche. On l’en
tire pour former des pains, des
tablettes , &c. Voyez le P, Labnt,
Hijloire des titilles.
Il y a à la Côte de Coromandel,
à Pontichéry,&e.deux fortes d’in-
digo, l’une beaucoup plus belle
que l’autre. La belle forte ne fert
^uères qu’à luftrer l’inférieure
à teindre. Il y en a encore plu-
i fieurs autres fortes qui augmen-
tent de prix félon leur qualité.
Il s’en trouve qui coûte depuis
quinze pagodes le Bar, qui péfe
quarante -huit livres Jufquadeux
116 L’Art de la Teinture.
cens pagodes. Le plus beau fe pré-
pare du côté d’Agra. On en fait
aufli d’aflés beau àMafulipatan,
à Ayanaon , où la Compagnie des
Indes a un Comptoir. A Chan-
dernagor , on le nomme Nil ,
quand il eft préparé & coupé par
morceaux. L’Indigo de J-ava ou
Indigo Javan eft le meilleur de
tous j„c’eft auflî le plus cher , &
par conféquent il y a peu de Tein-
turiers qui l’employent. Le bon
Indigo doit être fi léger qu’il
flotte fur l’eau: plus il enfonce,
plus il eft fulpeétd’un mélange
de terre ,de cendres ou d’ardoife
pilée. Sa couleur doit être d’un
bleu foncé tirant fur le violet,
brillant, vif, & pour ainfi dire ,
éclatant. Il doit être plus beau
dedans que dehors , & paroître
luifant & comme argenté. II en
faut diflbudre un morceau dans
un verre d’eau pour l’éprouver^
Chapitre VIL izy
S’il eft pur & bien préparé , il fe
H diffoudra entièrement j s’il eft fal-
fifié , la matière étrangère fe pré-
I cipitera au fond du vaiffeau. Le
fécond moyen de s’aflurer de fa
bonté eft de le brûler. Le bon In-
digo brûle entièrement ; &: s’il eft
fallifié, ce qu’il y a d’étranger
S refte après que l’Indigo eft con-
fumé. L’Indigo pilé eft bien plus
fujet à être faliîfié que celui qui
eft en tablettes ,parcequ’il eft dif-
ficile que du fable , de l’ardoife
pilée 5 fe lient II bien enfe m *
ble qu’ils ne faflent, en bien des
endroits , des lits de matières dif-
férentes * &: pour lors, en rom-
pant le morceau d’indigo, on les
y remarque facilement.
Il y a plufieurs maniérés de
préparer la Cuve d’indigo , & qui
font même allés différentes les
unes des autres. J’ai effayé toutes
celles qui font venues à ma con-
F iiij
iz8 L’Art de la Teinture.
noifTance , & elles m’ont prefque
toutes réufïi. Je vais les décrire
le plus exa&ement que je pour-
rai , en commençant par celle qui
eftlaplusufitée de toutes pres-
que la feule qui foit connue à Pa-
ris.
J’ai décrit au commencement
de cet Ouvrage le vaifleau de
cuivre rouge qui fert à cette opé-
ration. Pour en rappeller l’idée y
je dirai Amplement que c’eftune
Cuve qui a environ cinq pieds
de haut , quelle a deux pieds de
diamètre , & qu’elle va en rétré-
ciflant par le bas. Elle eft entou-
rée d’un mur qui laifle autour
d’elle un efpace pour y mettre
de la braife. Onpeut mettre dans
une Cuve de cette capacité deux
livres d’indigo pour le moins, &:
cinq à fix livres pour le plus. Pour
pofer une Cuve de deux livres
d’indigo dans un pareil vaiffeau*
Chapitre VII. r 2,9
qui peut contenir environ quatre-
vingt pintes , on fait boüillir dans
une Chaudière environ foixante
pintes d’eau de riviere pendant
une demie heure , avec deux li-
vres de cendres gravelées , deux
onces de garence de une poignée
de fon. On prépare pendant ce
temps-là l’Indigo en cette forte.
On en péfe deux livres, que
l’on jette dans un feau d’eau froi-
de , pour en féparer les terreftréi-
tés de les morceaux éventés qui
furnagent les premiers. On verfe
enfuite l’eau par inclination , de
on pile bien l’Indigo dans un mor-
tier de fer j on jette dans le mor-
tier un peu d’eau chaude , de l’a-
gitant de côté de d’autre , on
verfe par inclination dans un au-
tre vaiffeau ce qui fumage , de
qui par conféquent ell le mieux
broyé. On continue de piler ce
qui refte dans le mortier ; on y
F v
r jo L’Art de la Teinture,
met enfuite de nouvelle eau pour
enlever le plus fin , & Ton pourfuit
de la forte jufqu’à ce que tout
l’Indigo ait été réduit en poudre
afies fine pour pouvoir être en-
levé par l’eau. C’elt-là toute la
préparation qu’on y fait. On verfe
enfuite dans cette Cuve haute
étroite le bain qu’on avoit fait
boiiillir dans la Chaudière avec
le marc de garence & de cendres
gravelées , qui peut être refté au
fond ; & on y jette l’Indigo broyé.
On pallie bien le tout avec un pe-
tit râble , on couvre la Cuve avec
des couvertures, &: on met delà
braife autour. Si cette opération
a été commencée l’après-midi,,
on remet un peu de braife le
foir y on fait la même chofe le len-
demain , matin &c foir : on pallie
auffi la Cuve légèrement deux
fois le fécond jour. Le troifiéme
jour, on continue de mettre de
Chapitre VIL ijï
la braife pour entretenir la cha-
leur de la Cuve , on la pallie deux
fois dans la journée. On com-
mence alors à voir fur la furface
du bain une pellicule luifante &:
cuivreufe > qiii flotte deflus , 6c qui
eft interrompue ou refendue en
plusieurs endroits. Le quatrième
jour , en continuant le feu , la pel-
licule eft plus formée 6c plus con-
tinué : on voit de la fleurée ou
écume bleue qui s’élève en pal-
liant la Cuve , 6c le bain devient
d’un verd foncé.
Lorfque le bain devient verd
de la forte , c’eft une marque qu’il
eft temps de remplir la Cuve. On
fait pour cet effet un nouveau
brevet , en mettant dans une
Chaudière environ vingt pintes
d’eau avec une livre de cendres
gravelées , une poignée de fon r
6c une demie once de garence.
On laide boiiillir le tout un quart
F vj
ï$2, L’Art de la Teintürë.
d’heure , 6c on en remplit la Cu-
ve. On la pallie enfuite j ce qui
fait élever beaucoup de fieurée ,
6c la Cuve eft en état de travailler
le lendemain. On le connoît à la
quantité de fieurée dont elle eft
couverte , à la pellicule ou croûte
•écailieufe 6c cuivrée , qui fumage
la liqueur ; 6c à ce que , quoique la
furface du bain paroiffe d’un bleu
brun , il eft néanmoins vcrd au-
defious , fi l’on foufie defliis , ou
qu’on l’agite avec la main.
Cette Cuve , dont je viens de
décrire le procédé , 6c qui eft la
première que j’aye pofée , fut plus
long-temps à venir en couleur
que les autres , parceque le feu
fut trop fort le fécond jour , y
ayant mis trop de braife : fans
cela elle auroit été en état de tra-
vailler deux jours plutôt. Cela ne
lui fit pas d’autre mal, 6c le jour
quelle fut en état, on y pafla de
Chapitre VIL 13}
la ferge le poids de treize à qua-
torze livres , à diverfes reprifes.
Comme cela lui avoir fait perdre
de fa force , & que le bain étoit
diminué par les coupons d étoffé
qu’on y avoir teints , on y refît
l’après-midi un nouveau brevet
avec une livre de cendres grave-
lées, une demie once de garen-
ce , &: une poignée de fon. On fît
boüillir le tout un quart d’heure
dans une Chaudière. On le mit
dans la Cuve, on la pallia, on
la couvrit, & on mit un peu de
braife autour. On la peut confer-
ver de la forte plufîeurs jours fans
y rien faire , &: lorfque l’on veut
travailler deffus, il faut la pallier
la veille , &: mettre un peu de
braife autour.
Quand on veut réchauffer &
garnir d’indigo cette forte de Cu-
ve , on met dans une Chaudière
les deux tiers du bain qui n’eft
î 34 L'Art de la Teinture.
plus verd alors, mais d’un bleu
brun & prefque noir. Lorfqu’il efl:
prêt à boüillir , on enlève avec un
tamis toute l’écume qui fe forme
deflus , on le fait boüillir enfuite ,
& on y ajoute deux poignées de
fon, un quarteron de garence,
& deux livres de cendre gra-
velée. On ôte le feu de deffous
la Chaudière , & on y jette un
peu d’eau froide pour arrêter
le boüillonj après quoi on verfe
le tout dans la Cuve avec une li-
vre d’indigo pulvérifé & délayé
dans une portion du bain, de la
maniéré que je l’ai dit plus haut.
On pallie enfuite la Cuve , on la
couvre , on met un peu de braife
autour le lendemain elle efl: en
état de travailler.
Lorfqu’on a réchaufféplufieurs
fois la Cuve d’Inde ou d’indigo,,
il efl: néceflaire de la vuider en-
tièrement & den affeoir une neu-
Chapitre VIL i
vc y parcequ’elle ne donne plus
de teinture fi vive. On reconnoît
quelle vieillit à ce que le bain
n’eft pas d’un fi beau verd qu’au
commencement , quoiqu’elle foit
chaude &: en état de travailler.
J’ai fait pofer plufieurs autres
Cuves delà même maniéré , avec
une plus ou moins grande quan-
tité d’indigo y comme depuis une
livre jufqu’à fix : j’avois foin d’au-
gmenter ou de diminuer propor-
tionnellement les autres matiè-
res , mettant cependant toujours
une livre de cendre gravelée
pour une livre d’indigo. Depuis
j’ai fait d’autres expériences qui
m’ont prouvé que cette propor-
tion n’étoit pas abfolument né-
celfaire. Je ne doute pas même
qu’il ne fe trouvât plufieurs autres
maniérés de faire venir l’Indigo
aufli parfaitement en couleur. Il
me refte néanmoins quelques
17,6 L’Art de la Teinture.
obfervations à faire fur cette Cu-
ve.
De toutes celles que j’ai fait
affeoir de la maniéré que je viens
de décrire , je n’en ai manqué
qu’une feule ; ce qui arriva , par-
ceque j’oubliai le fécond jour de
mettre de la braife autour. Elle
ne put jamais venir en couleur.
J’y jettai de l’arfenic pulvérifé , ,
qui ne fit point d’effet. On y plon-
gea aufïi à plufieurs reprifes des
briques rouges j le bain prit de
temps en temps un œil verdâtre ,
mais il ne vint jamais au point
où il de voit être. Enfin , après
avoir tenté inutilement plufieurs
autres moyens fans pouvoir péné-
trer la caufe de la non-réuffite Sc
l’avoir réchauffé plufieurs fois, je
la fis jetter au bout de quinze
jours.
Tous les autres accidens qui
me font arrivés dans la conduite
Chapitre VIL 137
de la Cuve d’indigo , n’ont fait
que retarder fa réuftîte j enforte
que cette opération peut être
regardée comme très -facile en
comparaifon de la Cuve de Paf-
tel & de celle de Vouëde. J’ai
même fait plufieurs expériences T
tant fur l’une que fur l’autre , où
j’avois pour objet d’abréger le
temps des préparations ; mais le
plus fouvent n’ayant point réufli*
ou n’ayant rien fait de mieux que
ce qui fe pratique à l’ordinaire ,
je ne crois pas qu’il foit à propos
de les rapporter.
Le bain de la Cuve d’indigo ne
reffemble point exaélement à ce-
lui de la Cuve de Paftel ; fa furface
eft d’un bleu brun couvert d’écail-
les cuivreufes, & le deffous eft d’u-'
ne belle couleur verte. L’étoffe ou
la laine qu’on teint eft aufli verte
lorfqu’on la retire , & devient
bleue un moment après. On a vu
138 L’Art îæ la Teinture.
ci-devant, qu’il arrive la même
chofe à la Cuve de Paftel ; mais
ce qu’il y a de fîngulier , c’eft que
le bain de cette derniere n’eftpas
verd , quoiqu’il produife fur la
laine le même effet que l’autre.
Il faut encore remarquer que fi
l’on tranfporte le bain de la Cuve
d’Inde hors du vaiffeau où ileft,
êc qu’en prenant trop long-temps
l’air, il perde fa verdeur , toute
fa qualité fe perd en même temps:
enforte que quoiqu’il donne une
couleur bleue , cette couleur n’a
plus aucune folidité. J’examine-
rai cela plus en detail dans la
fuite, 6c je tâcherai de donner la
Théorie Chymique de ce chan-
gement.
999
99
Chapitre VIII. 159
CHAPITRE VIII.
De U Cuve d'Inde à froid avec
l'urine .
O N fait une Cuve d'indigo
avec larme qui vient en
, couleur à froid , & fur laquelle on
; travaille auffi à froid. On prend
: pour cet effet quatre livres d’in-
digo en poudre , qu’on fait digé-
rer fur les cendres chaudes pen-
dant vingt -quatre heures dans
quatre pintes de vinaigre. Au
bout de ce temps, fi tout ne pa-
roît pas encore bien diffout, on
le broyé de nouveau dans-un mor-
tier avec la liqueur , & on y ajoute
peu à peu de lutine. On y met
enfuite une demie livre de ga~
rence qu’on y délaye bien, en
remuant le tout avec un bâton.
Lorfque cette préparation eft fai*.
r i4o L’Art de la Teinture.
te , on la verfe dans un tonneau
rempli d’un muid durine : il mim^
porte quelle foit vieille ou nou-
velle. On brade & on pallie bien
le tout erifemble j ce qu on con-
tinue foir & matin pendant huit
jours , ou jufqu’à ce que la Cuve
paroide verdir à la fuperficie,
Iorfqu’on la pallie , &: qu’elle
fade de la fleurée comme la Cuve
ordinaire. On travaille alors def-
fus fans y faire autre chofe que de
la pallier deux ou trois heures
auparavant. Cette forte de Cuve
eft extrêmement commode , par-
ceque lorfqu’elle a été mile en
état une fois , elle y demeure tou-
jours jufqu’à ce qu’elle foit entiè-
rement tirée , c’eft-à-dire , que
l’Indigo ait donné toute fa cou-
leur ; aind on peut y travailler à
toute heure , au lieu que la Cuve
ordinaire a befoin d’être prépa-
rée dès la veille.
Chapitre VIII. 141
Si l’on veut faire cette Cuve
plus ou moins confidérable , on
augmente ou on diminue la quan-
tité des matières fuivant celle de
l’Indigo que l’on veut employer £
enforte que pour chaque livre
d’indigo on mette toujours une
pinte de vinaigre , deux onces de
garence , & foixante à foixante-
dix pintes d’urine. En été , cette
Cuve vient plus promptement en
couleur , 5c plus lentement en
hyver. Si on vouloit l’accélérer ,
il n’y auroit qu’à , lorfqu’elle eft
pofée , enlever une portion du
bain , le chauffer dans une Chau-
dière fans le faire boüillir, 5c le
reverfer enfuite dans la Cuve.
Cette opération eft fî fimple, qu’il
eft prefque impoffible delaman-
S uer -
Lorfque l’Indigo eft tout-à-fait
tiré, 5c qu’il ne donne plus de
couleur , on peut recharger la
£4^ L'Art de la Teinture.
Cuve fans en pofer une neuve :
pour cela , il n’y a qu’à diflbudre
de nouvel Indigo dans du vinai-
gre y y ajouter de la garence à
proportion de l’Indigo, & rever-
ler le tout dans la Cuve , la pal-
liant foir & matin comme la pre-
mière fois : elle fera aufii bonne
que fi elle étoit neuve. Il ne fau-
drait pas cependant la recharger
de la forte plus de quatre ou cinq
fois , parceque le marc de la
garence & de l’Indigo ne laifie-
roit pas de ternir le bain , &:
de rendre par conféquent la cou-
leur moins vive. Au refte , je dé-
clare que je n’ai point fait exé-
cuter cette Cuve , &: que par con-
féquent je n’en garantis pas la
réuflite j mais en voici une autre
à l’urine , qui donne à la laine des
bleus fort folides, &c que j’ai vu
préparer.
Chapitre VIII. 145
Cuve chaude d'indigo a l'urine .
11 a commencé par faire
^ tremper pendant vingt-
r quatre heures une livre d’indigo
dans quatre pintes d’urine nette j
:• enfui te on l’a broyée dans un
t grand mortier de fer avec la mê-
me urine , &: quand à force de
broyer, l’urine s’eft trouvée très-
ç bleue , on l’a coulée à travers un
tamis fin, dans un bacquet, de
l’Indigo qui n’a pû paffer, de qui
eft refté fur le tamis , a été remis de
broyé de nouveau dans le mortier
avec quatre autres pintes d’urine
nette ; ce qui a été continué juf-
qu’à ce que tout l’Indigo ait paffé
avec l’urine à travers le tamis.
Cette opération, qui dure envi-
ron deux heures , étant faite , on
a mis, à quatre heures après-mi-
di , trois muids d’urine dans une
Chaudière. On l’y a fait chauffer
'*44 L'Art de la Teinture.
très-fort, mais fans boiiillir, &
ï urine a jette à fa furface une
écume épaiffe, qu’ on a jettée hors
de la Chaudière , en l’enlevant
avec un balai. On a continué
d’écumer à diverfes reprifes , juf-
qu’à ce qu il ne fe fit plus qu’une
écume légère &: blanche : l’urine
étant alors allés purifiée étant
prête à boüillir , on l’a verfée dans
la Cuve de bois : on y a mis l’In-
digo broyé qui étoit danslebac-
quet, &ona pallié la Cuve avec
un rable , afin de bien mêler l’In-
digo avec l’urine. Audi- tôt après ,
on a verfé dans la Cuve un bre-
vet fait de deux pintes d’urine ,
d’une livre d’alun de glace , &
d’une livre de tartre rouge, ÔC
pour faire ce brevet, on a d’a-
bord mis dans le mortier l’alun
& le tartre , qu’on y a réduit en
poudre fine ; puis on a verfé déf-
ais les deux pintes d’urine , & on
a
Chapitre VIII. 14J
a broyé le tout enfemble , jufqu’à
ce que ce mélange , qui s’efl: gon-
flé tout-à-coup , cédât de fermen-
ter. Alors on l’a verfé dans la Cu-
ve , qu’on a auflî-tôt palliée forte-
ment , & l’ayant enfuite couverte
de fon couvercle de bois 6c de
quelques vieilles couvertures, on
l’a laidée en cet état toute la nuit.
Le lendemain matin , le bain s’efl:
trouvé de couleur très -verte.
Cetoit une marque que la Cuve
étoic en bon état , &: qu’on y au-
roit pû teindre , fi on avoir voulu ;
mais on n’y teignit point , à caufe
que tout ce qu’on avoir fait ci-
dedus,n’étoit à proprement par-
ler, que le premier apprêt , ou une
prerfiiere préparation de la Cuve,
6c que l’Indigo , qu’on y avoir mis ,
n’etoit deftiné qu’à nourrir 6c fa-
- çonner l’urine. Ainfi,pour achever
de l’apprêter , on a laide repofer
la Cuve pendant deux jours , tou-
G
X4<£ L’Art d£ la Teinture.
jours couverte afin quelle fe re-
froidît lentement ^ après quoi on
y a fait ce qui fuit. On a préparé
une fécondé livre d’indigo , en le
broyant avec de l’urine purifiée ,
comme ci-defliis : vers les quatre
heures après-midi on a verfé dans
la Chaudière tout le bain de la
Cuve : on l’a fait chauffer très-
fort., mais fans boüillir. Il s’y eft
formé encore quelque écume
épailfe qu’on en a rejettée, &: ce.
bain , étant alors prêt à boüillir,
onl’areverfé dans la Cuve. Auflî-
tôt on y a jetté l’Indigo broyé ,
avec un brevet fait comme def-
fus, d’une livre d’alun, d’une li-
vre de tartre , &: de deux pintes
d’urine , 3c on y a ajoiité une nou-
velle livre de garence : alors on a
pallié la Cuve. Enfin , l’ayant bien
couverte , on lui a laiffé paffer la
nuit. Le lendemain matin, elle
s’eft trouvée en .très-bon état , le
Chapitre VIII. 147
bain étant fort chaud &: d’un très-
beau verd y ainfi il n’a plus été
queftion que d’y teindre c’eff
ce que Ton a fait comme il fuit.
C’étoit de la laine en toifon quon
avoit à mettre en bleu.
Cette laine a été d’abord bien
dégraiffée à l’urine , bien lavée ,
& li bien égoûtée , qu’elle ne ren-
doit plus d’eau en la greffant en-
tre les mains, mais quelle étoit
Amplement humide. Etant ainfi
difpofée , on en a mis une tren-
taine de livres dans la Cuve : 011
ly a bien étendue entre les mains,
afin quelle s’y abreuvât égale-
ment y enfuite on l’a laiffé repofer
une heure ou deux , félon qu’on
la vouloir plus ou moins foncée.
Pendant ce temps-là la Cuve a
toujours été bien couverte , afin
quelle confervât fa chaleur j car
plus elle eft chaude , mieux elle
teint } àc devenue froide , elle
G ij
ï 48 L’Art de la TeintürE;
n agit plus. Lorfque la laine a etc
à la nuance de bleu qu on délî-
roit , on l’a retirée de la Cuve par
pelotons gros comme la tête } on
les a tordus de exprimés fur le
bain, àmefure qu’on lesretiroit,
de auffi-tôt on les a donnés à qua-
tre ou cinq femmes , rangées près
de la Cuve, pour les ouvrir de
éventer entre leurs mains , jufqu’à
ce que de verds qu’ils étoient au
fortir de la Cuve , ils fulfent de-
venus bleus. Ce changement de
verd en bleu fe fait en trois ou
quatre minutes. Ces trente livres
étant ainfî teintes de déverdies,
on a pallié la Cuve , puis on l’a
laifle repofer deux heures , tou-
jours bien couverte. Au bout de
ce temps , on y a mis trente au-
tres livres de laine , qu’on y a bien
étendues avec les mains. On a re^-
couvert la Cuve , de en quatre ou
cinq heures , cette laine s eft trou-
Chapitre VIII. 149
vée teinte à la même hauteur ou
nuance des trente premières li-
vres > alors on l’a retirée de la Cu-
ve par pelotons , & fait dé verdir
comme ’deffus. Cette opération
achevée , la Cuve s’efl trouvée
encore un peu chaude , mais pas
affés pour y teindre de nouvelle
laine } pareeque quand elle n’a
plus un degré de chaleur fuffiiant,
la couleur quelle donneroit , ne
feroit ni uniforme ni folide jainii
il faut la réchauffer regarnir
d ’Indigo comme on a fait ci-de-
vant ; & c’eft ce qu’on peut faire
toutes les fois qu’on le juge à pro-
pos : car cette Cuve ne fe gâte
jamais en vieilli fiant , pourvû que
pendant qu’on la garde ainfî fans
rien faire , elle ait un peu d’air*
ijo L’àrtde la Teinture.
Réchaut de la Cuve À l’urine .
V E r s les quatre heures
après-midi 5 on en verfa
tout le bain dans la Chaudière ,
&: on ajouta à ce bain de l’urine
fuffifamment , pour remplacer ce
qui s’en étoit évaporé & perdu
pendant le travail précédent. Ce
rempliffage va ordinairement à
huitouneuffeaux d’urine : enfuite
on fait chaufferie bain: on l’écu-
me comme il a été expliqué ci-de-
vant , & quand il eft prêt à boüil-
lir, on le reverfe dans la Cuve de
bois. On y ajoûte une livre d’in-
digo moulu & broyé à l’urine ,
auffi un brevet fait comme def-
fus , d’une livre d’alun , d’une li-
vre de tartre , d’une livre de ga-
rence , & de deux pintes d’urine.
Enfuite , après qu’on a pallié la
Cuve > &: qu’on l’a bien couverte,
on la laiffe repofer toute la nuit.
Chapitre VIII. 151
Le lendemain elle fe trouve en
bon état, de l’on y peut teindre
foixante livres de laine en deux
fois, comme on a fait ci-deffus.
C’eft ainfi que fe doivent tou-
jours faire les rechauts ou réchauf-
fages , la veille qu’on veut tein-
dre , de ces réchauffages peuvent
aller à l’infini } car la Cuve , une
fois pofée , fert toujours , de ne fi-
nit jamais, ainfi que je l’ai déjà
dit.
Il faut remarquer que plus on
met d’indigo à la fois dans la
Cuve , plus le bleu quelle donne
eft foncé : ainfi, au lieu d’une li-
vre , on y en peut mettre quatre ,
cinq de fix livres à la fois, fans
qu’il foit néceffaire pour cela
d’augmenter la dofe de l’alun,
du tartre de de la garence , dont
on compofe le brevet j mais fi la
Cuve tenoit plus de trois muids ,
il faudroit proportionnellement
152, L’Art de la Teintüre.
augmenter la dofe de ces ingré-
diens. Celle dont il vient d’être
parlé, n’étoit que de trois muids,
& elle étoit trop petite pour y
teindre à la fois la quantité de
laine néceflaire pour en faire un
drap , fçavoir cinquante-cinq à
foixante livres. Pour bien faire ,
il faudroit quelle fut au moins
de fix muids, & il y auroit un
double avantage. i°. Toute la
laine feroit teinte en deux ou trois
heures : au lieu qu’en la teignant
en deux fois, elle 11’eft achevée
de teindre qu’en huit ou dix heu-
res. z°. Au bout de trois heures
que la laine feroit teinte , retirée
&: déverdie , la Cuve fe trouvant
encore bien chaude , on pourroit,
après l’avoir palliée &:lailfé repo-
fer deux heures, y repafîer cet-
te même laine ; ce qui la feroit
monter en couleur de près de
moitié 5 parceque toute laine déjà
Chapitre VIII. ijj'
teinte > éventée & déverdie , y
prend toujours une plus belle
couleur, quune laine neuve ou
blanche qu’on laifferoit pendant
vingt heures dans la Cuve.
Il faut avoir grand foin de
faire éventer & déverdir les pe-
lotons teints qu’on retire de la
Cuve , par plufieurs mains à la
fois , afin que l’air les frappe éga-
lement , fans quoi la couleur bleue
ne feroit pas uniforme dans toute
la partie de laine.
Quelques Fabriquans préten-
dent que des draps dont la Laine
avoitreçu ce pied de bleu à l’uri-
ne , n’ont pû être exadement dé-
graiffés au foulon , même en deux
fois j d’autres ont avoüé le con-
traire , & je crois que ces derniers
ont dit plus vrai. Si cependant
les premiers avoient raifon , on
pourroit foupçonner que l’huile
animale de l’urine étant devenue
G Y
154 L’Art de la Teinture.
réiîneufe enfe defiechant fur la
laine , ou en s unifiant avec l’hui-
le dont on hume&e la laine pour
fes autres préparations 3 elle rélif-
teroit davantage à la terre du
foulonnier 6c au favon, qu’une
huile fimple par expreflîon. Pour
y remédier , il n’y auroit qu’à bien
laver la laine en eau courante
après qu’elle efi: teinte , expri-
mée 3 éventée , déverdie & refroi-
die. Quoiqu’il en foit, on préfé-
rera toujours la Cuve de Paftel,
dans les grands Atteliers de Tein-
ture , à ces fortes de Cuves d’in-
digo faites à l’urine ou autrement,
parcequ’avec un bon Guefde 6c
un habile Guefderon y on expédie
beaucoup plus d’ouvrage qu’avec
toutes les autres Cuves de bleu \
6c fi je comprends toutes les Cuves
d’Inde dans ce Traité ,c’eft moins j
dans le defifein de les introduire
dans les grandes Manufactures,
Chapitre IX. 155
que pour procurer des facilités
aux Ouvriers des petites Fabri-
ques , aufquels je fouhaitc que cet
Ouvrage foit utile comme aux
autres. Voici mêmç, pour ceux
qui travaillent de ces petites étof-
fes dans lefquelles 011 fait entrer
le fil & le coton , une Cuve à
froid, qui réuflit très-bien , dont
la couleur eft folide , mais qui ne
peut iervir pour la laine.
ils jr \lr ÜJ lîr tir Ç XÎj Xp llr îlr
CHAPITRE IX.
Cuve d’Inde À froid frms urine .
O N eft dans lufage à Rouen,
& dans quelques autres
Villes du Royaume , de teindre
dans une Cuve dinde à froid,
différente de la première du Cha-
pitre précédent , & qui eft encore °
plus commode en ce qu’elle vient
plus promptement, & quelle n’a
G v j
156 L’Art de la Teinture.
aucune mauvaife odeur. Voici
de quelle maniéré onia prépare.
On fait dilfoudre dans un pot
de terre vernilfé trois livres d’In-
digo bien pulvérifé , dans trois
chopines d’eau forte des Savo-
niers. Cette eau eft une forte Ici-
live de foude 8c de chaux vive.
Je me fuis fervi de diifolution de
potalfe, 8c j’ai très-bien réufli. La
diifolution de l’Indigo eft environ
vingt-quatre heures àfefaire,&
l’on reconnoît qu’elle eft faite , à
ce que l’Indigo refte fufpendu
dans la liqueur : ce qui l’épaillit,
&lui donne une conlîftence d’ex-
trait. On met en même temps
dans un autre vailfeau trois livres
de chaux éteinte & tamifée , avec
fix pintes d’eau , on fait bouillir le
tout pendant un quart d’heure ,
8c après l’avoir lailfé repofer,on
verfe par inclination cç qu’il y a
de clair. On fait enfuite diflou-
Chapitre IX. 157
dre , dans cette eau de chaux ,
trois livres de couperofe verte ,
& on lailfe repofer le tout juf-
qu’au lendemain. On met alors
trois cens pintes d’eau dans un
grand tonneau defapin (tout au-
tre bois que le fapin ne convi en-
droit pas, parcequ’ilnoirciroit&:
terniroit la teinture , particuliè-
rement s’il étoit de chêne ) ; on y
jette les deux dilïolutions qu’on
avoit préparées la veille ; on pal-
lie bien la Cuve , & on la laiffe
repofer. Je l’ai vu quelquefois
venir en couleur deux heures
après; mais cela ne manque pas
d’arriver au plus tard le lende-
main. Elle fait beaucoup de fleu-
rée , & le bain prend une belle
couleur verte , mais un peu plus
jaunâtre que le verd de la Cuve
ordinaire.
Lorfque cette Cuve commence
à s’ufer , ç>n la ranime fans y met-
1 5 ^ L’Art de la Teinture.
tre de nouvel Indigo , en y faî-
fant un petit brevet, compofé de
deux livres de couperofe verte
diffoute dans une fuîïïfante quan-
tité d’eau de chaux. Mais lorfque
l’Indigo a ufé toute fa couleur ,
on la recharge en y en mettant
de nouveau, difïout dans une lef-
iive telle que je viens de la dé-
crire. On juge aifément que pour
une plus grande ou une moindre
quantité d’indigo , il ne faut
qu’augmenter ou diminuer la
quantité des autres ingrédiens.
de Quelques Teinturiers ajoûtent
dans cette Cuve un peu d’eau de
feraille. C’eft un mélange d’eau
& de vinaigre , dans lequel on a
fait roüiller de vieux clous ou
d’autres morceaux de fer. Ils pré-
tendent que cela rend encore
la couleur plus folide ; mais j’ai
éprouvé que fans cela elle l’eft
fuffifamment, & autant que tous
Chapitre IX. iy?
les autres bleus , dont j’ai donné
ci-devant la préparation.
L’a première fois que j’exécu-
tai cette derniere Cuve, je la fis
fur une recette qui avoit été en-
voyée de Rouen. L’eau forte de
la lefiive des Savoniers, y étoit
défignée fimplement fous le nom
d 'Eau forte , je foupçomiai quil
y avoit erreur ou malice : cepen-
dant , comme en matière de faits,
il n’eft pas toujours raifonnable
de nier avant que d’avoir vérifié ,
j’effayai l’eau? forte ordinaire , 6c
voici ce qui en arriva.
Je pilai bien une demie livre
d’indigo , 6c je l’abbreuvai d’un
demi feptier d’eau forte commu-
ne , faite avec le vitriol 6c le fal-
pêtre : il s’y fit une fermentation.
Je leslaiflai ainfi pendant vingt-
quatre heures; 6c ayant difiout,
comme dans l’opération précé-
dente , une livre de couperofe ,
t 6 o L’Art de la Teinture.
qui étoit la proportion convena-
ble, dans de l’eau de chaux, je
verfai ces deux mélanges •fun
après l’autre dans un tonneau qui
contenoit environ foixante - dix
pintes d’eau deriviere. Je palliai
bien le tout, mais il ne parut rien
le lendemain. Je continuai en-
core deux jours à la pallier trois
fois le jour, & je la laiflai deux
autres jours fans y toucher r
croyant quelle étoit abfolument
manquée. Au bout de ces quatre
jours , le bain prit^ une couleur
roulfe , mais plus claire que celle
des Cuves de Paftel. Je la palliai
une feule fois, tk la laiflaifîx jours
fans rien faire : elle avoit un peu
de fleurée , mais très-pâle : au
bout des fix jours , la fur face du
bain étoit brune, mais le deifous
étoit d’un verd brun. Je la palliai
alors , &: il me parut que le fond
du bain avoit encore une couleur
Chapitre IX. iôi
roufïeâtre ; mais la fleurée qui
$ elevoit , étoit dune bomie cou-
leur } ce qui me fitefpérer quelle
fe rétabliroit, & qu’on y pourroit
travailler le lendemain.
J’y palfai du coton au bout de
feize heures ; il prit couleur, mais
très-foiblement , je fus obligé
de l’y laifTerpluiieurs heures pour
I avoir un bleu d’une nuance fuffi-
I famment foncée. Ce bleufoutint
r allés bien l’aftion de l’air & du
| foleil pendant douze jours d’été:
mais je fis jetter cette Cuve , par-
cequ’elle ne pouvoit être d’ufage,
à caufe de la lenteur avec la-
quelle elle faifoit fon effet. On
auroit certainement pu la rac-
commoder avec de la chaux ou
J avec quelque autre alcali, falin
ou terreux, qui auroit abforbé
l’acide de l’eau forte , mais cela
n’en valoit pas la peine. D’ail-
leurs , fur la lettre que j’ayois fait
î6z L’Art dë la Teinture.
écrire à celui qui avoit envoyé
la recette de Rouen , il vint des
éclairciffemens fur l’efpéce d’eau
forte quil falloit employer, & il
fe trouva que c etoit celle des Sa-
voniers , qui bien loin d etre aci-
de , comme l’eau forte ordinaire,
eft un alcali des plus cauftiques.
En effet , en employant cette lef-
five alcaline , l’opération me réuf-
fît dès la première fois , & depuis
je n’en ai manqué aucune.
J’ai fait plufieurs de toutes ce-s
Cuves en très-petit dans des cu-
curbites que je mettois au bain-
marie , ou au bain de fable pour
celles qui fe pofent à chaud , Sc
que je laiffois fans y rien faire ,
pour celles qui viennent d’elles-
mêmes à froid. Cesdernieresne
font aucunement difficiles , il n y
a qu’à diminuer la quantité du
bain & de tous les ingrédiens dans
la proportion de la Cuve que l’on
Chapitre IX. 163
veut pofer , & il eft prefque im-
poffible de ne pas reuffir.
A 1 egard de celle que j’ai dé»
crite la première , & qui fepofe à
chaud , comme il y a un peu plus
de difficultés , & que plulieurs
perfonnes pourraient avoir envie
d éprouver par eux -mêmes une
pareille opération, qui eft allés
curieufe , & qui ne demande ni
dépenfe ni appareil, pour la faire
en petit, je vais donner le pro-
cédé dune qui m’a parfaitement
réuffi , &: que j’avois à delïèin
chargée d’indigo beaucoup plus
qu’on ne le fait, en fuivant la
proportion ordinaire.
Je fis boüillir deux pintes d’eau
avec deux gros de garence &:
quatre onces de cendres grave-
lées : après que le tout eut boüilli
un quart d’heure , je le verfai
dans une cucurbite qui tenoit en-
viron quatre pintes , que j’avois
i^4 L’Art de la Teinture.
eu foin d’échauffer auparavant
avec de l’eau chaude , & dans
laquelle j’avois mis un quart de
poignée de fon. Je broüillai bien
le tout avec une fpatule de bois
blanc , & je plaçai ma cucurbite
fur un feu de fable très-doux , qui
ne pouvoit que l’entretenir tiède,
6c à peu près au degré de cha-
leur qui convient à la Cuve d’Im
de ordinaire.
Je continuai le feu fous le bain
de fable toute la nuit , 6c le len-
demain , fans qu’il y arrivât de
changement fenlible, je la remuai
feulement deux fois dans la jour-
née avec la fpatule. Le jour fui-
vant,il commença à s’élever de
la fleurée , il fe forma une pelli-
cule cuivreufe fur la furface , 6c
le bain étoit d’un verd brun. Je
la remplis alors d’un brevet com-
pofé d’une pinte d’eau , de deux
onces de cendres gravelées , 6c
Chapitre IX.
d’un peu de fon : je broüillai bien
le tout enfemble , puis la laiffai
tranquille : elle vint parfaitement
, bien en couleur, & le lendemain
j y teignis plufieurs moyens mor-
ceaux d’étoffe de laine. On peut
réchauffer & regarnir ces petites
Cuves avec la même facilité quu-
ne grande.
Je ne crois pas avoir rien à
ajoûter fur la manière de pofer
toutes les efpéces de Cuves qui
peuvent fervir à teindre en bleu.
Cependant je ne doute pas qu’il
n’y ait plufieurs autres pratiques
ufitées en divers endroits ,& qu’il
ne foit même facile d’en imagi-
ner de nouvelles : tout ce que
je puis dire , c’eft que toutes cel-
les que j’ai rapportées font très-
sûres , & qu’il n’y en a aucune qui
n’ait été exécutée plufieurs fois
avec la même réuffite. .
1 66 L'Art de la Teinture»
CHAPITRE X.
De la maniéré de teindre en bleu.
L orsque la Cuve , de quel-
que efpéee quelle foit, eft j
une fois préparée , & quelle eft
en état, il n’y a plus aucune dif-
ficulté à teindre les laines ou
étoffes* il ne faut, comme je l’ai
déjà dit, que les bien modifier
dans l’eau claire & un peu chau-
de, les exprimer &: les plonger
dans la Cuve , plus ou moins long-
temps , fuivant que l’on veut la
couleur plus ou moins foncée.
On évente de temps en temps l’é-
toffe * c’eft-à-dire , qu’on la retire
de la Cuve , qu’on l’exprime , en-
forte que le bain retombe dans la
Cuve, &: qu’on l’expofe un mo-
ment à l’air, qui la déverdit en
moins d’une ou deux minutes. I
Chapitre X. \Gy
Car, de quelque Cuve que l’on
fe ferve , f étoffe eft toujours ver-
te en la fortant, & elle ne prend
la couleur bleue , qu’à mefure que
l’air la Frappe : il eft même très-
à-propos de la laiffer déverdir
avant de la replonger dans le bain
pour y reprendre une fécondé
nuance , parce que l’on eft plus à
portée alors de juger de fa cou-
; leur , & de voir fi l’on doit encore
lui donner ce qu’on appelle une
ou plufieurs ; c’eft-à-dire ,
la plonger encore plufieurs fois
dans la Cuve.
C’eft un ancien ufage parmi les
Teinturiers , de compter treize
nuances de bleu , depuis la plus
foncée jufqu’à la plus claire.
Quoique leurs dénominations
foient un peu arbitraires , & qu’il
ne foit pas poffible de fixer au
jufte le paffage de l’une à l’autre ,
jl en faut du moins donner les
t£8 L’Art de la Teinture.
noms , tels qu’ils fe trouvent dans
l’Inftru&ion pour les Teintures,
publiée en 1 669 par ordre de M.
Colbert. Les voici , à commencer
par la plus claire.
Bleu blanc : Bleu naijjant : Bleu
j)âle : Bleu mourant : Bleu mignon : j
Bleu célejie : Bleu de Reine : Bleu j
Turquin : Bleu de Roy : Fleur de
Guefde : Bleu P ers : Bleu Aldego : 6c
Bleu d’ Enfer.
Toutes ces diftinétionsnefont ;
pas également reçues de tous les
Teinturiers, 6c dans toutes les
Provinces : mais la plus grande <
partie y font connues , 6c c’eft
l’unique moyen que l’on ait de 1
donner l’idée de la même cou-
leur, qui ne diffère que par être j
plus ou moins foncée.
Il n’y a aucune difficulté à faire I
des bleus foncés : j’ai déjà dit que j
pour cela il n’y a qu’à paffer plu- |
fieurs fois la laine ou l’étoffe dans :
la
Chapitre X. r 6$
la Cuve : mais il n’en eft pas de
même des bleus clairs ; car lors-
que la Cuve eft bien en état, on
ne peut yzs fouvent y laide r la
laine ailes peu de temps pour
qu’elle ne prenne que la nuance
que l’on veut. Souvent même ,
lorfqu’on a une certaine quantité
de laine à paifer, &: quelle ne
peut pas être mife dans la Cuve
toute en un même inftant , celle
qui y entre la première fe trouve
plus foncée que l’autre. Il y a des
Teinturiers, qui pour éviter cet
inconvénient, & pour faire des
bleus très-clairs, qu’ils appellent
Bleu* déblanchis ou Bleus - blancs f
prennent du bain de la Cuve d In-
de qu’ils noyent dans une très-
grande quantité d’eau claire un
peu chaude j mais cette méthode
n’eft pas bonne , pareeque la laine
teinte fur ce mélange n’a pas une
couleur à beaucoup près il folide
H
170 L’Art de la Teinture.
que celle qui eft teinte fur la Cu-
ve même , attendu que les ingré-
diens altérans qu’on met dans la
Cuve avec l’Indigo , fervent au-
tant à difpofer les pores du fujet
qu’on y plonge , qu’à ouvrir la fé-
cule colorante qui doit le tein-
dre : leur concours eft néceffaire
pour la ténacité de la couleur. Le ;
meilleur moyen qu’il y ait de faire
ces fortes de bleus clairs, c’eft
de les pafter fur des Cuves , foit
d’indigo , foit de Paftel , dont
toute la couleur foit tirée , & qui
commencent à refroidir. Celle
de Paftel y eft même encore plus
propre que la Cuve d’Inde , par-
cequ’elle ne teintpas auflipromp-
tement : je l’ai déjà dit dans un
autre endroit.
Il eft vrai que les bleus faits
fur des Cuves ufées , font plus ter-
nes que les autres , mais on peut
les aviver aides fenfiblement en
Chapitre X. 171
partant la laine ou l'étoffe fur de
l’eau bouillante. Cette pratique
eft même néceffaire à la perfec-
tion de toutes les nuances de
bleu. Outre que par-là on rend
la couleur plus vive , on l'allure
encore , &: on enlève tout ce qui
n'eft pas bien incorporé avec la
laine , & qui tacheroit les mains
ou le linge , comme cela arrive
prefque toujours, pareequepour
gagner fur le temps, les Teintu-
riers ne prennent pas affés fou-
vent cette précaution. Après que
la laine eft retirée de l’eau chau-
de , il eft néceffaire de la laver
encore à la riviere , ou du moins
en allés grande eau , afin d’ache-
ver d’emporter tout ce qui fe peut
détacher de la teinture fuperflue.
Si c’eft un bleu foncé , il eft en-
core mieux de bien fouler & dé-
gorger l’étoffe avec de l’eau & du
favon blanc , &: de la laver enfui-
Hij
17 1 L'Art de la Teinture.
te à la riviere. Le favon n’endom-
mage en aucune façon le bleu , il
ne fait que le rendre plus vif &
glus brillant.
Il faut dégorger avec le même
foin les étoffes quon teint en bleu
pour les mettre en noir , comme
je le dirai dans l'article du noir :
mais cela n’eft pas fi effentielpour
celles qui font deftinées à être mi t
fes en verdj on en verra les rai-
fons, lorfquç je parlerai de cette*
couleur.
Je crois qu’il ne doit plus refter
aucune difficulté fur ce qui regar-
de la préparation du bleu , &: la
maniéré de teindre en cette cou-
leur. Il y a des Teinturiers peu
fidèles , qui > pour épargner le
Paftel &: l’Indigo , font ufage dans
le bleu de l'Orfeille ou du bois
d'Inde &: de Brefil j mais cela doit
être expreffément défendu, quoi-
que ce bleu falfifié foie fouyeut
i
Chapitré X. 175
beaucoup plus brillant qu’un bleu
folide & légitime. J’en parlerai
dans les Chapitres qui traiteront
du petit teint.
Il ne me refte plus qu’à donner
la théorie de la mécanique invi-
fible de la teinture bleue. Cette
couleur, que je 11e confidére ici
que par rapport àfonuiage dans
la teinture des étoffes quelcon-
ques , n’a été tirée jufqu’à préfent
que du règne végétal , &: il ne pa-
roîtpas qu’on puide elpérer d’em-
ployer un jour dans cet Art les
autres bleus dont les Peintres fe
fervent ; tels que font le bleu de
Prude , qui tient du genre animal
& du genre minéral 3 * l’azur , qui
ed: une matière minérale vitri-
fiée } l’outremer , qui vient d’une
En 1748 M. Macquei , de l'Académie Royale
des Sciences , a trouvé le moyen d’employer la pré-
paration du bleu de Prude , à teindre la love & le
drap en un bleu , dont la vivacité efface tous les
bleus faits jufqu’a prefent.
r i74 L'Art de la Teinture.
pierre dure préparée ; les terres
colorées en bleu , 6ec. toutes ces
matières ne peuvent fans perdre
leur couleur en tout ou en partie ,
être réduites en atomes anés té-
nus pour être fufpendus dans le
liquide falin , qui doit pénétrer les
fibres des matières , foit anima*
les , foit végétales > dont on fabri-
que les étoffes : car fous ce nom y
on doit comprendre aufïi-bien les
toiles de fil 6e de coton * que ce
qui a été tiffuenfoye ouenlaine.
Nous ne connoiifons , jufqu’à
préfent , que deux plantes qui
donnent le bleu, apres leur pré-
paration; l’une eft ïlfatù ou GUf-
tum y qu’on nomme Paftel en Lan-
guedoc , 6e Vouede en Norman-
die ; leur préparation confifte
dans la fermentation continuée
prefque jufqu’à la putréfaction de
toutes les parties de la plante , la
racine exceptée ; par conféquent
Chapitre X. 175
dans un développement de tous
leurs principes , dans une nouvel-
le combinaison & arrangement
de ces mêmes principes > d’où il
réfulte un affemblage de parti-
cules infiniment déliées, qui , ap-
pliquées fur un fujet quelconque,,
y réfléchiffent la lumière bien dif-
féremment de ce qu’elles fe-
raient , fi ces mêmes particules
étoient encore jointes à celles que
la fermentation en a féparées.
L’autre plante efi: Y Ami qu’on
cultive dans les Indes Orientales
&: Occidentales , & dont on pré-
pare cette fécule qu’on envoyé
en Europe fous le nom à' Inde ou
d'indigo. Dans la préparation de
cette derniere plante , les Indiens
&: les Américains , plus induf-
trieux que nous , ont trouvé l’art
de féparer les feules parties colo-
rantes de la plante , de toutes les
autres parties inutiles j & les Co-
ll üij
iy 6 L’Art de la Tenture.
lonies Françoifes de Efpagnoles
qui les ont imité , en ont fait un
objet confidérable de commerce.
Pour que l’Indigo , tel que f on
nous f envoyé de l’Amérique , dé-
pofe fur les étoffes fabriquées ou
fur les laines, les particules colo-
rantes, dontleTeinturier a befoin
dans fon Art, on le fait infufer de
plufieurs maniérés dont on a lu
ci-devant la defeription. Elles fe
peuvent réduire à trois. L’infu-
ïion ou la Cuve d’Inde à froid
peut fervir aux fils de coton : cel-
les à chaud font employées pour
toutes les étoffes de quelque gen-
re qu elles viennent originaire-
ment. Dans celle à froid, on joint
à l’Indigo les cendres gravelées ,
la couperofe ou vitriol verd , la
chaux , la garence de le fon. Cel-
les à chaud fe préparent ou avec
l’eau ou avec l’urine. Si on em-
ployé l’eau , on met avec l’Indigo
Chapitre X. 177
des cendres gravelées & un peu
de garence. Si l’onfe fert d’urine,
on joint à l’Indigo l’alun & le tar-
tre. L’une 8c l’autre de ces Cu-
ves, deftinéesprincipalemcnt aux
laines, ont befoin d’un degré de
chaleur modéré , mais cependant
alfés fort , pour que la laine s’y
couvre d’une teinture folide y
c’eft-à-dirc , comme on l’a vu ci-
devant , qui puiffe rélifter à l’ac-
tion détruifante de l’air 8: du fo-
leil , ou aux épreuves ordonnées ,
& dont on peut lire le détail dans
la nouvelle inftruction de 1733.
J’ai préparé moi-même , ainli
que je l’ai dit plus haut, ces trois
Cuves en petit, dans des vaif-
feaux cilindriques de cryftal,ex-
pofés au grand jour, afin de pou-
voir voir ce qui s’y paffoit, avant
que l’infufion fut venue en cou-
leur } c’eft-à-dire , quelle fut ver-
te au-deflous de l’écume ou fieu-
Hv
*7$ L'Art de la Teinture.
rée bleue qui monte àfafurface*
&: qui eft une marque de fermen-
tation intérieure. J’ai déjaditque
cette couleur verte du bain, eft
une condition abfolument effen-
tielle , &: fans laquelle la couleur
que l’étoffe y prendrait, neferoit
pas de bon teint, &difparoîtroit
prefque entièrement aux moin-
dres épreuves.
Je vais décrire la petite Cuve
d’Inde à froid , pareeque c’eft
celle où les changemens fe font
le mieux fait appercevoir , & que
ce qui arrive dans les deux autres
n’a pas des différences bien effen-
tielles. Il eft bon d’avertir , avant
que d’aller plus loin , que ce que
j’appellerai partie dans ce Mé-
moire d’expériences , eft une me-
fure du poids de quatre gros de
toute matière, foit liquide, foie
folide } & que ce fera cette quan-
tité qu’il faudra fùppofer toutes
Chapitre X.
les fois que je me fervirai de ce
mot, dans le détail de ces expé-
riences.
J’ai mis trois cens parties d’eau
dans un vaifléau dont la capacité
étoit de cinq cens douze ou de
huit pintes , & j’y ai fait diûbudre
fix parties de couperoie verte,
qui a donné à la liqueur une tein-
te jaune. J’ai fait difloudre à part
fîx parties de potaffe danstrente-
flx autres parties d’eau y & lorf-
que la dilTolution en a été ache-
vée, j’y ai fait digérer pendant
trois heures fur un feu très-doux
lîx parties ou trois onces d’indigo
de Saint Domingue bien broyé.
Il s’y eft gonflé, &: ayant pris un
plus grand volume , il s’eft élevé
du fond de cette liqueur alcaline,
avec laquelle il a formé une efpé-
ce de fyrop épais qui étoit bleu j
marque que l’Indigo n ’étoit que
•divifé, mais non pas diiToutj car
iSo L’Art de la Teinture.
iî fa diffolution eut été parfaite ,
cette liqueur épaiflé auroit été
verte , au lieu d’être bleue , par-
ceque toute liqueur qui a été tein-
te en bleu, par un végétal, quel
qu’il foit , verdit , lorfqu on y mêle
un fel alcali, ou concret, ou en
forme liquide, foit qu’il foit fixe,
foit qu’il foit volatile. De-là on
commence à découvrir la raifon
pourquoi l’Indigo ne teint pas une
étoffe en bleu foîide , quand fon
bain n eft pas verd 5 c’eft qu’alors
la diffolution n’eft pas complette,
6c que l’alcali ne peut agir fur ces
premières particules élémentai-
res , comme il agit par exemple
fur la teinture des violettes, qui
eft une diffolution parfaite des
parties colorantes de ces fleurs,
qu’il verdit dans l’inftant & au
premier contaét.
J’ai verfé cette liqueur, bleue,,
épaiffe , dans la diffolution du vi-
Chapitre X. i&f
triolj &: après avoir bien agité le
mélange , j’y ai ajoûté iix par-
ties de chaux , éteinte à l'air :
il faifoit froid dans le temps de
• cette expérience ; le thermomè-
tre étoit à deux degrés au-def*
fous du terme de la congélation:
c’eft ce qui a été caufe que cette
Cuve a été près de quatre jours
à venir en couleur ; & la fermen-
tation qui doit fe faire néceflai-
rement dans toute liqueur vitrio-
lique , où Ton met un fel alcali ,
tel que celui de la potaffe , &une
terre alcaline , s’eft faite avec tant
de lenteur , qu’il n’a paru que
très-peu d’écume ou de bulles
d’air fur la furface du bain. Dans
une faifon chaude , & en em-
ployant de la chaux nouvelle-
ment calcinée, ces fortes deCuves
font quelquefois en état de tein-
dre au bout de quatre heures.
A chaque fois quej ai brouille
îSi L’Art de la Teinture.
le mélange avec une fpatule , j ai
toujours remarqué que ce qui
tomboit le premier au fond du
vailfeau étoit le fer du vitriol ou
couperofe, que le fel alcali en
avoit précipité pour s’unir à l’a-,
eide. Ainfï, dans cette opération
de la Cuve d’Inde à froid, on fait
un tartre vitriolé à la façon de
Tachenius, au lieu que par la
méthode ordinaire de préparer
ce fel moyen , on verfe l’efprit
acide du vitriol fur un fel alcali
vrai , tel que le fel de tartre ou la
potalfe. Voilà encore une cir-
conftance qui conduit infenfible-
ment à la théorie du bon teint.
Je prie le Le&eur de s’en relfou-
venir, pareeque j’en ferai ufage
dans la fuite de ce Mémoire 6c
dans d’autres Chapitres.
Après que le fer s’efl: précipi-
té , on voit tomber la terre de la
chaux : elle eft aifée à reconnoi-
Chapitre X. i %
tre par fa couleur blanche , qui
ne commence à difparoître pour
en prendre une plus difficile à
diftinguer, que quand les parti-
cules colorantes de l’Indigo font
afles développées. Enfin , au-def»
fus de cette terre blanche fe dé-
Çofe la fécule de f Indigo , qui peu
a peu fe raréfie de telle forte , que
v cette matière , qui dans le pre-
j mier jour noccupoit au-deffus de
la chaux précipitée , quun efpa-
ce d’un pouce de haut , s’eft é le-
vée infenfiblementjufqu’à un de-
mi pouce près de la îurface du
bain r qui le troifiéme jour eft
devenu tellement opaque qu’on
n y pouvoit plus rien diftinguer.
Cette raréfaction de l’Indigo r
lente dans les temps froids ,
prompte dans l’été , &: qu’on peut
accélérer dans l’hyver , en don-
e nant à la liqueur quinze ou dix-
I huit degrés de chaleur , eft une
r i§4 L’Art de ia Teinture.
preuve qu’il fe fa itdans le mélange
une fermentation réelle, laquelle
ouvre les molécules de l’Indigo ,
& les divife en des particules
d’une ténuité extrême. Alors
leurs furfaces ayant été multi-
pliées prefque à l’infini > elles en
font d’autant plus également dif-
tribuées dans la liqueur, qui par-
la devient propre à les dépofer
avec l’égalité convenable îur le
fujet qu’on y plonge pour y pren-
dre la teinture.
Si cette fermentation fe fait |
précipitamment , ou en peu
d’heures , foit à foccafion de la
chaleur de l’air , foit à l’aide d’un
petit feu , on voit paroître fur la
Surface du bain une grande quan-
tité d’écume, que les Teinturiers
appellent fleuré e , qui eft bleue &:
qui a des reflets qu’ils ont auflî
nommés cuivreux , parcequ’on y
yoit les, couleurs de l’arc-en-ciel.
Chapitre X. i8f
où le rouge & le jaune dominent :
ce phénomène neft pas cepen-
dant particulier à l’Indigo, puif-
qu’on apperçoit de femblables
reflets dans tous les mélanges qui
fermentent a&uellement, & prin-
■ cipalement dans ceux qui con-
tiennent des particules grades
mêlées avec des parties falines.
L’urine , la fuye , de plufieurs au-
> très corps mis en fermentation ,
; font paroître à leur furface les
* mêmes couleurs de l’Iris,
Cette écume de la Cuve d’in-
digo paroît bleue , parcequ’elle
eft expofée à l’air extérieur qui
lui efl: contigu. Mais fi l’on prend
avec une cuillère une petite
quantité du bain ou de la liqueur
[ qui efl au-deflbus de cette écu-
me , il paroît plus ou moins verd ,
félon qu’il efl plus ou moins char-
gé de particules colorantes. On
verra dans la fuite de ce Mémoi-
i $6 L’Art de la Teinture,
re la raifon de cette différence ,
ou au moins une explication très-
vraifemblable de cette altération
du bleu, qui , comme je l’ai dit,
eft abfolument nécefTaire pour la
réuflite de l’opération que je dé-
cris.
Quand la Cuve eft en cet état,
on a déjà vû qu’on y peut teindre
le coton, le fil, les toiles qui en
font tiftiies, &c. & la couleur
que ces corps y prennent, eft de
bon teint; c’eft-à-dire, que ce
fil & ce coton la confie rveront, i
même après avoir refté
diftolution, aétuellement boüil-
lante , de favon blanc. C’eft l’é-
preuve qu’on leur fait fubir , &
celle qu’on a choifî préférable-
ment à toute autre , pareeque les
toiles de coton & de fil doivent j
être blanchies avec le favon ,
quand elles font fales.
un temps convenable
Chapitre X. 187
Quoique le bain d’indigo , qui
eft en cet état, puifle teindre fo-
lidement fans addition d’aucune
autre matière , les Teinturiers,
qui font dans l’ufage d’employer
cette Cuve à froid y y ajoûtent,
comme dans les autres Cuves à
chaud, une décoétion de garen-
ce &: de fon dans l’eau commune,
&■ paflee par un tamis. C’eft ce
qu’ils nomment un brevet. Ils y
mettent la garence , pour afiiirer,.
difent-ils , la couleur de l’Indigo ,
parceque cette racine en fournit
une fi tenace , qu’elle réfifte à tou-
tes les épreuves. Ils y ajoûtent le
fon pour adoucir l’eau , qu’ils fup-
pofent contenir prefque toujours
des parties d’un fel acide , qu’il
eft bon , félon eux , d’amortir. Au
moins, c’eft-là le fentiment de
ceux que j’ai confultés.
C’eft une fuite de l’ancien pré-
jugé où l’on étoit du temps de
î88 L’Art de la Teinture.
M. Colbert contre l’Indigo } & cc
Miniftre , qui ne pouvoit pronon-
cer que d’après des expériences j
que fes grandes occupations ne
lui permettoient pas de faire fai-
re en fa préfence , défendit r
d’employer l’Indigo feul. Mais j
depuis que le Confeil a reconnu j
par les nouvelles épreuves faites
( >ar feu M. Dufay , que la ftabi-
ité de la teinture bleue de cet
ingrédient eft telle qu’on la peut
délirer, le nouveau Réglement
de 1737 laifïe la liberté aux Tein-
turiers de l’employer feule ou mê-
lée avec le Paftel. Ainfi , lî l’on
continue d’y unirlagarenc* , c’eit
plutôt parceque cette racine
fournilfant un rouge allés foncé ,
& ce rouge fe mêlant au bleu de
l’Indigo, il lui donne une teinte
qui le fait approcher du violet,
& lui fait prendre unplus bel œil.
Quant au fon , lorsqu’on l’em-
Chapitre X. 189'
ioye , c’eft moins pour amortir
: prétendu acide répandu dans
es eaux, que pour y diftribuer
ne certaine quantité de cole ou
le matière gluante ; puifque la
•etite portion de farine, qui y
elle, le divifant dans l’eau du
ain, doit diminuer un peu fa
rop grande fluidité, &parcon-
ïquent empêcher que les parti-
ules colorantes, qui y font fuf-
enduës, ne fe précipitent aufli
îte quelles le pourraient faire
ans une liqueur qui n’auroitpas
cquis un certain degré d ’épaifif-
ement.
Malgré cette cole diftribuée
ans la liqueur , tant de la part
u fon, que de la part de la ga-
:ncc , qui fournit auffi quelque
hofe de glutineux , les partial-
es colorantes ne laiflent pas que
e retomber au fond du vaifleau ,
l’on eft quelques jours fans agi-
L’Art de la Teinture.
ter le bain. Alors le haut de la li
queur ne donne plus qu’une foi
ble teinte au fujet quon y plonge
&■ fi l’on veut quelle en prernu
une convenable , il faut rebroüil
1er le mélange , de le laiffer re
pofer une ou deux heures , pou
que le fer de la couperofe de le
parties groflieres de la chaux f<
précipitent de nouveau par leu
péfanteur, de crainte que fe me
lant inutilement aux véritable
parties colorantes , elles n’alté
rent leur teinture , de ne dépofen
fur le fujet qu’on veut teindre uni
matière peu adhérente, qui ei
fe defiechant rendroit ce fuje
poudreux, & dont chaque petit!
partie occuperoit un efpace oi
la particule vraiment colorant!
ne pourroit ni s’introduire, n
même fe dépofer , avec un con
£a& immédiat au fujet.
Pour ne rien changer à la me
Chapitre X. 19Ü
hode des Teinturiers , j’ai fait
>oüillir une partie de garence
grappe & une partie de Ion dans
:ent foixante - quatorze parties
l’eau. Cette proportion de l’eau
l’eft pas néceflaire -, on en peut
nettre davantage ou moins ; mais
e voulois remplir monvaifleau,
lont la capacité étoit de cinq
< i:ens douze parties , comme je l’ai
f lit plus haut. J’ai palfé cette dé-
l:o£bion ou ce brevet, en langage
le Teinturier , à travers un linge,
5c avec expreflion : puis j’ai mis
: :et te liqueur , encore chaude , &C
pii étoit d’un rouge de fang , dans
e bain d’indigo , avec les pré-
rautions néceflaires pour ne pas
I rafler le vaifleau de cryftal qui le
■contenoit. J’ai broüillé le tout,
5c au bout de deux heures, le
bains’eft trouvé verd* par con-
féquent propre à teindre, & il a
teint en effet du coton d’une tein-
L’Art de la Teinture.
ture folide & dun bleu un peu
plus vif qu’il ne rétoit avant cette
addition du rouge de la garence.
Cherchons présentement quelle
peut être la caufe particulière dç
la folidité de cette couleur : peut-
être fera-t’elle la caufe générale
delà ténacité de toutes les autres.
Car il paroît d’avance , par l’ex-
périence ci-deflus décrite, que
cette ténacité dépend du choix
des fels qu’on ajoute aux décoc-
tions des ingrédiçns colorans ,
quand ces mêmes ingrédiens n’en
contiennent pas par eux-mêmes
qui foient à peu près de même
nature. Si avec les conféquençes
que je déduirai du choix de ces
fels, de leur nature , de leurs pro-
priétés , on confent à admettre ,
ce qu’on ne peut refufer légiti-
mement, le plus ou le moins dç
ténuité & d’homogénéité dans les
particules colorantes des ingré-
Chapitre X. 195
dîens, dont on peut faire ufage
dans la Teinture , toute la théo-
rie de cet Art fera bientôt con-
nue , fans qu’il foit néceffaire de
fuppofer des caufes incertaines
ou conteftées.
On concevra aifément que les
fels quon ajoute dans les Cuves
d’indigo, fervent autant à ouvrir
les pores naturels du fujet qu’on
veut teindre , qu’à développer les
atomes colorans de cette fécule.
Dans les autres préparations de
teinture , dont il fera parlé dans
la fuite de ce Traité, on met les
étoffes de laine bouillir dans une
diffolution de fels que les Tein-
turiers appellent bouillon . Or ,
dans ces boüillons on employé
prefque toujours le tartre & l’a-
lun. Au bout de quelques heures,
011 retire l’étoffe, on l’exprime
légèrement , & on la conferve
humide pendant quelques jours
I
194 L’Art de la Teinture.
dans un lieu frais, afin que la li-
queur faline , qui y eft reftée ad-
hérente , puilfe agir encore def-
fus , &: la préparer à recevoir la
teinture des ingrédiens, dans la
décodion defquels on la plonge
enfuite pour l’y faire boüillir de
nouveau. Sans cette préparation,
l’expérience a démontré que les
couleurs ne feroient pas folides,
du moins dans la plûpart des cas ;
car il faut avoüer qu’il y a quel-
ques ingrédiens qui donnent des
couleurs folides, quoique les étof-
fes n’ayent pas été préparées pré-
cédemment; mais c’efl: qu’alors
l’ingrédient porte en lui-même
des fels préparais. Il faut donc
élargir, &: nettoyer les pores na-
turels des fibres de la laine à l’ai-
de de ces fels , toujours un peu
corrodans j peut-être y en ouvrir
de nouveaux, pour y loger les
atomes colorais des ingrédiens.
Chapitre X. 19^
L’ébullition du bain y enfonce
ces atomes à coups répétés. Les
pores, déjà aggrandis par ces fels,
lont dilatés encore par la chaleur
de l’eau boüillante : ils fe reffer-
rent enfuite parle froid extérieur
quand on retire le fujet coloré de
la Chaudière } quand on fexpofe
à l’air extérieur, ou quand on le
plonge dans l’eau froide : ainii
voilà l’atome colorant pris & re-
tenu dans les pores ou Mures du
Corps teint par le reiïbrt de fes
fibres qui fe font contractés &:
remis dans leur premier état , &c
ont repris leur première roideur
aufli-tôt qu’ils ont fenti le froid.
Si , outre ce refiort des parois
du pore , on fuppofe que ces mê-
mes parois ont été enduits inté-
rieurement d’une couche de la li-
queur faline du bouillon , on ver-
ra aifément que c’eft un moyen
de plus , employé par l’art, pour
lij
L’Art de la Teinture.
retenir F atome coloré. Car cet
atome étant entré dans le pore
pendant que l’enduit falin despa-
rois étoit encore en diftolution ,
&par confisquent liquide j & cet
enduit s’étant enfuite congelé
par le froid extérieur , l’atome eft
alors retenu , &: par le rellort
dont il vient d’être parlé , &: par
cet enduit falin , qui étant deve-
nu dur en fe cryftallifant , forme
une efpéce de maftic qui ne l’a-
bandonne pas aifément. Si outre
cela l’atome coloré eft d’une té-
nuité, telle que la petite éminence
qui refte apparente à l’entrée du
pore , &: fans laquelle le fujet ne
paroîtroit pas teint, ne foit pas
affés élevé pour être expofée à
des chocs plus puiffans que la ré-
fiftance du reflort des parois Sc
de l’enduit qui le retient , on en
doit conclure que la teinture ré-
sultante de tous ces atomes fuffi-
Chapitre X. 197
fàmment retenus , fera extrême-
ment folide , 6c qu’elle fera delà
claffe du bon teint, pourvu que
l’enduit falin ne puiffe être em-
porté , ni par l’eau froide , telle
que celle de la pluie , ni calciné
ou réduit en poudre par les raïons
du foie il. Car pour qu’une couleur,
quelle quelle foit r foit réputée
folide ou de bon teint, il faut,
comme on le fçait déjà , quelle
réfîfte à ces deux épreuves. On
n’en doit pas raiformablement
exiger d’autres pour les étoffes
deftinées à nos habits 6c ànos em-
meublemens.
Mais nous ne connoiffons en
Chymie que deux fels , qui , étant
une fois cryftallifés , puiffent être
humeftés par l’eau froide fans s’y
dilfoudre. Il n’y a prefque aufli
que ces deux fels qui puiffent de-
meurer plufîeurs jours expofés au
foleil fans s’y réduire en farine bu
Iiij
i5>8 L’Art de la Teinture.
pouftiere blanche. Ces fels font le
tartre y ou tel qu’on le retire des
tonneaux de vin, ou purifié, &
le tartre vitriolé. Tous les autres
manquent de l’une ou de l’autre
de ces deux propriétés. Or , on
peut faire le tartre vitriolé en mê-
lant enfemble un fel dont l’acide
foit vitriolique , tels que la cou-
perofe & l’alun, &: un fel qui foit
déjà alcalifé ou qui puifle devenir
alcali , aufii - tôt qu’on en aura
chafled’acide : ce qui réufiit aifé-
ment, pourvû qu’il foit plus foi-
ble que l’acide du vitriol : tel eft
l’acide de tout fel eftentiel tiré
des végétaux.
Dans l’opération de la Cuve de
bleu, que j’ai faite en petit pour
découvrir la caufe de fes effets,
on mêle enfemble la couperofe
& la potafle , qui eft un fel alcali
tout préparé. On voit que dès
l’inftant que leurs diflolutions su-
Chapitre X. 15)9
niflent , l’alcali précipite le fer de
la couperofe en une poudre pref-
que noire. L’acide vitriolique de
la couperofe , n’ayant plus alors
de bafe métallique , fe tranfporte
fur cet alcali 3 & de leur union il
fe forme un fel moyen, auquel
on a donné le nom de tartre vi-
triolé , comme s'il eut été fait avec
le fel de tartre & l’acide du vi-
triol déjà féparé de fa bafe 3 par-
ceque tout fel alcali , de quelque
végétal qu’il vienne , eft parfaite-
ment femblable , pourvu qu’il ait
été fuffifamment calciné. Tout ce
que je viens de dire dans cet ar-
ticle ne fouffre pas de difficulté.
Il n’en eft peut-être pas de mê-
me du bouillon fervant aux autres
couleurs , comme le rouge & le
jaune. Peut-être refufera-t’on de
m’accorder qu’il fe puifte faire un
tartre vitriolé du mélange de l’a-
lun du tartre crud qu’on y fait
Ii iiij
zoo L’Art de la Teinture.
boiiillir enfemble. Cependant la
théorie en eft la même , & je ne
vois pas qu’on puiffe la concevoir
autrement. On y employé l’alun,
qui eft un fel dans lequel l’acide
vitriolique eft uni à une terre : fi
l’on y joignoit un fel alcali , cette
terre feroit précipitée dans l’inf-
tant, & le tartre vitriolé ferok
bien-tôt formé. Mais au lieu de
ce fel alcali , on fait boüillir avec
l’alun le tartre crud , qui eft le fel
eflfentiel du vin , c’eft-à-dire , un
fel compofé de f acide du vin,
qui eft beaucoup plus volatile que
l’acide vitriolique , & d’une huile,
l’un & l’autre concentré dans un
peu de terre. Ce fel, ainfi que
tous les Chymiftes le fçavent , de-
viendra fel alcali dès qu’on en au-
ra chafie l’acide. Ainfi , lorfqu’on
fait boüillir enfemble l’alun & le
tartre crud, outre l’impreftion que
les fibres de l’étoffe à teindre re-
Chapitre X. 201
çoivent du premier de ces fels ,
qui eft un peu corrodant , le tar-
tre eft par lui purifié ; &: de fale 6c
grollier qu’il étoit,il devient net
& tranfparent à l’aide de la por-
tion de terre qui fe fépare de l’a-
lun , & qui fait fur le tartre à peu
près le meme effet que la terre
de Merviek , dont on fe fert à
Montpellier pour la fabrique de
la crème détartré. Il peut fe faire
aufli, & cela eft très-vraifembla-
ble , que l’acide vitriolique de l’a-
lun chaftantune partie de l’acide
végétal du tartre , il s’en forme un
tartre vitriolé aufli dur & aufti
tranfparent que le cryftal de tar-
tre. Que ce foit l’une oui’ autre
fuppofition qu’il faille admettre ,
il en réfui tera toujours, dans les-
pores ouverts des fibres de la lai-
ne, un enduit falin , qui fe cryftalli-
fe dès qu’il eft expofé à un air ra~
fraîchiflant l’étoffe qui fort de la
ly
loi L’Art de la Teinture*
teinture j qui ne fe calcine point
à l’air chaud , qui ne peut être
diffout par l’eau froide. C’efttout
ce que j’avois à démontrer dans
cette digreiîîon que je n’ai pu évi-
ter.
Cette théorie eft commune à
la Cuve d’indigo, où l’on met
l’urine à la place de l’eau , l’alun
& le tartre crud à la place du vi-
triol & de la potaffe. Cette Cuve
à l’urine ne peut teindre folide-
ment que lorfqu’elle eft très-
chaude , & il faut même y laifler
tremper la laine une heure ou
deux , fi l’on veut qu elle foit tein-
te également. Dès que cette Cu-
ve eft refroidie , elle ne teint plus.
La raifon de ces faits feroit diffi-
cile à découvrir dans une Cuve
opaque de métal \ mais dans un
vailfeau de cryftal , on la décou-
vre aifément. J’ai lailfé refroidir
cette petite Cuve d’eflai , & toute
Chapitre X. iof
la couleur verte qui y étoit fuf-
pendue , pendant qu’elle étoit
chaude , s’eft précipité peu à peu
i au fond du vaifiéau, parcequ’a-
lors le tartre fc cryftallifoit , 6c fe
réuni liant en des malles plus pe-
lantes que fes molécules ne le-
toient pendant que la liqueur
ctoit chaude , 6c qu il étojt en dif-
folution , il tomboit au fond du
vailleau , 6c entraînoit avec lui les
particules colorantes. Quand je
rendois à cette liqueur fon degré
précédent de chaleur ? de qu’a-
près l’avoir broüillée , puis lailfé
repofer un peu J’y faifois tremper
un petit morceau de drap , je
l’en retirois au bout d’une heure
aulli folidement teint que la pre-
mière fois. Àinfi , lorfqu’on fe fert
de cette Cuve , 6c qu’on Ta mife
une fois en état, il ne s’agit plus
que d’y tenir le tartre en diffolu-
tion j ce qui ne fe peut que par
2c>4 L'Art de la Teinture.
une chaleur un peu forte. C’eft
l’alcali de l’urine qui la verdie:
c’eft l’alun qui prépare les fibres
de la laine : c’eft le cryftal de tar-
tre qui aflùre la teinture , en maf-
tiquant les atomes colorans dé-
pofés dans les pores.
Il refte une difficulté par rap-
port à la Cuve d’Inde , dans la-
quelle on n’introduit ni vitriol y
ni alun, ni tartre , & où l’on ne
met Amplement que la cendre
gravelée , en meme quantité que
l’Indigo , & qu’on fait chauffer
ailes vivement pour y teindre les
étoffes de laine. Avant que de
rendre raifon de la folidité de fa
teinture , qui eft égale à celle des
autres Cuves de bleu où l’on fait
entrer les fels que je viens de nom-
mer, il faut examiner la cendre
gravelée. On fçaitque c’eft la lie
du vin defféchée , puis calcinée.
Ceft donc un fel alcali de la na-
Chapitre X, ioç'
ture du fel de tartre , mais moins
pur, puisqu’il vient de la partie
la plus pefante des fèces du vin ,
&parconféquent la plus terreufe.
Outre cela , l’alcali de la cendre
gravelée n’eft jamais auffi homo-
gène que le fel alcali du tartre
bien calciné , & il n’y a prefque
point de cendre gravelée non
purifiée , comme eft celle que l’on
vend , dont on ne puilfe retirer
line quantité confidérable de tar-
tre vitriolé. Il eft même probable >
par une expérience que j’ai rap-
portée ailleurs , quon pourroit à
la longue la convertir toute en-
tière en ce fel moyen : on peut
dire la même chofe de la potafte
& de tous les fels alcalis qui ne
contiennent pas labafe du fel ma-
rin, Ce défaut d’homogénéité eft
caufe que la cendre gravelée ne
fe met jamais entièrement en de-
liquuim à l’air. Or, puifque l’ex-
lo 6 L’àrt dé la Teinture.
périence démontre qu’il y a un
tartre vitriolé tout formé dans la
cendre gravelée , il eft clair que
cette Cuve d’Inde , qui ne teint
bien la laine qu’après que le bain
a été chauffé affés vivement pour
qu’on ne puiffe y tenir long- temps
la main fans fe brûler, diffoudra
la petite portion de tartre vitrio-
lé qui s’y trouve , & parconfé-
quent ce fel s’introduira dans les
pores de la laine pour les nettoyer
& les enduire , & il s’y coagulera
aufîi-tôt que la laine , retirée du
bain , fera expofée à l’air pour s’y
refroidir.
J’ai encore à expliquer pour-
quoi la Cuve d’indigo eft verte
fous la première furface du bain }
pourquoi il faut que ce bain foit
verd, pour que la teinture bleue
foit folide, & pourquoi l’étoffe
qu’on retire verte du bain de-
vient bleue auffi-tôt qu’on la
Chapitre X. 1 07
éventée. Toutes ces conditions
étant néceflai renient communes
dans toutes les Cuves d’Inde ,
froides ou chaudes , la même ex-
plication fervira pour toutes.
i°. L’écume ou fleurée qui
monte à la furface du bain d’in-
digo , lorfqu’il eft en état de tein-
dre , eft bleue , &: le deflous de
cette écume eft verd. Ces deux
circonftances prouvent que l’In-
digo eft parfaitement diffout, &
que le fel alcali s’eft uni aux ato-
mes colorans de cet ingrédient ,
puifqu’il les verdit; car fans lui y
ils refteroient bleus.
z°. Ces mêmes circonftances
prouvent auflî qu’il y a dans l’In-
digo lui-même un alcali volatile
urineux, que l’alcali fixe de la
potafle , ou l’alcali terreux de la
chaux développe & qui s’évapo-
re peu de temps après que cette
0 écume a été expofée à l’air. On
ioî L’Art de la Teinture.
peut fe convaincre del’exiftence
de ce volatile urineux , en exami-
nant l’odeur qui fe développe de
la Cuve pendant la fermentation \
lorfqu’on l’agite , ou quand on la i:
chauffe , on y démêle celle d’une
viande gâtée , qu’on feroit rôtir,
avec quelque chofe d’un peu pic- i
quant.
3 0 . La préparation de l’anil,
pour en féparer la fécule , eft une i
Fermentation continuée jufqu’à la
putréfadion. Or , il y a de furi-
lieux dans toutes les plantes pour-
ries } foit que ce volatile urineux
foit le produit d’une union intime
des fels avec l’huile du végétal,
foit qu’on doive le rapporter à la
multitude prodigieufe des infec-
tes qui abordent de toutes parts*
fur les plantes qui fermentent,
attirés par l’odeur qui s’en exha-
le : ils y vivent, y multiplient, y
meurent , de y laiifent parconfé-
Chapitre X. 20$
quent une infinité de cadavres.
Donc il fe joint à ce végétal une
matière animale dont le fei eft
toujours un volatile urineux. Le
même urineux exifte aufli dans le
Paftel, qui eft préparé de même
par fermentation <k par putréfac-
tion, ainfi que je fai déjà dit , &
qu’on le verra inceftamment dans
le détail abrégé de fa prépara-
tion.
4 0 . Enfin , pour derniere preu-
ve , fi on diftifle de l’Indigo ou du
Paftel dans une cornue , foit feuls,
ou encore mieux après y avoir
joint quelque alcali fixe falin ou
terreux , on en retire une liqueur ,
qui dans toutes les épreuves chy-
miques fait l’effet de l’efprit vo-
latile de l’urine.
Mais on demandera peut-être
pourquoi ce volatile urineux , que
je fais voir dans l’Indigo ,ne fait
pas paroître cette fécule verte r
li o L’Art dè ia Teinturé.
puifqu’il doit être diftribué éga-
lement entre toutes fes parties?
Pourquoi même , quand on dif-
fout l’Indigo dans l’eau boüillan-
te pure , il la teint en bleu , & non
pas enverd? Je réponds que ce
volatile urineux eft fi concentré
qu’il lui faut un corps étranger
plus adif que l’eau boiiillante,
pour le chafler des particules qui
l’enveloppent : que la diflolution
de l’Indigo ne fe fait jamais par- ,
faitement dans l’eau feule , quel-
que degré de chaleur qu’on lui
donne 3 qu’il n’y eft que délayé , & ,
non diftout : qu’à la vérité cette
décodion de l’Indigo bleuit les 1
étoffes qu’on y trempe, mais la
couleur bleue ne s’y applique qu’i-
négalement , & d’autre eau boiiil-
lante l’enlève prefque fur le
champ. Qu’il me foit aufti per-
mis de répondre par un exemple
tiré d’un autre fujet. Le fel am-
Chapitre X. in
moniac , dont les Chymiftes ti-
rent l’efprit volatile le plus péné-
trant, n’a point cette odeur vi ve-
ulent urineufe quand on le dif-
fout dans l’eau , &: qu’on l’y fait
boüillir : il faut y ajouter, ou la
chaux ou un fel alcali fixe , pour
“il dégager le volatile urineux :
de même l’Indigo exige des al-
calis fixes falins ou terreux, pour
être exadement décompofé y
pour que fon fel volatile urineux
fe fafle appercevoir , pour que fes
atomes colorans foient réduits à
leur ténuité vraifemblablement
élémentaire.
Je pafie à la fécondé condi-
tion. Il faut que le bain de la Cu-
ve d’Inde foit verd, pour que la
teinture qu’il donne foit folide.
C’eft , comme je l’ai déjà dit , que
l’Indigo 11e feroit pas exadement
diffout , fi l’alcali n’agifioit pas
deffus : fa dilîolution n’étant pas
ii z L’àrt de la Teinture.
auffi parfaite quelle le doit être,
il ne pourroit teindre , ni égale-
ment, ni folidement. Or , dè s que
le fel alcali agit deffus , il doit le
verdir, parceque tout alcali, qu on
mêle à un fuc ou teinture bleue
d’une plante ou d’une fleur quel-
conque , la verdit dans Tinftant ,
quand il peut fe diftribuer égale-
ment fur toutes fes parties colo-
rantes. Mais fî par évaporation ,
ces mêmes parties, colorées ou co-
lorantes, fe font raffemblées en
des malles dures * compa&es ,
f alcali ne pourra changer leur
couleur, qu’il ne les ait pénétrées,
divifées & réduites à leur pre-
mière ténuité : c’eft ce qui arrive
à l’Indigo , dont la fécule eft , pour
ainfi dire , un fuc épaiflï & delfé-
ché de l'ami.
A l’égard de la troifiéme &
derniere condition, que l’étoffe
doit être retirée verte du bain.
Chapitre X. 11 $
c devenir bleue aufll-tôt qu’on
a éventée , fans quoi le bleu ne
eroit pas de bon teint } on peut
n rendre les raifons fuivantes :
)n la retire verte , parceque
^baineftverdj s’ilnel’étoitpas,
? fel alcali , quon auroit mis dans
i Cuve , ne feroit pas diftribué
gaiement, ou bien l’Indigo ne
*roit pas exactement diffout. Si
alcali n’étoit pas également dif-
cibué , la liqueur contenue dans
i Cuve ne feroit pas également
iline : le bas de cette liqueur
uroit tout le fel, le haut feroit
îfipide : en ce cas l’étoffe qu’on
plongeroit ne pourroit être pré-
arée à recevoir la teinture , ni à
i retenir. Mais quand on la re-
ire verte au bout d’un quart
’heure d’immerfion, c’eft une
îarque que la liqueur étoit éga-
lent fàline, également char-
ée d’atomes colorans : c’eft une
214 L’Art de la Teinture.
marque auflî que le fel alcali a pu ,
s’inlînuer dans les pores des fi-
bres de cette étoffe , &: les élargir
comme il a été dit précédent- j
ment, peut-être y en former de
nouveaux. Or , on ne doutera pas
que le fel alcali ne puiffe faire cet
effet fur une étoffe de laine , lorf
qu’on fe reffouviendra, que quand
une leflîve alcaline eft très-âcre .
elle brûle &: diffout prefque dans
Y inftant un flocon de laine ou la
barbe dune plume qu’onytrem- !
pe. Une opération de teinture,
qu’on nomme la fonte de boure , en <
eft encore un exemple j la boure
qu’on y employé , &: qu’on fait
boüillir dans une diffolution de
cendres gravelées faite dans l’u-
rine , s’y diffout fi parfaitement
qu’on n’en retrouve pas la moin-
dre fibre. Donc , fi une leflîve ex-
trêmement âcre détruit entière-
ment la laine , une lellive qui
Chapitre X. 2,15
l’aura de fel alcali que ce qu’il
ui en faut p£>ur agir fur la laine
ans la détruire , en préparera les
>ores à recevoir & conferver les
.tomes colorans de l’ingrédient,
[ui eft l’objet de cette Differta-
ion.
On évente l'étoffe après l’avoir
etirée verte de la Cuve & l’avoir
xprimée ou torfe ; & elle devient
Lieue. Que fait-on en l’éventant î
n la refroidit. Si c’eftle volatile
rineux, développé de l’Indigo,
[ui lui a donné cette couleur ver-
e, il s’évapore, & le bleurepa-
oît. Si c’eft l’alcali fixe qui eft la
auie de ce verd , outre qu’on en
ôté la plus grande partie en ex-
« rimant fortement l’étoife ; ce qui
n refte 11e peut plus agir fur la
•artie colorée , parceque le petit
tome de tartre vitriolé , qui con-
ient un atome coloré encore plus
»etic que lui , s’eft cryftallifé dès
'iiG L'Art de la Teinture.
qu’il a été expofé au froid de i’air;
& refferrant ce même atome co-
loré à l’aide du reffort des parois
du pore , il achève d’exprimer ce
qui pourrait y être refté d’alcali,
qui ne fe cryftallife pas comme
un fel moyen.
On avive ce bleu , c’eft-à-dire ,
qu’on le rend & plus vif & plus
beau , en faifant tremper dans de
l’eau chaude l’étoffe qui vient d’en-
tre teinte , parcequ’alors les par-
ticules colorantes qui n’avoient
qu’une adhérence fuperfîcielle
aux fibres de la laine, font em-
portées. On fe fertdufavonpour
éprouver la folidité de la teinture
bleue , &c elle doit lui réfifter , par-
ceque le favon, que d’ailleurs on
ne met qu’en petite quantité dans
beaucoup d’eau , & qui ne doit
agir fur l’échantillon teint que
pendant cinq minutes , à quoi on
a fixé le temps de l’épreuve , eft
un
Chapitre X. 117
un alcali mitigé par l’huile , qui
ne peut agir fur un fel moyen.
S’il décharge l’échantillon de
quelques parties de fa couleur,
c’efl: que ces parties n’étoient que
I fuperficiellement adhérentes.
D’ailleurs, le petit cryftal falin
enchaffç dans le pore, &quifert
à y maftiquer l’atome colorant,
ne peut être diffout dans un fi
} court elpace de temps, de ma-
; niere qu’il refiorte du pore avec
( l’atome qu’il retient.
On a vu dans cette Difierta-
tion un eflai de la méthode que
j’employe pour trâiter de la Tein-
ture , autrement qu’on ne l’a fait
jufqu’à préfent: je la foumets aux
Phyficiens qui feroient peu con-
tens d’un fimple détail de procé-
dés , fi je ne leur préfentois pas
en même temps la théorie de leur
réuflite. Je fuivrai cette méthode
dans les autres expériences fur
K
ii 8 L’Art de la Teinture.
les rouges , les jaunes , autres
couleurs fîmples ; car il eft abfo-
lument néceffaire de les connoî-
tre avant que de palier aux cou-
leurs compofées , pareeque ces
dernieres ne font ordinairement
que des couleurs appliquées les
unes après les autres , 6e rarement
mêlées enfemble dans un même
bain ou décoétion. Ainfî, con-
noiflant ce qui procure la ténacité
d’une couleur lîmple > on pourra
fçavoir plus aifément fî la fécon-
dé couleur peut prendre place à
côté , dans les efpaces que la pre-
mière a laides vuides , fans dépla-
cer la première de ceux qu’elle
occupe déjà. C’eft-là l’idée que
je me fuis formée de l’arrange-
ment des couleurs différentes , ,
appliquées fur une même étoffe;
pareequ’il me paroît affés difficile i
de concevoir que des atomes co-
lorans puiffent fe pofer les uns
Chapitre X. 219
fur les autres, 6c former ainfi des
efpéces de pyramides, en con-
fervant chacune leur couleur,
pour que du mélange de toutes
il en réfulte une couleur compo-
fée , 6c qui cependant paroiffe
uniforme , 6c pour ainfi dire , ho-
mogène. Il faudrait pour cela
fuppofer à ces atomes une trans-
parence , qu’il ferait difficile de
démontrer. De plus , pour qu’un
atome jaune fe place immédia-
tement fur un atome bleu, déjà
enchafle dans le pore de la fibre •
d’une étoffe , 6c pour qu’il y refte
Solidement attaché , il faut nécef-
fairement qu’ils fe touchent par
des plans extrêmement polis.
Qu’un atome rouge vienne en-
fuite fe placer fur le jaune , il faut
encore fuppofer de nouveaux
plans auffi exafts 6c auffi polis que
les premiers. L’imagination a de
la peine à fe prêter à toutes ces
'no L’Art de la Teinture.
fuppofitions \ de il me paroîtbien
plus probable , que la première
couleur n’a occupé que les pores
qu’elle a trouvé ouverts par la
première préparation des fibres
de l’étoffe : qu’à côté de ces po-
res remplis , il en refte encore à
remplir , ou au moins des efpaces
non occupés , où l’on peut ouvrir
de nouveaux pores pour y loger
les nouveaux atomes d’une fé-
condé couleur , à l’aide d’un fé-
cond boüilion compofé de fels
corrodans , qui étant les mêmes
que ceux du premier boüilion ,
ne détruiront pas les premiers
cryftaux falins introduits dans les
premiers pores.
Ce que j’ai dit pour expliquer
la maniéré d’agir d’une Cuve
d’indigo , peut fervir à expliquer
auiîi l’adion de la Cuve de Paftel
fur les laines de étoffes qu’on y
pafle : il n’y a qu’à fuppofçr dans
Chapitre X. iiî
le Paftel des fels naturellement
exiftans , &: à peu près de même
caradere que ceux qu’on ajoûte
à la Cuve d’Inde. On a vu par la
defcription que j’ai donnée de
l’une èc l’autre de ces Cuves , que
celle de Paftel eft infiniment plus
difficile à conduire que l’autre.
J’eftime , & je crois qu’il eft très-
-raifonnable de le fuppofer , qu’on
pourroit applanir toutes ces diffi-
cultés , fi l’on vouloit tenter de
préparer en France Y I fat is , com-
me on prépare l’Anil aux Indes
Occidentales. Il faut donc met-
tre ici en parallèle leurs différen-
tes préparations. J’emprunte ce
qu’on va lire des Mémoires de M.
Aftruc , pour Y Hijloire naturelle du
Languedoc. Paris, Cavelier 1737 .
in-4°. pag. 330. de 331.
» Selon les Teinturiers, le Paf-
» tel ne fait que des couleurs lan~
» guiffantes ôc foibles , au lieu que
Kiij
L’Art de la Teinture.
» celles de l’Indigo font vives &
» éclatantes. Il faut même con-
» venir que l’opinion des Teintu-
33 riers eft allés conforme à la rai-
3? fon. L’Indigo eft une poudre
33 fine & fubtile , capable parcon-
» féquent de pénétrer aifément
33 dans les étoffés , &: de leur don-
33 ner une couleur éclatante. Le
33 Paltel au contraire n’eft qu’un
33 marc groftier chargé de heau-
33 coup de parties tcrreufes , qui
33 rallentilfent l’aéfion & le mou-
33 vement des parties fubtiles , &
33 les empêche d’agir efficace-
33 ment.
33 Je ne connois qu’un moyen
33 de remédier à cet inconvé-
33 nient) c’eft de préparer le Paf-
33 tel de la même maniéré qu’on
33 prépare l’Indigo : par-là on don-
33 neroit aux couleurs , faites avec
33 le Paftel , l’éclat &: la vivacité
» de celles qu’on fait avecl’Indi-
Chapitre X. 215
•> go, fans rien diminuer de l’ex-
» cellence de de 1 ’ affurance qui
» rendent particulièrement re-
» commandables les couleurs où
x le Paftel entre.
» J’ai déjà fait en petit , ajoute
33 M. Aftruc, des épreuves de ce
33 que je propofe , de ces épreu-
» ves m’ont réuffi, non-feulement
» dans la préparation de la pou-
» dre de Paftel , mais auffi dans
33 l’ufage de cette poudre pour la
33 teinture. C’eft à ceux qui font
33 prépofés pour veiller à l’utilité
33 publique, de faire faire fur cette
33 matière des épreuves en grand*
33 de fi elles ont le fuccès qu’on
33 croit pouvoir s’en promettre ,
33 ce fera à eux d’exciter ceux qui
33 cultivent le Paftel à fuivre cette
33 nouvelle maniéré de le prépa-
33 rer, de à régler les encourage-
» mens qu’ü convient de leur don-
» uer au commencement , pour
Kiiij
2.2.4 L'Art de la Teinture.
» les mettre en état de foutenir
» les dépenfes où cette nouvelle
» pratique les engagera, jufqua
» ce que l'avantage connu qu’ils
» en retireront ,puifle fuffire pour
»> les y déterminer.
Je ne fçavois pas que M. Aftruc
eut eu la même idée que moi,
quand je propofai lapremiere fois
d’effayer en Languedoc la me- 1
thode des Américains ; mais ;
ayant lu depuis fes Mémoires fur
cette Province, je fus charmé I
d’avoir penfé comme cet habile
homme j & puifqu’il a réufli dans
des expériences en petit, il eft ï
probable que l’entreprife auroit
le même fuccès en grand. Car je
fuis bien éloigné d’être de l’avis de
celui qui critiqua cette propofi-
tion, lorfqu’elle lui fut commu-
niquée. Trop de préjugés en fa-
veur des routines établies dans fa
Province lui fit même propofer
Chapitre X. 12 5
d’obliger les Colons de l’Améri-
que à préparer leur Anil aulli
groflîerement qu’on préparé le
Paftel en Languedoc; fans faire
réflexion que l’expérience cft
contre lui ; que l’Indigo, tel qu’on
nous l’envoye , donne une teintu-
re non-feulement plus belle , mais
aufiî folide que celle du Paftel ,
& fans faire attention à l'embar-
ras &: aux frais du tranfport d’une
marchandife dont le volume dé-
cuplerait, s’il falloit apporter en
Europe toute la plante de l’AniL
Au refte , l’entêtement ne prouve
rien ; c’eft à l’expérience qu’il faut
avoir recours : &: fl l’on pouvoir
parvenir à féparer la fécule co-
lorante du Paftel , comme on pré-
pare celle de l’ Anil, les habitans
du Languedoc n’auroient pas
dans la fuite autant de fujet de
s’en repentir, qu’en auraient les
François 6 c les Efpagnols de l’A-
K v
n 6 L’Art dé la Teinture.
mérique , aufquels on ne peut fe
difpenfer d’avoüer qu’une fenv*
blable fabrique feroit beaucoup
de tort. Il eft donc queftion de
fçavoir s’il y a plus d’avantage à
rétablir dans le Languedoc les
produits confidérables qui réful*
toient autrefois de la culture du
Paftel, avant qu’on fit ufage de
l’Indigo en Europe , qu’à tirer
l’Indigo des Colonies de l’Amé-
rique , où cette marchandife fait
fubfifter plufieurs François. Les 3
uns &: les autres font fujets du
Roy , 3c doivent avoir part à fa
protedion. Ce font des combi- \
naifons 3c des calculs à faire ,
qui font inutiles dans ce Traité.
Je vais feulement propofer les
moyens de faire réufiir l’expérien-
ce propofée par M. Aftruc > 3c ces
moyens réfultent naturellement
de la comparaifon qu’on fera de la
méthode employée dans le Lan- 1
Chapitre X. nj
guedoc pour la préparation du
Paftel, &: de la méthode ingé-
nieuie par «laquelle on fépare en
Amérique la fecule del’Ànil. J’ai
déjà donné celle-ci au commen-
cement du Chapitre 7 : Il on la
veut avoir plus étendue , il faut
lire l’ Hijioire des Antilles du P. du
T °rtre & du P . Labat. Quant à la
fabrique du Paftel , voici ce que
M. Aftruc en dit , &: on fera bien-
aife , à ce que je crois , de trou-
ver tout ce détail dans ce Traité.
Les Païlans ( de l’Albigeois ) Fabrique
ont accoutumé de diftinguer du Paikls
deux differentes graines de Paf-
tel 3 lune violette , &: l’autre jaune.
Ils préfèrent la violette , parce-
que le Paff el , qui en lève , a les
feuilles liffes &: unies , au lieu que
celui qui lève de l’autre graine ,
les a velues 3 ce qui fait qu’il fe
charge de pouffiere &: de terre,
& que le Paftel en vaut moins.
K vj
zi 8 L’Art dè la Teinture.
Ce Paftel s’appelle Pajlelbourg oîi
Bourdaigne.
Le Paftel poufle d’abord hors
de terre cinq ou fix feiiilles,qui
fe foutiennent droites pendant
qu’elles font vertes. Elles font
longues d’environ un pied 5 &: lar- s
ges de fix pouces. Elles commen-
cent à mûrir vers la Saint Jean:
on connoît qu’elles font mûres ,
en ce quelles s’affaiflent & com-
mencent à jaunir ; on les cueille
alors, &:c. On farcie enfuite de i
nouveau le Paftel , ce qu’on a foin j
de réitérer à chaque récolte.
En Juillet, s’il y a eu quelque i
pluie , on fait une fécondé récol- t
te. La pluie ou la féchereffe l’a-
vancent ou la retardent de huit i
jours. A la fin du mois d’Août , on
en fait encore une autre. On en
fait une quatrième à la fin de
Septembre \ &c huit jours après
la Tou/Taint, on fait la derniere»
Chapitre X. 2255
Elle eft plus forte que les autres ,
pareeque l’intervalle eft plus long:
on coupe à cette récolte le colet
de la plante , c’eft-à-dire , le haut
de la racine , d’où partent toutes
les feüilles. Le Paftel qui en pro-
vient eft mauvais , &: cette récol-
te eft défendue par les Régie-
mens.
# O11 ne cueille jamais le Paftel
pendant la pluie ni le broüillard:
il faut que le temps foit ferain , &
que le foleil ait donné fur les feüil-
les.
A chaque récolte , on porte les
feüilles au moulin, à mefure qu’on
les cueille , pour les écrafer & les
réduire en pâte fine , où l’on ne
diftingue plus les côtes. Cela doit
le faire promptement , pareeque
ces feüilles , lorfqu’on les laifte
entaflees, fermentent & fepour-
rilfent bien-tôt , avec une puan-
teur infupportable. Ces moulins
l$o L’Art de la Teinture.
font alfés femblables aux moulins
à huile ou à tan. Ils font compofés
d’une meule pofée de champ , qui
roule autour d’un pivot perpen-
diculaire , dans une orniere cir-
culaire ailes profonde, dans la-
quelle on met le Paftel qu’on veut
faire broyer. M. Aftruc en a fait
graver la figure.
Quand le*s feüilles font bien
écrafées & réduites en pâte fous
la meule , on en fait une pile dans
lesgalleries dumoulin, ou en de-
hors , à l’air ouvert. Après avoir
bien prelfé la pâte avec les pieds
ôc les mains , on la bat & on l’u-
nit par-delfus avec la pèle. C’eft-
là le Paftel en file.
Il s’y forme par dehors une
croûte qui devient noirâtre :
quand elle s’entr’ouvre , on l’unit
de nouveau avec beaucoup de
foin: autrement le Paftel s’éven-
te , de il fe forme dans les crér
Chapitre X. 23 1
vafles de petits vers qui le gâtent.
Après quinze jours, on ouvre
le monceau de Paftel , onle broyé
entre les mains , 6c Ton mêle en-
femble la croûte 6c le dedans : il
faut même quelquefois écrafer la
croûte avec une maffe pour la
pouvoir broyer.
On fait enfuite de cette pâte
de petits pains ou pelotes rondes
qui doivent pefer , fuivant les Or-
donnances , cinq quarterons ,
poids de Table. On ferre bien
ces pelotes en les formant, 6c on
les donne enfuite à une autre
perfonne , qui les appuyant dans
une écuelle de bois , les preffe de
nouveau, les allonge par les deux
bouts oppofés , les rend ovales , 6c
les unit bien. Enfin, on les donne
à une troifiéme perfonne qui
achève de les façonner dans une
autre écuelle plus petite , en les
ferrant 6c les unifiant parfaite-
ment*
L’Art m tA Teinture.
Ces pelotes s’appellent Coques
ou Coquaignes , de le Paftel ainli
apprêté , Pafiel en Cocaigne . C’eft
delà que vient l’ufage de dir epaïs
de Cocaigne , pour dire un païs
riche , pareequé le païs où croît
le Paftel ( * ) s’enrichiiïoit autre-
fois par le commerce de cette
drogue.
On étend ces pelotes (**) ou
cocaignes fur des claies , de on les
expofe au foleil, s’il fait beau*
linon, on les porte d’abord au
deflus du moulin. Le Paftel qui
a été expofé pendant quelques
heures au foleil , prend une cou-
leur noire au dehors , au lieu
que celui qui a été d’abord ren-
fermé, eft ordinairement jaunâ-
( * ) U ^Albigeois & le Lauragdis.
( ** ) Il y a un endroit dans l’Inde > dont je nê
puis retrouver le nom # ou l’on prépare V^inil com-
me le Paftel , & il en vient de Y Indigo en cocaigne#
qui contient toute la matière inutile de la plante.
Audi eft-il très-difficile d’en préparer une Cuve de
feleu.
Chapitre X.
rre , fur-tout fi le temps eft plu-
vieux. Les Marchands préfèrent
le premier j on afiiire cependant
que la différence n’eft pas confi-
dérable dans lufage : il arrive
même que le Paftel eft toujours
jaunâtre, parceque lespaïfansne
le travaillent ordinairement que
pendant la pluie , &lorfqu ils ne
peuvent faire autre chofe.
Les pelotes font communément
féches en été dans quinze ou
vingt jours : au lieu qu’en autom-
ne, le Paftel de la derniere ré-
colte eft long-temps à fécher. Le
vent de Sud-Eft,qui eft chaud &
fec , contribue beaucoup à le faire
fécher plus vite.
Les bonnes pelotes fe diftin-
guent des autres , en ce qu’en les
écrafant elles font violettes en-
dedans, & quelles ont une odeur
affés agréable -, au lieu que les au-
tres ont une couleur de terre , ôc
2.34 L’Art de la Teinture.
une mauvaife odeur : ce qui vient
de ce qu’on a cueilli le Paftel pen-
dant la pluie , lorfque les feiiilles
étoient chargées de terre. On ju-
ge aufii de la bonté des pelotes
par le poids j car elles font légè-
res, lorfque la matière s’eft éven-
tée ou pourrie, faute d’avoir été
bidi preflee.
Poudre C’eft de ces pelotes bien ap-
de Paftel. potées qu’on fait la poudre de
Paftel. Pour entreprendre cette
opération , il faut au moins cent
milliers de pelotes. On y procède
ainfi. On choifit une grange écar-
tée , un magafin plus ou moins
grand, fuivant la quantité de Paf-
tel. Ce magafin doit être fur un
terrein pavé de briques , & revê-
tu de même jufqu’à la hauteur de
quatre ou cinq pieds. Ilferoitbon
que les murailles fuflent de pier-
res jufqu’à cette hauteur. On fe
contente cependant fouvent de
Chapitre'X. 2.35
les faire enduire avec de la terre.
Comme cet enduit fe détache &
fe mêle avec le Paltel, cela l’al-
tère & le gâte. On porte les pe-
lotes dans ce magalin , & on les
écrafe en poudre grolïîere avec
des malles de bois. On entalïe
cette poudre vers le milieu du
magalin , à la hauteur de quatre
pieds, confervant un efpace à
l’entour pour palier. On humecte
, cette poudre avec de l’eau j la plus
limoneufe ( * ) , pourvû quelle foit
claire, elt la meilleure. Ce Paf-
tel , ainli hume&é , fermente , s’é-
chauffe , & jette une fumée très-
épailfe & fort puante.
On remue ce Paftel tous les
jours pendant douze jours , le
( * ) Je ne vois pas pour quelle raifon on préféré
de l'eau limoneufe , & qui cependant foit claire. Il
me paroit que l’eau de riviere bien claire feroit beau-
coup plus iüre. On éviteroit par-là les abus qui doi-
vent fuivre d’une eau croupie , toujours remplie
d’ordures , ou d’une eau bourbeufe qui contient unç
terre tout au moins inutile , & qui doit rendre la
teinture de cette drogue fort inégale.
L'Art de la Teïntüre.
jettant à pelletées d un côté du
magalin à l’autre , & on l’hume&e
ainfî chaque jour pendant ce
temps-là ) après quoi on n’y jette
plus d’eau : mais on fe contente
de le remuer, d’abord de deux
jours en deux jours , puis de trois
en trois , de quatre en quatre , de
cinq en cinq. Enfin , on le met en
tas au milieu du magafin, & ou
le vifite de temps en temps pour
l’éventer, en cas qu’il s’échauffe.
C’eft le Paftel en poudre , prêt à
être vendu aux Teinturiers.
M. Aftruc , pour faire voir que
le commerce du Paftel enrichit
foit autrefois le Haut-Langue-
doc , cite le paffage fuivant d’un
livre intitulé Le Marchand. An-
» ciennement on faifoit traduire
» de Toulouze à Bordeaux, par la
» rivière de la Garonne , tous les
33 ans cent mille balles de Paftel,
w qui valent pour le moins fur le
Chapitre X. 237
» païs quinze livres la balle ; ce
» qui revient à un million cinq
»cens mille livres, d'où procé-
» doit l’abondance d’argent &: ri-
»chefle de ce païs. « Ainfi par-
loit Caftel , Auteur du livre cité
mi 163 3 . Mémoires de lé Hijloire du
Languedoc , pag. 49 .
La comparaifon des deux mé-
:hodes par lefquelles on prépare
e Paftel & l’Indigo, peut fufïire
1 une perfonne intelligente qui
’eroit chargée d’expérimenter
’il eft poffible de tirer de 1 ’lfatù
lu Languedoc une fécule fem-
)lable à celle de l’Anil. Ce n’efi:
>oint à un Teinturier qu’il faut
’adreffer pour cela , ni même à
m Fabriquant. L’un & l’autre
:ommenceroientpar condamner
e projet, parceque c’eft une nou-
veauté , &: je doute même qu’ils
uflent en état de bien conduire
me fermentation. Il faut être un
138 L’Art de la Teinture.
peu plus dans l’habitude de faire
des expériences de ce genre
qu’ils ne le font communément
Je fouhaiterois que cette expé
rience fe fit en grand, enforu
qu’on put avoir au moins cinquaii
te livres de cette fécule, pou
qu’011 pût ici en pofer plufieur ,
Cuves, au cas qu’on manquât le j
premières. Celui qu’on aura choi i
fi , aura foin de bien décrire tou k
tes les circonftances de fon opé 1
ration. Peut-être la manque ra-t’il
à la première cueille des feüille I
de Paftel , pareequ’il n’y aura pa
encore alfés de chaleur en Jifin |
mais vraifemblablement il réul i
lira en Août.
Suivant les lettres que j’ai re
çuës de M. Roman le fils, Ingé 1
nieur général à la Dominique , f<
thermomètre monte à la Marti
nique dans les grandes chaleur
de cette Ifle, de 30 à 36 degrés
Chapitre X. 2,39
. fuivant la graduation de M. de
Reaumur. En Languedoc, il mon-
;e pendant les mois de Juillet &
l’Août , de 17 à 3 2, &: 3 3 , qui efl:
. a chaleur delà bouche, delà poi-
, :rine , de l’aiflelle -, chaleur fuffi-
, ante pour faire fermenter les
eüilles du Paftel, qu’on mettroit
remper Sc macérer comme celles
le l’Anil, dans une grande Cuve
le maçonnerie remplie d’eau , ôc
>eut-être ne faudroit-il pas plus
le trente ou quarante heures. O11
tccéleroit la fermentation , en
ettant d’abord dans la Cuve ou
rempoire , plein trois ou quatre
Vaudrons d’eau boiiillante.
Il faut que celui qui fera char-
gé de l’expérience , fe procure les
eüilles les moins fannées qu’il
era poflible , & qu’il les fade con-
1 rafler légèrement, s’il le juge né-
reflaire. Il pourra, pour ces pre-
nieres épreuves , faire cpnftruirQ
z 40 L’Art de la Teinture.
des Cuves de maçonnerie au tiers
de capacité de celles dont le P.
Labat a donné les dimenfions.
Des échopes ordinaires de Bate-
lier peuvent fervir à faire battre
l’eau, fi elle fe charge de cou-
leur , comme celle où l’Anil a fer-
menté. Tout le refte étant bien
décrit dans le Mémoire du P. La-
bat , il n’y a qu’à le fui vre. Si l’on
réuflit , il n’y a pas de doute qu’il
ne fe trouve beaucoup d’autres
plantes du même caraébere que
Xlfrtü } qui donneront une même
fécule. Il eft probable que le verd
foncé de plufieurs plantes eft
compofé de jaune & d’une forte
dofe de parties bleues ; fi par la
fermentation on pouvoit détruire
le jaune , le bleu refteroit. Cette
idée n’eft pasabfolumentchymé-
rique, & peut-être ne feroit-il
pas difficile de prouver qu’on en
peut tirer quelque utilité.
CHAP, XI
Chapitre XI. 241
ÜLr 4^ iîir il/ ttr itr îir Ç ifcr tir tir t£f lîlr îî> vt/
CHAPITRE XI.
Du Rouge.
L E rouge eft, comme je l’ai
déjà dit, une des cinq cou-
leurs matrices ou primitives , re-
connues pour telles par les Tein-
turiers. Dans le bon teint il y a
quatre principales fortes de rou-
ge , qui font la bafe de toutes les
autres. Ces rouges font, i°. l’E-
carlatte de graine , comiuë autre-
fois fous le nom d 'Ecarlatte de
France , & aujourd’hui , fous celui
d 'Ecarlatte de Vemfe . 2 0 . L’Ecar-
latte à préfent d’ufage , ou Ecar -
latte couleur de feu , qui fe nom-
Qioit autrefois Ecarlatte de Hol -
lande , &: qui eft connue aujour-
d’hui de tout le monde fous le
10m à! Ecarlatte des Gobehns.f . Le
Zramotf , & 4 0 . le Rouge de Garnir
z^z U Art de la Teinture.
ce. Il y a auffi le demi-EcarUtte &
le demi-CrarnctJi ; mais ce ne font
que des mélanges des autres rou-
ges , qui ne doivent pas être
regardés comme des couleur*
particulières. Le Rouge ou Naca-
rat de bource étoit permis autre-
fois dans le bon teint \ mais for
peu de folidicé l’en a fait bannii
par le nouveau Réglement. Or
juge bien que tous ces différent
rouges ont leurs nuances particu-
lières , depuis la plus foncée juf
qu’à la plus claire. Mais celan’em j
p.êche pas quils ne puiffent être i
regardés comme faifant des claf- ;
fes féparées, pareeque les nu ai- i
ces des uns ne tombent jamai:
dans celles des autres.
Les rouges font dans un ca<
tout différent des bleus , dont ja:
parlé dans le Chapitre précédent
car la laine ou l’étoffe de laine ne
fc plonge pas immédiatemen 1
Chapitre XI. 243
dans la teinture. Elle reçoit au-
paravant une préparation qui 11e
lui donne point de couleur, mais
qui la difpofe feulement à rece-
voir celle de l’ingrédient colo-
rant. Cette préparation , ainfï
qu’on le fçait déjà , fe nomme
Bottillon. Elle le fait ordinairement
avec des acides , comme eaux fû-
rcs, alun & tartre, qui peuvent
être regardés comme tels , eau
forte , eau régale , &c. O11 met ces
ingrédiens préparans en diffé-
rente quantité, fuivant la couleur
& la nuance qu’on veut avoir. On
fe fert fouvent auffi de noix de
galle , & quelquefois de fels alca-
lis. C’eftce que j’expliquerai dans
la fuite , en décrivant la maniéré
de travailler chacune de ces cou- 4
eurs.
■î *
M
£44 L’Art de la Teinture.
CHAPITRE XII.
De r Ecarlatte de Graine > ou Ecar
latte de Venife .
O N appelle cette couleu
Ecarlatte de Graine } parce
qu’ elle eft faite avec le Kermès
qu’on a cru long-temps être 1;
graine de l’arbre fur lequel onl<
trouve. On l’appelloit ancienne
ment Ecarlatte de France , parce
que quelques gens penfent qui
c’eft en France qu’elle a été trou
vée j & on la connoît aujourd hu
fous le nom d ' Ecarlatte de Vcnife
parcequ’elle y eft extrêmemen
en ufage , de qu’on y en fait plu
qu’en aucun autre endroit, le goû
en étant palfé en France de dan
la plûpart des autres païs. Elle .
effedivement moins de feu , de el
plus brune que l’écarlatte à la
Chapitre XII. 2,45
quelle on eft maintenant accou-
tumée ; mais elle a fur elle l’avan-
tage de foutenir plus long-temps
fon éclat , &: de ne point fe tacher
par la boue de par les liqueurs
âcres.
Le Kermès , dont on la fait , eft
une galie-infe&e qui croît , qui
vit de qui fe multiplie fur V île x
iculeata co cci glandifera. C. B. P.
Dn le trouve dans les Garigues
les environs de Vauvert, de Ven-
lemian de de Narbonne ; mais en
)lus grande quantité en Efpagne,
lu côté d’Alicant de de Valence,
.es Païfans de Languedoc le
tiennent vendre tous les ans à
vlontpellier de à Narbonne, auffi-
ôt qu’ils en ont fait la récolté,
üeux qui l’achetent, pour l’en- *
oyer à l’Etranger , l’étendent fur
les toiles , de ont foin de l’arrofer
vec du vinaigre pour tuer les
ermiiTeaux qui font dedans, de
L iij
L’Art de la Teinture.
qui produifent une poudre rou-
ge , qu’en Efpagne , fur-tout , on
fépare de la coque , après l’avoir
laide féclier , en la paffant par un
tamis. On en fait enfuite degrof-
fes balles , &: l’on met au milieu
de chacune , dans un fac de peau, I
de cette poudre au prorata de la
quantité que toute la partie a pro- :
duite , afin qu’en vendant les bal- *
les à différons particuliers , cha-
cun ait fa portion de cette pou- i
dre. On envoyé ordinairement
ces balles à Marfeille , d’où on les ;
fait paffer dans le Levant , prin-
cipalement à Alger & à Tunis ,
où l’on affure qu’on en fait un :
grand ufage dans la teinture.
Les draperies rouges des Fi-
gures qu’on voit dans les ancien- i
nés tapifferies de Bruxelles &: des
autres Manufactures de Flandres,
font teintes avec cet ingrédient j
& leur couleur , qui , clans quel-
Chapitre XII. 247
ques-unes de ces tapifleries, a
jufqu’à deux cens ans d’ancien-
neté , n’a prefque rien perdu de
fa vivacité. Voici de quelle ma-
niéré on doit faire cette écarlatte
de graine , qui n’eft plus guères
en ufage que pour les laines def-
tinées aux tapifferies.
On commence par ébroüer la Ebroüage
laine , c’eft-à-dire , que pour vingt des Iaincs ’
livres de laine , qui eft la quantité
que j’ai vû teindre à la fois , on
met dans une Chaudière un demi
boiiîéau de fon, avec la quantité
d’eau nécelîaire , pour que les
vingt livres de laine foient bien
baignées & abbrçuvées: on les fait
boiiillir une demie heure dans
ce bain , en les remuant de temps
en temps j après quoi on les lève
&: on les met égoûcer. Il eft bon
d’obferver , une fois pour toutes >
que lorfqu’on teint des laines fi
lées> on pafife un bâton dans cha
L iiij
248 L’ApvT de la Teinture.
que botte , qui eft ordinairement
d’une livre , 3c on les laide ainfi
avec le bâton pendant tout le
cours du travail } ce qui fert à em-
pêcher qu’elles ne fe broüillent
l’une avec l’autre. Cela donne
auftî la facilité de retourner les
laines, pour faire plonger fuccef-
nvéfnent dans le bain chaque
partie de l’échevau , afin que la
couleur foit égale partout. On
fouléve pour cela la botte avec le
bâton , 3c on la tire à demi de la
Chaudière ; on tient d’une main
le bâton, 3c prenant de l’autre la
partie de l’échevau qui le touche,
on la retourne vers le bas , en-
forte quelle rentre la première
dans la Chaudière. Si la laine eft
trop chaude , 3c qu*on craigne de
fe brûler , on peut faire la même
chofe avec deux bâtons. On ne
fçauroit trop recommander de
faire cette manœuvre fort fou-
Chapitre XII. 249
vent, parceque de -là dépend lé-
galité de la couleur. Pour mettre
égouter les laines après qu’elles
ont été ébroüées, ainii qu’on vient
de le dire , on pofe les deux bouts
du bâton, qui eft paffé dans la
botte ou dans l’éche vau , fur les
deux perches que j’ai dit devoir
■être fcellées dans la muraille au-
dellus de la Chaudière.
L a laine étant ainfi ébroüée ,
pendant quelle s’égoûte, 011
è prépare un bain frais , c’eft-à-di-
re , qu’on jette l’eau qui étoit
dans la Chaudière , èc qu’on y eu
met de nouvelle : on ajoute à
1 celui - ci environ un cinquième
d’eau fùre , quatre livres d’alun
de Rome pilé groffie renient, ôc
deux livres de tartre rouge : on
fait boüilli r le tout , & aulfi-tôt on
y met la laine fur les bâtons , que
l’on y lailfe pendant deux heures,
ayant foin de remuer prefque
L y
Bouillon
pour le
Ivermés*-
2-5° L’Art de la Teinture.
continuellement toutes les bottes
lune après l’autre, de la maniéré
que je l’ai dit.
Il faut obferver que lorfque le
bain, où l’on a mis de l’alun, eft fur
le boüillon , c ’eft-à-dire , prêt à
boüilli r , il s’élève quelquefois très-
promptement 8c fort de la Chau-
dière , fi l’on n’a foin d’abattre le
boüillon, en y jettantun peu d’eau
froide. Si, lorfqu’il eft prêt de
monter, on y met promptement
la laine; comme elle a eu le temps
de fe refroidir, cela l’arrête 8c
fait le même effet que l’eau froi-
de. Il eft bon d’avertir auffi que
lorfque les Teinturiers travaillent
en grand , 8c qu’ils craignent cet
accident , ils doivent avoir les
jambes nues , parceque s’ils vien-
nent à être brûlés , l’eau boüil-
'9
lante ne féjournant pas , comme
elle feroit s’ils avoient des bas , ils
nçn font pas û fort incommodés*
Chapitre XII. 251
Le bain ne s’élève pas de la forte ,
lorfqu’il y a une quantité de tar-
tre un peu confdérable , comme
dans l’opération préfente : mais
quand il n’y a que de l’alun feul,
il fort quelquefois la moitié du
bain de la Chaudière , lorfqu’elle
commence à boüillir , fi l’on ne*
prend pas les précautions que l’on
vient d’indiquer.
Lorfque la laine a boüilli pen-
dant deux heures fur ce bain , 011
la lève , on la laiffe égouter , on
l’exprime légèrement , 8c on l’en-
ferme dans un fac de toile que l’on
porte dans un lieu frais , où on la
laiffe cinq ou fix jours , 8c quel-
quefois plus long-temps -, cela
s’appelle laijfer la laine fur le bouil-
lon. Ce retard fert aie faire péné-
trer d’avantage 8c à augmenter
F adion des fels , parceque , com-
me une partie de la liqueur fe
diffipe toujours , il elt clair que ce
L’Art de la Teinture.
qui refte, étant plus chargé de par*
ties faiines , en devient plus a&if,.
bien entendu quil y relie cepen-
dant une quantité fuffifante d’hu-
midité. Car les fels étant une fois
cryftallifés & à fec n’agilfent plus.
Je me fuis étendu fur ce
boüiilon & fur la maniéré de le
préparer, beaucoup plus que je
ne ferai dans la fuite , parcequ il
y a un grand nombre de couleurs
pour lefquelles il fe dofe à peu
près de même -, ainfi je me con-
tenterai alors de le décrire fort
légèrement, marquant feulement
les changemens qu’il y aura à
faire dans les dofes d’alun, de
tartre , d’eau Lire ou d’autres in-
grédiens.
Après que les laines ont été fur
le boüiilon pendant cinq ou fix
jours, elles font en état de rece-
voir la teinture. On prépare donc
un bain frais , fuivant la quantité
Chapitre XII. 2,5}
de laine que l’on veut teindre
lorfqu’il commence à être tiede ,
on y jette douze onces de Kermès
pulvérifé ou concaflè pour cha-
que livre de laine à teindre , fi
Ion veut une écarlatte bîen plei-
ne 5c bien fournie en couleur. Si
le Kermès ètoit trop vieux ou
éventé , il en faudroit une livre
pour chaque livre de laine. Lorf-
! que le bain commence à boiiil-
lir, on y met la laine qui doit être
encore humide , fi elle a toujours
demeuré fur le boüillon , c’eft-à-
dire , fi elle a toujours été enve-
loppée dans le fac 5c tenue dans
un lieu frais depuis quelle a été
boiiillie. Si elle étoit boüillie de-
puis long -temps, 5c qu’on l’eut
laide fécher , il faudroit la palier
fur l’eau Amplement tiède , 5c la
bien exprimer avant que de la
mettre dans la teinture.
Avant que de plonger cette
154 L’Art de la Teinture.
laine dans la Chaudière où eftle
Kermès , il eft bon d’y jetter une
petite poignée de laine de rebut,
qu’on y taillera boiiillir un mo-
ment. Elle enlève une efpéce de
noirceur ou de crafTe que jette
le Kermès, 6c 1a laine qu’on y pafle
enfuite en prend une plus belle
couleur. Lorfqu on aura levé cet-
te poignée de laine , on y mettra $
celle qui a été boüillie , ôc que
l’on veut teindre : on paflera les
bottes fur des bâtons , comme on
fait lors du boiiillon , on ta re-
muera continuellement, l’éven- j
tant, ou faifant de temps en temps
prendre l’air aux bottes l’une
après l’autre. On 1a taillera boüil- V
lir de 1a forte pendant une bonne
heure : on ta lèvera enfuite fur les
chevilles ou perches, on ta laif-
fera égouter, on l’exprimera, &
on ta portera laver à 1a riviere.
Si l’on vouloir profiter de cç
Chapitre XII. 15J
qu’il peut y avoir encore de tein-
ture dans le bain , on pourroit y
palier un peu de laine boüillie ,
ôc elle ne laifferoit pas d’y pren-
dre de la couleur, à proportion
de la bonté du Kermès, & de la
quantité qu’on en aura mife dans
la Chaudière.
Lorfqu’on veut faire une fuite
de nuances, dont les unes foient
plus foncées que les autres , on
met beaucoup moins de Kermès j
enforte que pour vingt livres de
laine boüillie , on n’en mettra
peut-être que fept ou huit livres.
On y pade d’abord la quantité
de laine que l’on veut avoir de
la nuance la plus claire , &: on ne
là lailfe dans la Chaudière que le
temps qu’il faut pour la retourner,
enforte quelle prenne la teinture
également. On la lève enfuite fur
les chevilles, &ron y met tout de
faite celle qui doit être d’une
a 5 6 L’Art de la Teinture.
nuance plus foncée , & on l’y
laide un peu plus long-temps. On
continue de la forte jufqu’à la
derniere qu’on y laiife aufli long-
temps qu’il eft néceffaire pour
acquérir la couleur que l’on veut.
La raifon pour laquelle on corn-*
mence parla nuance la plus clai-
re , eft que fi on laifle la laine dans
la Chaudière plus long -temps
qu’il ne faut, il n’y a rien de per-
du, attendu qu’on réferve cette
hotte de laine pour une nuance
plus foncée : au lieu que fi l’on
comrnençoit par les plus brunes ,
il n’y auroit plus de remède , lorf-
qu’on viendroit par hazard à
manquer quelqu’une des nuan- L
ces claires. Il faut prendre la mê-
me précaution dans toutes les
couleurs dont on fait des fuites ,
c’eft- à-dire , des nuances dégra-
dées toujours de plus foibles en
plus foibles. Il eft rare qu’on en
Chapitre XII. 2,57
jfafîe de la couleur dont il eft
queftion maintenant, parceque
les balles nuances de cette cou-
leur ne fontpas d’un grand ufage.
Mais comme la manœuvre ell: la
même pour toutes les couleurs,
ce que j’ai dit à foccafion de
celle-ci peut fervir pour toutes
les autres.
Après que les laines font tein-
tes ae cette maniéré , & avant
que de les porter à la riviere , on
peut les palTer fur un bain d’eau
un peu tiède , dans laquelle on
a fait fondre exaftement une
petite quantité de favon : cela
donne de l’éclat à la couleur }
mais , en même temps , la rofe un
peu , c’eft-à-dire , qu’elle y prend
un petit œil tirant fur le cramoifi.
Comme je me fervirai très-fou-
vent dans la fuite de ce Traité,
fur-tout en parlant des rouges ,
du terme de Rofer -& de celui
^5 S L’Art de la Teinture.
& Aviver , il eft bon d’expliquer
ce que l’on entend par ces mots.
Rofer eft , comme je viens de
le dire, donner un œil crâmoifi
au rouge } le faire tirer un peu fur
le gris de lin ou fur le violet. Le
favon & les fels alcalis , tels que la
leftive de cendres , la potafle , les
cendres gravelées,la chaux, ro-
fent les rouges \ enforte qu’ils fer-
vent de moyen pour les amener
à la nuance qu’ils doivent avoir,
lorfqu’on leur a donné un peu
trop de feu , & qu’ils font ce qu’on
appelle trop avivés ou rancis.
Aviver > c’eft faire précifément
tout le contraire : c’eft donner
du feu au rouge ; c’eft le faire
tirer un peu fur le jaune ou fur
l’orangé. On appelle aufiî quel-
quefois cette opération Rancir.
Elle fe fait fur la laine à l’aide des
acides , comme le tartre rouge ou
blanc, la crème de tartre, le vi~
Om éttzx
Chapitre XII. 259
naigre , le citron, l’eau forte feu-
le. On met plus ou moins de ces
acides, fuivant que l’on veut la
couleur plus ou moins orangée.
Si ,par exemple , dans le caspré-
fent on vouloit que l’écarlatte de
graine eût plus de feu & appro-
chât un peuplas de 1 ’écarlatte or-
dinaire , on n auroit qu’à verfer
dans le bain , après y avoir mis le
Kermès , un peu de compolîtion
décarlatte , dont il fera parlé dans
la fuite , la couleur brune du bain
feroit éclaircie fur le champ par
cet acide , & elle deviendroit
d’un rouge plus vif: la laine qu’on
y pafferoit tireroit plus fur l’oran-
gé } mais en même temps elle de-
viendroit plus fujette à fe tacher
par la boue & par les liqueurs
âcres. On en verra la raifon dans
le Chapitre de l’Ecarlatte des
Gobelins.
J’ai fait far cette couleur un
z6o L'Art de la Teinture.
grand nombre d'expériences
pour tâcher de la rendre plus
belle & plus éclatante qu elle ne
l’eft ordinairement j mais jen’at
pu en tirer de rouge qui fut com-
parable à celui que donne la co-
chenille . De tous les boiiillons que ];)
j'ai dofés pour préparer la laine , .
celui qui m'a le mieux réuiïî eft
celui qui a été fait fuivant les .
proportions que j’ai rapportées, u c
En altérant le teint naturel du
Kermès par diverfes fortes d’in-
grédiens , de dilfolutions métalli-
ques , tkc. on en tire diverfes cou-
leurs, dont je parlerai inceflam- c
ment.
Je ne dirai qu’un mot fur la
maniéré de teindrelesétoffes du
même rouge que la laine ci-def-
fus , car ne pouvant prefcrire au-
cune proportion par aune d’étof-
fe , vu la variété infinie de leur
largeur, & même de leur épaif-
Chapitre XII. 261
feur, ou de la quantité de laine
qui entre dans leur fabrication,
il ny a guère s que lufage qui
puilfe apprendre les dofes nécef-
laires à chaque forte d étoffé. Si
Ion veut cependant avoir quel-
que choie de précis pour ne pas
faire des expériences au hazard,
le plus fur eft de pefer l’étoffe
que l’on veut teindre , &: de di-
minuer environ d’un quart les in-
grédiens çolorans que j’ai preferic
pour les laines filées , pareeque
les étoffes prennent moins de
couleur dans l’intérieur , attendu
que leur tifïure ferrée l’empêche
de pénétrer, au lieu que la laine
filée ou la laine en toifon la prend
auffi facilement dans l’intérieur ,
que fur la furface extérieure.
On doit aufli diminuer , à peu
près dans la même proportion,
l’alun & le tartre qui entrent dans
le bouillon des étoffes 5 & il n eft
i 6 i L’Art de la Teinture.
pas néceflaire que l’étoffe féjoun-
ne furie boüillon auffi long- temps
que la laine : on pourroit même
la mettre à la teinture le lende-
main qu'elle a été boüillie.
Si l’on teint en rouge de Ker-
mès de la laine en toifon, pour
l’incorporer enfuite dans des
draps de mélange , ou pour en
fabriquer des draps pleins , elle
fera dans ces fortes de draps un
beaucoup plus bel effet que la lai-
ne teinte en rouge de garence.
J’en parlerai dans la defcription
des couleurs compofées de celles
où entre le Kermès ? ou du moins
où il devroit entrer préférable-
ment à la garence , qui ne donne
pas un fi beau rouge , mais qui
étant à beaucoup meilleur mar-
di prefque par-tout em-
Gn appelle Ecarlœtte demi grai-
ne , celle où l’on employé moitié
ni
:
■
Chapitre XIî. 2,65
Kermès & moitié garence. Ce
mélange donne une couleur ex-
trêmement folide , mais qui n’eft
pas vive , & qui tire un peu fur la
couleur de fang. Elle fe prépare
&: fe travaille précifément com-
me T écarlatte de pur Kermès , fî
ce n’eft que dans le bain on ne
met que moitié de cette graine,
pour me fervir de fexpreffion
des Teinturiers , & que l'autre
[moitié cil remplacée par la ga-
rence. Elle eft < parconféquenr
moins chère , & il arrive fouvent
que les Teinturiers qui en font ,
la livrent beaucoup moins belle
quelle ne devroit être, parce-
qu’ds diminuent la quantité du
Kermès , qu’ils augmentent cel-
le de la garence.
Par les épreuves qui ont été
faites de f écarlatte de graine ou
de Kermès , foit en lexpofant au
foleii, foit par les différens dé**
264 L’Art de la Teinture.
boiiiilis > on a reconnu qu'il n’y a
point de meilleure couleur ni de
plus folide : elle va de pair pour
la folidité avec les bleus dont j’ai
parlé. Cependant le Kermès n’eft
prefque plus d’ufage en aucun l
endroit qu’à Venife. Le goût de ;
cette couleur a pafle entièrement
depuis qu’on a pris celui des
écarlattes couleur de feu. On ap- ;
pelle préfentement cette écarlat- *
te de graine , une couleur de ping
de beuf. Cependant elle a de 1
grands avantages fur l'autre ; car L
elle ne noircit point & ne fe ta-
che point , & fi l’étoffe s’engraiffe, :
on peut enlever les taches fans w
endommager la couleur. Elle ;
n’eft plus de mode néanmoins, ■
8c cette raifon prévaut à tout. Elle ^
a fait tomber entièrement la con- :
fommation du Kermès en Fran- i
ce. A peine y a-t’il un Teinturier l l
qui le connoiffe , ôc lorfque j’ai
voulu I
Chapitre XII. 26Ç
voulu en avoir une certaine quan-
tité pour en faire les expériences
ci-deffiis rapportées, il a fallu le
faire venir de Languedoc ; les
Marchands de Paris ne s’en char-
geant que de ce qu’ils en peuvent
débiter pour lufage delaMéde-,
cine.
Quand un Teinturier eft obli-
gé de faire quelque pièce de drap
de la couleur connue encore fous
le nom decarlatte de graine;
comme il n’a ni la connoi fiance
du Kermès ni l’ufage de l’em-
ployer , il la fait avec la coche-
nille , ainfi que je le dirai dans le
Chapitre fuivant : elle lui coûte
plus cher 5 & elle eft moins folide
que celle qui eft faite avec le
Kermès. Ils font la même chofe
pour les laines filées deftinées aux
tapifterics ; & comme cette nuan-
ce eft allés difficile à attraper
avec la cochenille, ils y mêlent
M
1 66 L’Art de la Teinture.
le plus fouvent du bois de brefil >
qui julqu’à préfent a été un faux
ingrédient , permis feulement
dans le petit teint. C’eit ce qui
fait que ces fortes de rouges fe
paflent en très-peu de temps, 6c
que quoiqu’ils foient beaucoup
plus vifs qu’il ne faut en fortant
des mains de l’Ouvrier, ils per-
dent tout leur éclat fouvent avant
que l’année foit révolue. Ils bian-
çhiffent &■ grifent extraordinai-
rement. Ilferoit donc extrême-
ment à fouhaiter que l’ufage du
Kermès fe rétablît. Il eft même
certain que fi quelque Teinturier
s’addonnoit à l’employer , il y a‘
plufieurs couleurs qu’il en tireroic
avec plus de facilité 6c moins de*
dépenfe : l’on pour roi t être alluré
que ccs couleurs feroient des
meilleures & des plus folides, 6c
par-là il parviendroit peut-être à
le mettre en plus grande réput a-
Chapitre XII. i6y
tion. J’ai fait avec le Kermès cin-
quante expériences dont on peut
:irer quelque utilité dans la pra-
:ique. Je ne les rapporterai pas
:outes, mais feulement celles qui
)nt donné les couleurs les plus
îngulieres.
En employant le Kermès avec
a crème de tartre fans alun , &:
tu tant de compofition qu’on en
|jnettroit pour une écarlatte de
:ochenille, on a en unfeul bain
in canelle extrêmement vif, par-
:eque ne faifant entrer que de
acide dans c’e mélange , les par-
ies rouges du Kermès devien-
tent fi tenues quelles échappent*
>our ainfl dire, à la vûe. Mais fl
on paffe ce canelle dans un bain
l’alun de Rome , on fait reparoî-
re une partie de ce rouge , foit
>arceque l’alun ajouté chall'e une
>artie de l’acide de la compofi-
ion, foit parceque la terre dp
L’ÀPvT de'ea Teinture,
l’alun, étant précipitée par l’ad-
ftri&ion du Kermès qui fait l’ef-
fet de la galle , cette terre réünit
les parties rouges diiperfees , àc
s’applique avec elles iur la laine.
Au refte , le rouge qui reparaît
par ce moyen n’eft pas beau.
Avec la crème de tartre , la
composition pour l’écarlatte de
l’alun mis en plus grande quan-
tité que le tartre , le Kermès don-
ne une couleur de Lilas , qui varie
félon qu’on change les propor-
tions de ces ingrédiens.
Si à l’alun de au tartre on fub-
ftitue le tartre vitriolé déjà pré-
paré , qui eft un fel fort dur, ré-
iultant du mélange de l’acide du
vitriol avec un alcali fixe , tel que
l’huile de tartre , laleffive depo-
tafie, ôte. & qu’après avoir mis
boüillir le Kermès dans la diflo-
lution d’une petite quantité de ce
fel j pn y plonge l’étoffe pour l’y
Chapitre XII. 269
faire boiiillir environ une heure,
on a un gris d’agathe allés beau,
dans lequel on apperçoit peu de
rougeur, parceque l’acide delà
compofition a trop divifé le rou- .
ge du Kermès , 6 c parceque le
tartre vitriolé ne contenant pas
la terre de l’alun , elle n’a pû raf-
fembler ces atomes ronges dif-
perfés enfe précipitant. Mais ces
gris d’agathe font de bon teint,
parceque , comme je l’ai dit dans
le Chapitre de l’Indigo , le tartre
vitriolé eft un fel dur , qui ne fe
calcine pas aux raïons du foleil ,
qui ne peut être dilTout par
l’eau de la pluie.
Le fel de Glauber employé
avec le Kermès détruit entière-
ment fon rouge , 6 c donne un gris
1 terreux qui ne tient pas aux épreu-
ves , parceque ce fel 11e rélîfte ni à
l’eau froide ni à l’aftion des raïonS
iu foleil qui le réduifent en farine.
M iij
1
L’Art de la Teinture.
Le vitriol ou couperofe verte ,
te le vitriol bleu , fubftitués fépa-
rément à l’alun, mais employés
avec le cryftal de tartre , détrui-
fent pareillement, ou voilent la
couleur rouge duKermés,qui dans
ces deux expériences fait le mê-
me effet que fî f on eut employé
avec lui la noix de galle ou le fu-
mach,puifqu’il précipite le fer du
vitriol verd , qui teint le drap en
gris-bruni le cuivre du vitriol ■ ;
bleu qui teint le fien en olivâtre. „
Quant au vitriol bleu , je fub- :
flitue une dilfolution de cuivre -
dans l’eau forte : j’ai auffi une cou- .
leur olivâtre , marque certaine
que le Kermès a la faculté préci-
pitante de la galle , puifqu’il pré-
cipite le cuivre de ce vitriol ,
comme le feroit une décodion
de noix de galle.
Il y a grande apparence que
&e qui rend le rouge du Kerméf
Chapitre XII.
aufli folide que celui de lagareri-
cc , c’eft que cec infecte s'étant
nourri fur un arbrifleau âftrin-
gent , il a confervé , malgré les
changemens qu’a pû caufer au
1 fuc ou fève de la plante la digef-
tion qui s’en eft faite dans l’efto-
mac de i’infe&e , la vertu aftrin-
gente du végétal , &c parconfé-
1 quent la vertu de donner plus de
\ relfort aux parois des pores de la
I laine pour fc relferrer plus vite &
plus fortement, quand elle fort
de l’eau boüillante , & qu’on l’ex-
pofe à l’air froid. Car j’ai remar-
r ' i i
que que toutes les ecorces, les
racines, les bois, les fruits & les
autres matières qui ont quelque
aftriction , donnent toutes des
couleurs de bon teint.
Le vitriol blanc de Goflar , dont y!oîets
la bafe eftle zinc ( comme je l’ay fans bieu *
dit dans mon Mémoire far ce fe-
xni-métal , de l’année 1735) étant
M iiij
^7^ L’Art de la Teinture.
employé avec le cryftal de tartre,
change le ronge dmcermés en vio-
let. Ainfi , avec une feule drogue
colorante tk de lîmples altérans ,
on peut faire des violets fans don-
ner auparavant des pieds de bleu.
Car cette couleur compofée , ou
regardée comme telle , parceque
jufqu’à préfent on n’a pû l’avoir
qu’en appliquant le bleu fur le
rouge , ou le rouge fur le bleu ,
réuffit auifi avec la cochenille ,
même avec la garence , ainfi
qu’on le verra quand je parlerai
de ces deux ingrédiens. Comme
le vitriol blanc eft tiré d’une mi-
ne qui contient du plomb , de
l’arfenic , &c plufieurs autres ma-
tières dont les recrémens fondus
enfuite avec le fable & des fels
alcalis fe vitrifient en une maffe
bleue , qu’on nomme 1 cfajre j je
foupçonnai que le vitriol blanc
pourxgit bien contenir une por-
Chapitre XII. 2,75
tion de ce bleu, lequel avoit pu
convertir le rouge du Kermès en
violet, & que par conféquent la
mine de biimuth , qui renferme
réellement cette matière bleue,
&: le bifmuth lui-même , feroit le
même effet que le vitriol blanc : de
Ion va voir que je ne me fuis pas
trompé dans ma conjeéiure. Car
ayant fait tomber de lextraétion
de la mine de biimuth fur le bain
dune expérience que je faifois
avec le Kermès , & de la diifolu-
tion du biimuth même, fur une
autre déco&ion du même ingré-
dient , lune de l’autre teignirent
le drap blanc en violet. Je ne
donnerai point ici la maniéré de
faire l’extraélion de la mine de
biimuth, pareequ’outre que c’ell
une opération un peu difficile
pour un Teinturier , on ne trouve
point de cette mine en France j
il faux la faire yçnir de la Mifme $
M v
Ti74 L'Art de la Teinture.
d’où on ne la laiffe pas forcir ai-
fément. Si le Lecteur eft cepen-
dant curieux de fçavoir ce que
j’entends par extradion de la mi- j
ne de bifmuth, il en trouvera le
procédé dans les Mémoires de
l’Académie des Sciences de l’an- ,
née 1737, où il y a un Mémoire
de moi fur les encres fympathi- I
ques. Quant à la diffolution de r
bifmuth , qui tait à peu près le J
même effet, voici comme je la j
fais. Je prends quatre parties f
d’efprit de ni tre & quatre parties r
d’eau bien pure , je les mêle en- jj
femble, de j’y fais diffoudre une .1
partie de bifmuth ou étain de
glace , que j’ai caffé en petits :
morceaux , pour les mettre peu à r
peu dans la liqueur, de crainte
qu’il ne fe faffe d’abord une trop
violente fermentation.
Toutes les fois qu’on verfefur
un bain de Kermès des acides en
Chapitre XII. 2,75
trop grande quantité ; que ce foit
l’dpritjde vitriol, l’efprit de nitre
ou l’eau forte , le vinaigre , le jus
de citron, même i’cau fûre; on
divife fi fort les particules rouges
colorantes , que le drap n’en re-
çoit qu’une couleur de canelle
tirant à l’aurore , s’il y a trop d’a-
cide , 3 c un peu plus rouge , s’il y
en a moins.
Les fels alcalis fixes, joints à
l’eau fûre 3 c à la crème de tartre ,
à la place de l’alun, ne détruifent
pas le rouge du Kermès, comme
les acides, mais ils le rofent 3 c le
falififent, fi l’on en met trop 3 en-
forte que le drap n’en reçoit qu’u-
ne couleur dé lilas aflés terne.
D’autres expériences encore plus
variées que celles qu’on vient de
lire , m’ont donné une infinité de
couleurs ; mais comme elles ne
préfentent à la vue rien de plus
beau que ce qu’on peut faire avec
% y 6 L/àrt dë ia Teinture,
que ce feroit allonger inutilement
ce Traité,
ickkkkkkk kkkkkkkkk
De l'Ecarlatte couleur de feu .
’Ecarlatte couleur de
feu, connue autrefois fous
le nom c XEcarlatte de Hollande ,
6c aujourd’hui fous celui d 'Ecar-
latte des Gobelins , 6c dont Kunc-
kel attribue la découverte à Kuf-
ter, Chymifte Allemand, eft la
plus belle & la plus éclatante cou-
leur de la Teinture. Elle eftaufti
la plus chere , 6c une des plus dif-
üciles à porter à fa perfedion. On
ne peut même guères déterminer
quel eft ce point de perfedion;
car indépendamment des diffé- „
des ingrédiens beaucoup moins-
chers que le Kermès; je n’ai pas
cru devoir les rapporter, parce-
CHAPITRE XII L
Chapitre XIII. 2.77
rens goûts qui partagent les hom-
mes fur le choix des couleurs , il
y a auili des goûts généraux , pour
ainli dire , qui font que dans un
temps , des couleurs font plus à
la mode que dans d’autres. Ce
font alors ces couleurs de mode
qui font des couleurs parfaites.
Autrefois , par exemple , on vou-
loir les écarlattes pleines, foncées*
d’une couleur que la* vue foutenoit
aifément. Aujourd’hui * on les
veut orangées , pleines de feu, &
que l’œil ait peine à en foutenir
l’éclat. Je ne déciderai point le-
quel de ces goûts mérite la pré-
férence ; mais je vais donner la
maniéré de les faire d’une façon
6c de l’autre , 6c de toutes les
nuances qui tiennent le milieu
entre ces extrémités.
La Cochenille qui donne cette
belle couleur , 6c qu*on nomme
Mejlejue ou Tefcdle , eû un infcc-
L’Art de la Teinture.
te dont on fait une récolte confi*
dérable dans le Méxique. Les
Naturels du Pais 5c les Efpagnols.
qui n’ont que de petits Etabliffe- j
mens, le cultivent, c’efLà-dire; l
qu’ils ont foin de le retirer de def-
fus la plante qui le nourrit avant \
la faifon des pluies. Ils font mou- r
rir 5c lécher ce qu’ils ont defîcin i
d’en vendre , 5c confervent le
refte pour le faire multiplier, J
quand la mauvaife faifon eft paf- \
fée. Cet infecte fe nourrit 5c multi- •
plie fur une efpéce & Opuntia, épi-
neux , qu’on nomme Topai : il fe
conferve dans un lieu fec pen- r
dant des fîécles fans fe gâter, 5c
j’én ai une petite quantité qu’on
a envoyée d’Amfterdam avec les
preuves requifes de cent trente
ans d’ancienneté. Cependant il
eft tout aufïi entier que s’il arri-
voit de la Vera-Cruz , 5c fait en
teinture le même effet qu’une Co-
chenille nouvelle.
Chapitre XIII. 279
La Cochenille Syheftre ou Cam-
feffiane eft aufll apportée de la
Vera-Cruz en Europe. C’eft dans
les bois du Nouveau Méxique 3 c
de l’Ancien que les Indiens vont
la chercher. L’infede s’y nourrit,
y croît, y multiplie fur les Opun-
tias non cultivés, qui y font en
abondance. Il y eft expofé , dans
la faifon des pluies, à toute l’hu-
midité de l’air, 3 c y meurt natu-
rellement. Cette Cochenille eft
toujours beaucoup plus menue
que la Cochenille fine ou culti-
vée. Sa couleur eft meilleure 3 c
plus folide que celle qu’011 tire de
la Cochenille fine; mais elle n’a
jamais le même éclat: 3 c d’ail-
leurs il n’y a pas de profit à l’em-
ployer, puifqu’il en faut quatre
parties , 3 c quelquefois davan-
tage pour tenir lieu d’une feule
partie de Cochenille fine.
On trouve auifi quelquefois à
*,8o L’Art dé la Teinture.
Cadix de la Cochenille avariée,
C’eft de la Cochenille fine qui a
été modifiée de l’eau de la mer,
à foccafion de quelque naufrage , 5
comme , par exemple , celui de
la Flo tille au Canal de Bahama i
en 1734. Ces fortes d’accidens
en diminuent confidérablement
le prix j car , comme le fel marin j
rofe le teint de la Cochenille, cel-
le-ci ne peut fervir qu’à faire des
pourpres , qui encore ne font pas j
des plus beaux. Il s’eft pourtant ;
trouvé un particulier en 17353!
qui avoir le fecret de l’employer
prefque auffi avantageufement J
pour fécarlatte , que la Coche- !
nille la plus fine. Ce fecret n eft i
pas difficile à découvrir ; mais il '5
en faut laifler joüir celui qui le
pofféde, &nepas le priver, en le
publiant, de la récompenfe qu’il j
pourroit en efpérer dans des
temps ou Ton en auroit befoin.
Chapitre XIII. iSc
Il n’y a point de Teinturier
qui n’ait une recette particulière
pour faire l’écarlatte , &: chacun
d’eux eft perfuadé que la fîenne
eft préférable à toutes les autres.
Cependant la réuflite ne dépend
que du choix de la Cochenille ,
de l’eau qui doit fervir à la tein-
ture y ôc de la maniéré de prépa-
rer la diflolution de l’étain, que
les Teinturiers ont nommé Com -
f ojitiow pour l’écœrUtte.
Comme c’eft par cette com-
pofition qu’on donne la couleur
vive de feu au teint de la Coche-
nille , qui fans cette liqueur aci-
de feroit naturellement de cou-
leur cramoifîe , je vais décrire la
maniéré de la préparer, qui m’a
le mieux réufli. Je prends huit
onces d’efprit de nitre, qui eft
toujours plus pur que l’eau forte
commune , &: de bas prix , em-
ployée ordinairement par les
Compo-
fition d’E-
carlacce.
iSi L’Art de la Teinture,
Teinturiers. Je m’afiure par les
méthodes connues des Chymif-
tes, qu’il ne contient point d’a-
cide vitriolique. J’affoiblis cet
acide nitreux , en Verfant deflus
huit onces d’eau de riviere filtrée.
J’y difious peu à peu une demie
once de fel ammoniac bien blanc,
pour en faire une eau régale,
parceque , comme on le fçait ,
l’elprit de nitre feul n’cft pas le
difiolvant de l’étain : enfin , j’y
ajoûte feulement deux gros de
falpêtre de latroifiéme cuite. On
pourroit à la rigueur le fuppri-
mer; mais je me fuis apperçu
qu’il contribuoit à unir la cou-
leur , c’efl-à-dire , àla faire pren-
dre plus également. Dans cette
eau régale affoiblie, je fais dif-
foudre une once d’étain d’Angle-
terre en larmes , que j’ai grenaille
auparavant , en le jettant fondu,
d’un peu haut , dans une terrine
I
lui
i\
«
fc
ci
à
te
&
te
a
;f0
i
(
r
d
C
Chapitre XIII. 2.85
pleine d’eau fraîche j mais je ne
fais tomber mes petits grains d’é-
tain dans le diffolvaixt, que les
uns apres les autres j attendant
que les premiers foient diifous,
avant que d’en mettre de nou-
veaux, ahn d’éviter la perte des
vapeurs rouges qui s’éléveroient
en grande quantité , de qui fe per-
droient fi la diflblution du mé-
tal fe faifoit trop précipitam-
ment. Ces vapeurs font neceffai-
res à conferver j &; , comme
Kunckel favoit obfervé de fon
temps, elles contribuent beau-
coup à la vivacité de la couleur,
foit , pareeque c’eft un acide qui
s’évaporeroit en pure perte, foit
quelles contiennent un fulp hu-
re ux particulier au falpêtre , qui
donne de 1 éclat à la couleur.
Cette méthode eft beaucoup plus
longue à la vérité que celle des
Teinturiers, qui verfent d’abord
l§4 L’Art de la Teinture.
leur eau forte fur letain grenaille*
&: qui attendent qu’il fe fafle une
vive fermentation, & qu’il s’en
éléve beaucoup de vapeurs pour
faffoiblir par l’eau commune.
Quand mon étain eft ainfi dif-
fout peu à peu , la compofition
d’écarlatte eft faite , &: la liqueur
eft d’une belle couleur de diifolu-
tion d’or , fans aucune boue préci-
pitée ni fédimentnoir, parceque
je me fers d’un étain très -pur
fans alliage , & tel qu’il coule de
la première fonte des fourneaux
de Cornoüailles, au lieu qu’il eft
rare de trouver de l’étain à petit
chapeau, qui ne laide pas de fé-
diment noir au fond du vaifleau.
Cette diftblution de l’étain, fort
tranfparente quand elle eft nou-
vellement faite , devient îaiteufe
&: opaque dans les grandes cha-
leurs de l’été. La plupart des
Teinturiers font dans l’opinion
Chapitre XIII. 185
qu alors elle eft Tournée , & qu’ei-
le n’eftplus bonne à rien. Cepen-
dant j’ai reconnu que la mienne ,
malgré ce défaut, faiioit i’écar-
latte auffi vive que fl elle fut ref-
tée limpide. De plus, dans les
temps froids , la mienne reprend
fa première tranfparence j ce qui,
à la vérité, n arrive pas à une
pcompoiition qui n’a pas été pré-
parée avec toutes les précautions
i que j’ai indiquées. J’ajoûte qu’il
eft néceffairc de la conferver
dans des flacons bien bouchés
d’un bouchon de cryftal, de crain-
1 te que le plus volatil ne s’évapore»
Les Teinturiers n’ont pas
cette attention j auffi leur com-
polition leur devient très -fou-
vent inutile au bout de douze ou
quinze jours. Je leur indique ce
qu’il y a de mieux à faire , & s’ils
cherchent la perfection 3 ils chan»
geront leur routine , qui eft dé-
2,86 L’AfvT de la Teinture.
feftueufe.Ceux qui font en état de
juger d’après des connoiffances
préliminaires 3 qui d’eux ou de
moi a raifon, ne peuvent le faire
qu’après la leélure de ce qui fuit.
Les Teinturiers mettent d’a-
bord dans un vaiffeau de grais, de
large ouverture, deux livres de fel :
ammoniac , deux onces de falpê-*
tre raffiné , & deux livres d’étain
grenaillé àl’eau,qupourle mieux, *
en rapures, pareeque quand il a
été fondu 6c grenaillé , il y en a
une petite portion de convertie
çn chaux 5 laquelle ne fe diffout
pas : ils pefent quatre livres d’eau .
dans un vaiffeau à part, & ils en
jettent environ un demi-feptier
fur ce mélange dans le vafe de
grais. Ils y mettent enfuite une
livre & demie d’eau forte com-
mune , qui produit une fermen-
tation violente. Lorfque l’ébulli-
tion eft ceffée, ils y remettent
Chapitre XIII. 28 7
:ncore autant d’eau forte , 6c un
nllanc après ils y en ajoutent
:ncore une livre. Après quoi ils
■ verfçnt le relie des quatre li-
res d’eau qu’ils avoient mife à
art. Ils couvrent bien le vaif-
îau , & ils lai lient repofer la
ompofition jufqu’au lendemain,
)n peut mettre diiïoudre le fai-;
îêtre 6 e le fiel ammoniac dans
[eau forte , avant que d’y mettre
L’étain ; ce qui revient abfolument
a même , félon eux , quoiqu’il
)it fur que cette derniere ma-
ie re eft la meilleure. D’autres
; lêlent l’eau 6c l’eau forte enfem-
.e, 6c mettent ce mélange fur
ffain 6c le fel ammoniac . D’au-
es enfin fuivent differentes pro-
ortions.
Le lendemain de la prépara- boüîiîgiî
on de la cornpofition , on fait le t d e Ecaxias -'
büillon pour l’écarlatte, qui ne
.’flemble point à celui dont j’ai.
2.88 L’Art de la Teïntüre.
parlé dans le Chapitre précédent
Voici de quelle maniéré on 1(
prépare. Pour une livre de lain(
filée , par exemple , on met dan I
une petite Chaudière vingt pinte j
d’eau bien claire , qui Ibit de ri
viere , non de puits ou de four j
ce trop vive. Lorfque l’eau eft ui
peu plus que tiède , on y jett( i
deux onces de crème de tartr j
en poudre fubtile , & un gros £ j,
demi de cochenille pulvérifée £ 1
tamifée. On poufie le feu un pe :
plus fort , & lorfque le bain e:
prêt à botiillir , on y jette deu
onces de compofition. Cette li
queur acide change tout du
coup la couleur du bain , qui , d
cramoifi qu’il étoit, devient cor
leur de fang d’artere. Aufiî-tc
que le bain a commencé de boüii i
Kr , on y plonge la laine , qui doi
avoir été précédemment moüillé i
dans f eau chaude , & exprimée I
p.
Chapitre XIII.
on remue fans difcontïnuer , la
laine dans ce bain, de on l’y laide
bouillir pendant une heure de de-
mie , après quoi on la lève , on
l’exprime doucement, de on la
lave dans de l’eau fraîche. En
forçant de ce boüillon , la laine eft
de couleur de chair affés vit, ou
même de quelques nuances plus
foncé , fai vaut la bonté de la Co-
chenille, de la force de la com-
polïtion. La couleur du bain eft
alors entièrement paifee dans la
laine , enforte qu’il demeure pref*
qu'auiîî clair que de l’eau commu-
ns ; c’eft-là ce qu’on appelle le
boüillon d’Ecarlatte , 8e la pre-
mière préparation que l’on doit
faire avant que de teindre ; pré-
paration abfolument néceflaire ,
de fans laquelle la teinture de la
Cochenille ne tiendroit pas.
Pour l’achever , on prépare un Rougit,
nouveau bain d’eau claire ; caria
N
%$o L’àrt de la Teinture.
beauté de l’eau importe infini-
ment pour la perfection de l’E-
carlatte $ on y met en même
temps une demie once d’amidon*
ôc lorfque le bain eft un peu plus
que tiède , on y mêle fix gros &
demi de Cochenille , aufli pulvé^
rifée & tamifée. Un peu avant
que le bain boitille , on y verfe
deux onces de compofitionj le
bain change de couleur comme ?
la première fois. On attend qu’il
ait jette un bouillon , & alors on
met la laine dans la Chaudière, t
On l’y remue continuellement
comme la première fois ; on l’y
laiffç boüillir de même pendant
une heure & demie ; après quoi .
on la lève , on l’exprime , on la
porte laver à la riviere : î’Eçarlat-
te eft alors dans fa perfection.
Il fuffit d’une once de Coche-
nille par livre de laine, pour la
faire belle &fuftifamment fournie t
Chapitre XIII. 291
de couleur, pourvu qu’elle foit
travaillée avec attention , de la
maniéré que je viens de dire, de
qu’il ne refte aucune teinture dans
le bain. Si cependant on la vou-
loir encore plus foncée de Coche-
nille , on en mettroit un gros ou
deux de plus > mais fi on alloit au-
delà, elle perdroit tout fon éclat
de fa vivacité.
Quoique j’aie fixé la quantité
de la compofition , tant dans le
boiiillon que dans la teinture, il
ne faut pas , à beaucoup près , re-
garder cette dofe comme inva-
riable ; l’eau forte dont fe fervent
les Teinturiers eft rarement d’une
force égale ; on juge par-là que fi
on la mêle toujours avec une égale
quantité d’eau, la compofition qui
fera faite avec la plus foible ne
fera pas le même effet que l’au-
tre. 11 y auroit certainement des
moyens de s’affurer des degrés
npz L’àrt de la Teinture.
de l’acidité de l’eau forte , com-
me , par exemple , de ne fe fervir
que de celle dont deux onces
diffoudroientune once d’argent,
on pourrait par-là réuffir à faire
une compofition qui ferait tou-
jours la meme : mais la qualité de
la Cochenille produira alors de
nouvelles variétés -, 6c d’ailleurs,
le peu de différence que cela
caufe ordinairement dans la
nuance de l’Ecarlatte , n’eft pas
fort à confidérer , outre qu’il y a
moyen de la raccommoder 6c de
la mener préciférnent au point
que l’on veut.
Si la compofition eft foible , 6c
qu’on n’en mette pas la quantité
que je viens de marquer, fEcar-
latte fera un peu plus foncée 6c
plus nourrie en couleur } ii au con-
traire on en met un peu plus , elle
fera plus orangée , 6c aura ce
qu’on appelle plus de feu. On
Chapitre XIII. 193
peut , pour lui donner cette nuan-
ce , y ajouter après coup un peu
de compofîtion , fi on trouve
quelle prenne dans le bain une
couleur trop foncée. Mais pour
ajouter cette compofîtion dans le
•bain, il faut en tirer la laine, &
bien mêler la compofîtion dans
la Chaudière \ car fi elle venoit à
I toucher une partie de la laine ,
avant que d etre bien mêlée , elle
feroitdes taches. Si au contraire
on trouve que l’Ecarlatte a trop
de feu , qu’elle eft trop orangée
ou trop rance , il n’y a qu’à , lorf-
qu’elle eft entièrement achevée ,
la palier fur un bain d’eau chau-
de : ce bain la ro(e un peu , c’eft-
à-dire, qu’il diminue de fon éclat
orangé. Si on y en trouvoit en-
core trop , il faudrait ajouter dans
ce bain d’eau chaude un peu d’a-
lun de Rome.
Quand on veut faire de la laine
Niij
194 L’Art de la Teinture.
filée de toutes les nuances qui
dérivent de l’Ecarlatte y il ne faut
mettre qif environ la moitié de
la Cochenille & de la compoli-
tion qu’on employeroit pour la
même quantité d’Écarlatte plei-
ne : on diminuera aulïi à propor-.
tion la crème de tartre dans le
bouillon^ on partagera la laine
en autant d t flottes ou d’échevaux
que l’on veut faire de nuances j
êc lorfque le boüillon fera prépa-
ré 5 on ÿ palfera d’abord la laine
qui doit être la plus claire , qu’on
n’y lailfera que très-peu de temps $
on mettra enfiiite celle qui doit
être un peu plus chargée , qu’on
y lailfera plus long-temps } &l’on
continuera de la forte jufqu’à la
plus foncée : après quoi on lavera
les laines , & on préparera le bain
pour les achever. Lorfqu’il fera
en état , on y palfera toutes ces
nuances bouillies l’une après faur
Chapitre XIÎÎ. 2,9$
tre , en commençant toujours par
la plus claire; éc s’il y en avoir
quelqu’une qu’on s’apperçût 11’ê-
tre pas a (Tés chargée , enforte
que cela fit un trenchant , dans la
fuite des nuances, on la repafieroit
dans k bain. L’œil juge très-fa-
cilement de cette dégradation
neceffaire dans les nuances , & il
ne faut qu’un peu d’habitude pour
réufiir parfaitement dans leur af-
fortiment.
Il y a une circonftance dans la
teinture de l’Ecarlatte dont je
n’ai point encore parlé , &: qui
mérite attention : il s’agit de fça-
voir de quelle matière doit être
la Chaudière dont on fe fert.
Tous les Teinturiers font parta-
gés fur ce point. On fe fert en
Languedoc de Chaudières d’é-
tain fin. Il y a à Paris plufieurs
Teinturiers qui s’en fervent auffi.
Cependant M. de Jullienne , qui
N iiij
L’Art de la Teinture.
fait des Ecarlattes fort recher-
chées, ne fe fert que de Chau-
dières de cuivre jaune. On n’en
a pas d’autre non plus dans la
Manufacture des Teintures de
Saint Denis. M. de Jullienne a
feulement la précaution de pla-
cer un grand réfeau de corde,
dont les mailles font allés étroi-
tes , dans la Chaudière , afin que
l’étofte n’y touche point. Au lieu
d’un réfeau, on fe fert à Saint
Denis d’un grand panier d’ofîer
écorcé à claires voyes, qui eft
moins commode que le réfeau ,
parceque jufqu’à ce qu’il foit
chargé du drap ou de l’étoffe
qu’on y doit plonger , il faut un
homme à chaque coté de la Chau-
dière pour appuyer delfus , &
l’empêcher de remonter à la fur-
face du bain.
Cette pratique fi différente par
rapport au métal dont on doit
Chapitre XIII. 2,97
faire la Chaudière , m’a fait pren-
dre le parti d’en faire l’expérien-
ce moi-même. J’ai pris deux au-
nes de drap blanc de Sedan , que
j’ai teintes dans deux Chaudières,
égales, dont l’une étoit de cuivre,
garnie d’un réfeau ou filet de
cordes , & l’autre étoit d’étain.
J’ai pefé , avec toute l’exaftitude
pofîible, la Cochenille , la compo-
iition, &: les autres ingrédiens.
Je les ai fait boüiliir précifémenc
le même temps. Enfin, j’ai ap-
porté toute l’attention néceffai-
re, pour que l’opération fût la
même de tout point , afin que s’il
s’y trouvoit quelque différence ,
on ne pût l’attribuer qu’à la dif-
férente matière des Chaudières.
Après le premier boiiillon , les
deux morceaux de drap étoient
abfolumentfemblables , fi ce n’eft
que celui qui avoit été fait dans
la Chaudière d etain paroiffoittm
N v
%€}% L v àrt de la Teinture,
peu plus marbré , &: moins égal',
ce qui pouvoit venir , félon toute
apparence, de ce que ces deux
aunes de drap avoient peut-être
été moins dégorgées au moulin,
que l’autre portion de deux au-
nes. J’achevai mes deux mor-
ceaux de drap , chacun dans l‘a
Chaudière où il avoir été com-
mencé , Sc ils devinrent tous deux
très-beaux. Cependant il étoit
aifé de reconnoître que celui qui
avoir été fait dans la Chaudière
d’étain avoir un peu plus de feu
que l’autre, &: que ce dernier
étoit un peu plus rofé. Il eut été
facile de les amener l’un &: l’am
tre à la même nuance , mais ce
n’étoit pas alors mon objet. Il ré-
fulteroit de cette expérience , que
lorfqu’on fe fert de la Chaudière
de cuivre , il faudroit employer
un peu plus de compolîtion que
dans la Chaudière d etain. Mais
Chapitre XIïÏ. 199
plus on met de compofition,plus
le drap elt rude au toucher j pour
éviter ce défaut, les Teinturiers
qui fe fervent de Chaudières de
cuivre , employeur un peu de
terra ment a, drogue de faux teint,
prohibée par les Réglemens aux
Teinturiers du grand Teint, mais
qui donne à l’Ecarlatte cette
nuance qui eft préfentement en
mode, c’eft-à-dire, ce couleur
de feu, que la vûé a peine àfou-
tenir. Il eft^aife de reconnoître
cette forte de falfification, quand
on en a quelque foupçonj il n’y
a qu’à couper un petit échantil-
lon du drap avec des cifeaux , &:
en regarder la tranche, elle fera
d’un beau blanc, s'il ny a point
de terra ment a , & elle paroîtra
jaune, s’il y en a. On appelle
tranche, en Teinture , l’intérieur,
la corde, ou le plus ferré dutifïu
An ri drap» Quand ce tilfu ferré
joo L’Art de la Teinture,
eft teint, comme la fuperficie ,
d’une couleur quelle quelle fuit,
on dit que cette couleur tranche,
& l’on dit le contraire , quand ce
milieu du tiffu eft refté blanc.
L’Ecarlatte légitime ne tranche
jamais. Te l’appelle légitime , &
l’autre faliifiée, parceque celle
où l’on a employé le terra méri-
ta y qu’on nomme aufti car aima ,
eft plus fujette que l’autre à chan-
ger de couleur à l’air. Mais com-
me le goût des couleurs varie
beaucoup } que les Ecarlattes
les plus vives font préfentemenr
à la mode ; & que pour fatisiaire
l’acheteur , il faut qu’elle aie un
œil jaune, il vaut beaucoup mieux
tolérer l’emploi du terra mérita ,
quoique de faux teint, que de
laiiTer mettre une trop grande
quantité de compofition pour
porter l’Ecarlatte à ce ton de cou-
leur , parceque dans ce dernier
Chapitre XIII. 301
cas le drap s’en trouveroit altéré,
& qu’outre qu’il cil d’autantplus
tachant à la boue, quil a eu plus
de compofition acide dans fa
teinture , c’eft qu’il fe déchire
plus aifément , parceque les aci-
des roidiffent les fibres de la lai-
ne , & les rendent caffans.
Il faut encore ajouter , que fi
l’on fe fert d’une Chaudière de
cuivre , il faut quelle fait d’une
propreté infinie. J’ai manqué
plufieurs fois des échantillons
d’écarlatte, n’ayant pas à deifeia
fait écurer la Chaudière. Je ne
puis m’empêcher de condamner
ici la routine de quelques Tein-
turiers, même des plus fameux,
qui préparent vers les fix heures
du foir leur boiiillon dans leur
Chaudière de cuivre, &: l’entre-
tiennent chaud toute la nuit,
pour gagner du temps , en y plon-
geant leurs étoffes le lendemain
3oi L’Art de la Teinture.
dès la poince du jour : il n’y a au-
cun doute que le boüillon ne ron-
ge !a Chaudière pendant la nuit,
& quintroduifant des parties cui-
vre ufes dans le drap , la beauté
de lecarlâtte n en foufre. Ils au-
ront beau dire qu’ils n’y mettent
la compofirion que quand leur
drap cil prêt à entrer dans le
boüillon , la crème de tartre ou
le tartre blanc , qu'ils ont mis dès
le foir dans le bain de leur boüil-
lon, eft un ici acide fuffifant pour
corroder le cuivre de la Cham j
diere & y former un verd de gris ,
qui fe délaye à la vérité à niefure
qu’il fe forme , mais qui n’en fait
pas moins fon effet.
Il vaudroit donc beaucoup
mieux fe fervir de Chaudières
d’étain j puifque fans étain on ne
peut faire de l’écarlatte : une
Chaudière de ce métal ne peut
que contribuer à fa beauté. Maif
Chapitre XIII» 303
ces Chaudières , fiiffifamment
grandes , coûtent trois & quatre
mille livres, ce qui eft un objet,
& dès une première opération ,
elles peuvent être fondues par
l’inattention des Compagnons»
De plus , il eft prefque impoffible
de les jetter en moule , d’un fl
grand volume , qu’il ne s’y fafle
des foufriures qu’il taudra rem-
plir. Il eft abfoiument nécelTaire
qu’elles foient d’étain fin. On ne
peur pas les pailionner pour les
rendre unies , comme le Potier
paillonne un plat d’étain fin , en
le plongeant, tout formé, dans
un bain d’étain doux, qui n’eft
ainfi appellé , que parccqu’il eft
de fonte plus ailée que l’étain fin ,
attendu qu’il y a un alliage de
plomb. Or, fi Ton remplit ces
loufflûres d’étain doux avec le fer
à fouder, ou autrement, il s’en-
fuit qu’il y aura des places dans
jô4 L’Art dë la Teinïürê,
la Chaudière , qui auront du
plomb. Ce plomb venant dans la
fuite à Être corrode par l’acide de
la compofition, ternira l’écarlat-
te. Ainfi , il y a des inconvéniens
par-tout. Cependant s’il fe trou-
ve un ouvrier allés habile pour
faire d’un feul jet une Chaudière
d’étain de Melac fans fouffiure J
il n’y a point de doute qu’un tel
vaiffeau ne foit préférable à tous
les autres : il ne s’y fait aucune
roüille , de fi l’acide de la liqueur
en détache quelques parties, ces
parties détachées ne fçauroient
nuire , comme je l’ai dit plus
haut.
Une Chaudière d’étain ne peut
courir le rifque d’être fondue que
quand on la vuide pour faire un
bain frais. Ainfi , il eft nécelfairc
d’indiquer les précautions qui
peuvent prévenir cet accident.
Premièrement , il faut ôter tout
Chapitre XIII. 305
le feu du fourneau, même jufqu’ à
la braife, fur laquelle il ne ferait
pas mal de jetter un peu d’eau,
au cas qu’on ne lote pas toute en-
tière , parcequ il s’élève une va-
peur humide, qui modifie beau-
coup la précédente ardeur du
feu^ on vuide enfuite la moitié
du bain avec un feau , pendant
qu’une autre perfonne l’agite vio-
lemment avec une pèle pour hu-
mefter toujours les parties fupé-
rieures de la Chaudière, qui fe
trouvent à fec, &pour les rafraî-
chir davantage , & en même
temps ce qu’il refie du bain dans
a Chaudière , on y verfe de l’eau
: roide environ la moitié de ce
pie l’on en a ôté : puis on contt-
îue de vuider toujours en agi-
:ant le bain avec la pèle , &: l’on
ijoûte de l’eau froide * ce qu’il
aut toujours faire jufqu’àce que
e qui refte ne foit que tiède , &
30 6 L’Art de la Teinture.
qu’on puifle toucher le fond delà
Chaudière fans fe brûler, pour
lors on achève de vuider & d o*
ter les fédimens qui relient , avec
des éponges moiiillées. Avec cet-
te attention, on garantit ces for-
tes de Chaudières de prix , des
accidens qui font craindre de sen
fervir.
Après avoir donné la maniéré
de teindre en écarlatte les laines
filées , 6£ de faire les nuances qui ;
en dérivent de qui font fi nécef-
faires pour toute efpece de ta-
pifleries, il eft bon de donner
une idée de la teinture en écar-
latte de plulîeurs pièces d’étoffe à
la fois. Je vais rapporter ici cette
opération, telle qu’on la prati-
que en Languedoc , 6c qu’elle m’a
été communiquée par M. de Fon-
dières , alors Infpecieur général
des Manufa&ures. j’en ai fait
l’épreuve fur quelques aunes de-
Chapitre XIII. 307
toffes, & elle ma parfaitement
réufli ; mais je 1 ’
que celle des Gobelins.
On doitfçavoir premièrement,
que les draps & autres étoffes ne
fe teignent jamais en laine, c’eil-
i-aire , que Ton ne teint pas la
aine en cette couleur avant que
l’être filée. Il y a deux raifons
le ne le point faire. La première
commune , ou devroit l’être ,
i toutes les étoffes de couleurs
impies , c’eft- à-dire , celles où il
l’entre point des laines de plu-
ieurs couleurs , & que pour cela
>n appelle étoffes de mélange. Ces
ortes d’étoffes ne fe teignent
>oint en laine , fur-tout quand el-
es doivent être en couleurs hau-
es ou fines, parceque dans le
:ours de la fabrication, foit pen-
lant le filage , le cardage , ou la
ffure, il feroit prefque impolli-
que l’Ecarlatte
308 L’Art de la Teinture.
ble que dans un grand Atelier oi
il y a plufieurs ouvriers , il ri\
volât pas quelque parcelle de lai
ne blanche , ou de quelqu’autn
couleur j ce qui gâteroit celle d<
l’étoffe , en la marbrant tant foi
peu. C’eft pourquoi on ne tein i
les rouges, les bleus, les jaunes
les verds , & toutes les autres cou
leurs, quon veut parfaitemen
unies, qu’après leur fabrication
La fécondé raifon, qui eftpar
ticüliere à l’Ecarlatte , ou plutô:
à la Cochenille , avivée par ur
acide, c’eft qu’elle ne peutpa
ré'ifter au Foulon, 6c que , comme
laplûpart des étoffes de haut prb
doivent y paiTer, après être le
vées de deffus le métier , la Co-
chenille y perdrait une partie de
fa couleur, ou du moins roferou
exceffivemcnt à caufc du favor
qui fait cet effet, parce qu’il con
dent un fel alcali qui détruit h
Chapitre XIII. 309
vivacité que l’acide procure au
rouge. Ces raifons font donc
qu’on 11e teint les draps de autres
étoffes en écarlatte , en foupe-en^
vin , cramoifi ? violet , pourpre de
autres couleurs femblables , que
| lorfqu’elles font entièrement fou-
lies de apprêtées»
Pour teindre , par exemple s
:inq pièces de drap de Carcaf-
li.Qnne à la fois , de cinq quarts dp
arge , de contenant quinze à fei-
ic aunes chacune , voici les pro-
portions que l’on doit fuivre. On
:ommence par faire la çompofi-
:ion fort différemment que celles
font j’ai donné ci-devant les pro-
:édés. On met dans un pot de
nrais ou de terre vetniffée douze
ivres d’eau force de vingt-quatre
ivre d’eau ; on y ajoute une livre
ic demie d’étain en larmes cou-
ées à l’eau ouenrapures. Ladiff
blution s’en fait plus ou moins
3io L'Art de la Teinture.
lentement, fuivant le plus ou 1<
moins d’acidité de l’eau forte
On lai Te repofer cette diffolutioi
pendant douze heures au moins
Pendant ce temps , il fc précipiti
au fond du vailfeau une efpéc<
de boue noirâtre. On verfe pa
inclination ce qui fumage ce fé
diment : cette liqueur eft clain
& citrine , &: c eft la compofitioi j
que l’on conferve à part. On voi
combien ce procédé eft différen
du premier par la quantité d’eai
que fon mêle dans beau forte
par la petite quantité d’étain don
il ne peutprefque rien relier dan
la liqueur , puifque beau fort<
leule n’en eft pas le diffolvant
&: quelle ne fait que le corrode;
& le réduire en chaux ou en ma
giftere , attendu qu’on n’y ajoute
ni falpêtre , ni , fur-tout , de fe
ammoniac, qui en feroit une eat
régale. L effet de cette compo
Chapitre XIII. jii
fition n*eft cependant different
de celui des autres, que pour des
yeux accoutumés à juger de cette
couleur. Cette composition faite
fans tel ammoniac , 6c qui a été
long -temps en ufage chés un
grand nombre de Fabriquans de
Carcaffonne , qui s’imaginoient
fans doute que c’étoit au préten-
du foutre de 1 étain qu’on devoit
fon effet, peut durer fans fe cor-
rompre jufqu’à trente-fîx heures
zn hyver, 6c vingt-quatre heures
feulement en été. Après ce temps,
die fe trouble , 6c il fe précipite
lu fond du vafe un nuage qui fe
:hange en fédiment blanc. C’eft
a petite portion detain qui étoit
r ufpenduë dans f acide, mais dans
in acide non préparé pour ce mê-
lai. Lacompolition, qui doitetre
aune , eft alors claire comme de
eau , 6c li on l’employoit dans
:et état, elle ne reuffiroit pas*
312, L’Art de la Teinture.
8c ferait le même effet que celle
qui ferait changée en lait. Feu M.
Baron a prétendu être le premier
qui eut découvert à Carcaffonne ,
quil étoit néceffaire d’y mettre
du fel ammoniac pour empêcher
que l’étain ne fe précipitât. Si cela
eft -, il n’y avoit donc perfonne
dans cette Ville qui fçût que l’é-
tain ne peut être réellement dif-
fout que par l’eau régale.
Après qu’on a préparé la com-
pofition, telle que je viens de la
décrire d’après M. de Fondières,
on met dans une grande Chau-
dière environ foixante pieds cu-
bes d’eau, pour la quantité de
drap qu’on a prife ci-devant pour
exemple , &: lorfque l’eau com-
mence à chauffer, on y met un
fac rempli de fou : on eft obligé
aiifli quelquefois d’employer des
eaux Lires. L’un 8>c l’autre fervent,
dit-on , à corriger l’eau, c’eft-à-
Chapitre XIII. 315
dire , à abforberles matières ter-
reufes 6c alcalines qui peuvent
s’y rencontrer, 6c qui , comme je
l’ai dit, rofent le teint de la Co-
chenille. Car on doit connoître
l’effet de l’eau qu’on employé , 6c
l’expérience apprend fi l’on abe-
foin de recourir à ces expédiens,
ou li l’eau étant bien pure 6c dé-
nuée de Tels ou de parties terreu-
fes, elle peut être employée fans
ce fecours.
De quelque maniéré que la
chofe foit, lorfque l’eau commen-
ce à être un peu plus que tiède,
on y jette dix livres de cryftal ou
crème de tartre pulvérifée , c’eft-
: à-dire, deux livres par pièces de
drap. On pallie fortement le bain,
6c lorfqu’il eff un peu plus chaud,
on y jette une demie livre de
Cochenille en poudre , que l’on
y mêle bien avec des bâtons j un
! moment après , on y verfe vingt-
O
314 L’Art de la Teinture.
fept livres de compofition bien
claire, que Ton y remue bien auffi;
& dès que le bain commence à
boüillir, on y met les draps que
Ion y fait boüillir à gros boüif
Ions pendant deux heures , les re-
muant continuellement à l’aide
du tour. On les lève enfuite fui
une civiere, 8c on les manie ?
trois ou quatre fois d’un bout l
l’autre , en palfant la lifiere entre
les mains, pour les éventer &le
refroidir. On les porte enfuite 1
la riviere pour y être bien lavés
Pour bien entendre la maniéré
dont on remue les draps , il fau
fe fouvenir que j’ai dit au com
mencement de cet Ouvrage , que
l’on plaçoit fur les jantes de bois
qui foutiennentle bord des Chau
dieres, des fourchettes de fer
fur lefquelles on pofe horizonta
lement une efpéce de tour ou d<
roiiet , que l’on fait tourner avei
Chapitre XIII. 315
une manivelle. On commence
par coudre , lune au bout de l’au-
tre , toutes les pièces d’étoffes que
l’on veut teindre enfemblej de
I aullî-tôt qu’elles font jettées dans
la Chaudière , onpofe fur le roiiet
le chef de la première de ces
pièces , que l’on a eu foin de te-
nir à la main , de l’on tourne le
roiiet jufqu’i ce que l’autre bout
de la derniere piece paroiffe. O11
tourne alors le roiiet dans unfens
contraire , de de cette maniéré ,
toutes les pièces font teintes le
plus également qu’il eft poffible.
Après que le drap a été bien
lavé , on vuide la Chaudière , de
l’on prépare un nouveau bain ,
dans lequel on met, s’il eft nécef-
faire , un fac de fon , ou de l’eau
fûre : mais on n’y ajoute rien ,
fi l’on connoît l’eau pour être de
bonne qualité. Lorfquele baineft
prêt à boüillir , on y met huit li-
Oij
3 1 <3 L’Art de la Teinture.
vres ’& un quart de Cochenille
pulvérifée & tamifée , on la mêle
le plus également qu’il eft pofti-
ble dans tout le bain ; &: ayant
difcontinué de remuer , on obier-
vera , lorfque la Cochenille mon-
tera à la furface de l’eau tte qu’elle
y formera une croûte de couleur
de lie de vin, le moment auquel
cette croûte s’entrouvrira d elle-
même en plulieurs endroits. Alors
on y ver fer a dix -huit à vingt li-
vres de compofitïon. Cn aura au-
près de la Chaudière unvaifleau
rempli d’eau froide, pour en jet-
ter dans le bain , en cas qu’après
y avoir mis la compofïtion , il
monte & s’élève par-defTus les
bords de la Chaudière 3 ce qui
arrive quelquefois.
Lorfque la compofïtion eft dans
la Chaudière, & qu’on l’a bien
diftribuée par-tout, on y jette le
drap , & on tourne fortement le
Chapitre XIII. 317
roiiet deux ou trois tours, afin
que toutes les pièces prennent
egalement le teint de la Coche-
nille. Enfui te 011 tourne plus
lentement , pour laifler boüiliir
l’eau. O11 la fera boüiliir à gros
boüillons pendant une heure ,
tournant toujours le roüet, de en-
fonçant le drap dans le bain avec
des bâtons , lorfque le boüillon le
fouléve un peu trop. On lèvera
enfuite le drap, & l’on paffera les
lifieres dans les mains pour le-
venter & le refroidir j puis on le
portera à la riviere pour le laver,
& on le fera fécher de apprêter.
Il entre , comme l’on voit , une
livre trois quarts de Cochenille
dans la teinture écarlatte de cha-
que pièce de drap de Languedoc
deftiné pour le Levant ; puifque
pour les cinq pièces , on en a mis
une demie livre au bouillon , de
huit livres un quart à la rougie ,
3 1 8 L’Art de la Teinture.
c’eft-à- dire , pour les achever*
Cette quantité eft fuffifante pour
donner au drap une très -belle
couleur. Si Ton y mettoit plus de
Cochenille , ôc que cependant on
voulût toujours avoir une couleur
orangée, il faudroit augmenter la
dofe de la compofîtion, &: alors
le drap perdroit une partie de fon :
fond,6cne paroîtroit pas plus char-
gé de couleur , que h Ton n’avoit
employé que la quantité de Co-
chenille que je viens de marquer.
Quand on a une grande quan-
tité d’étoffes à teindre en écar-
latte , il y a un profit confidérable
à les faire tout de fuite } car on
profite , pour la fécondé paffe ,
du bain qui afervi à la première.
Par exemple , lorfqu’on a achevé
les cinq premières pièces , il refie
toujours dans le bain une certai-
ne quantité de Cochenille , qui ,
fur fept livres , peut aller à douze
Chapitre XIII. 3157
onces ; ce qu’on connoîc à ce que ,
fi on fait: fur ce bain un bouillon
pour en teindre d’autres , les
draps qu’on y mettra feront de
la même nuance de couleur de
rofe , que fi , fur un bain frais ou
nouveau , on les avoir teints avec
douze onces de Cochenille. Cet-
te quantité qui refte peut cepen-
dant varier beaucoup félon la
qualité ou le choix de la Coche-
nille , ou félon qu’elle aura été ré-
duite en poudre plus ou moins
fine. C’eft de quoi je parlerai
avant que de finir ce Chapitre.
Mais quelque peu qu’il refte de
icouleur dans le bain , elle ne laifte
pas que de mériter attention, à
caufe de la cherté de cette dro-
gue. On fe fert donc de ce bain
oour faire le boüillon de cinq au-
:res pièces , & on y met moins de
Cochenille & moins de compofi-
:ion , à proportion de ce qu’on
O iüj
j lo L’Art de la Teinture.
eftime à peu près y en être de-
meuré. On épargne auffi par-là
le bois 6c le temps. Mais on ne
peut donner fur cette manœuvre
aucun détail , 6c il me doit fuffire
de l’avoir indiquée ; étant certain
que tout homme habile 6c intel-
ligent trouvera facilement par
lui-même les moyens les plus furs
pour en tirer avantage ; puifque
fi après qu’on a teint, dans la fuite
de l’écarlatte , une étoffe en cou-
leur de rofe , on fait encore une
troifiéme préparation, on pourra
en teindre une autre en couleur
de chair. Si les Teinturiers n’ont
pas le temps de faire ces deux&
troifiéme boüillon dans les vingt-
quatre heures , la couleur du bain
fe corrompt , 6c l’eau qui étoit
couleur de rofe , fe trouble 6c
perd entièrement cette couleur.
Pour empêcher que ce bain ne fe
corrompe , quelques - uns y met-
Chapitre XIII. jlî
tent de l'alun de Rome ; mais
lesécarlattes quon y prépare en-
fuite deviennent toutes rofées.
Les écarlattes qu’on rofe ainfî,
dans le même bain où elles ont
été faites, n’ont jamais le même
œil que celles qu’on rofe fur un
bain frais. Les drogues, qui dé-
truifent mutuellement leur effet,
agiflent beaucoup mieux quand
on les employé l’une après l’au-
tre.
Lorfqu’on voudra teindre des
draps de différente qualité, ou
quelqu’autre forte d’étoffe , le
plus fur moyen eft de les pefer y
& pour chaque cent livres , on
employera environ fîx livres de
cryftal ou crème de tartre, dix-
huit livres de compofîtion dans
le boüillon , autant dans la rougte ,
& fîx livres & un quart de Coche-
nille, tant dans le boüillon que
dans la rougte . Réduifant le tout
Ov
3 ii L'Art de la Teinture.
pour le poids d’une livre d’étoffe*
en faveur de ceux qui voudroient
faire eux-mêmes ces fortes d’ex-
périences * c’eft une once de crè-
me de tartre * fîx onces de com-
pofition , & une once de Coche-
nille pour chaque livre de quel-
que étoffe que ce foit. D’autres
Teinturiers de Paris, qui réuffif-
fent très-bien , mettent les deux
tiers de la compoiition & un quart
de la Cochenille au hoiiillon , ôc
l’autre tiers de la compofition
avec les trois quarts de la Coche-
nille à la rougie.
On n’eft pas dans l’ufage de
mettre du cryftal de tartre dans
gâte rien, pourvu qu on n en met-
te au plus que la moitié du poids
de la Cochenille, & même il m’a
paru qu’il rendoit la couleur plus
îblide. Il y a eu des Teinturiers
Chapitre XIII. 32,3
qui ont fait l’écarlatte en trois
fois ; alors il y a le premier & le fé-
cond bouillon, & enfuite la rou-
gie y mais on n’employe toujours
que la me me quanti té de drogues.
J’ai fait remarquer dans le
Chapitre précédent, que par le
peu d’habitude où l’on étoit de
le fervir du Kermès pour les écar-
lattes brunes ou deVenife,on
faifoit ces fortes de couleurs avec
la Cochenille. Pour y parvenir ,
on fait le bouillon à l’ordinaire -,
& pour la rougie , on ajoûte dans
le bain huit livres d’alun pour
chaque cent pefant d’étoffe -, on
diffout cet alun à part dans un
chaudron , avec une quantité
d’eau fuffifante : on le jette dans
le bain avant que d’y mettre la
Cochenille. Le refte fe fait pré-
cifement comme dans l’écarlatte
ordinaire, cela donne au drap
la couleur de fécarlatte de Ve-
O vj
314 L’Art de la Teinture.
nife * mais elle n’a pas à beaucoup
près la même folidité , que fi elle
avoir été faite avec le Kermès.
Il n’y a point de fels alcalis qui
ne rofent aufii f écarlatté j de ce
nombre font le fel de tartre, la po-
taffe , les cendres grave lé es bien
calcinées , le nitre fixé par les
charbons : mais on fe iert plus
comunément de l’alun, parceque \\
les fels alcalis ne procurent pas 1
de folidité à la couleur j & de plus,
fi on les fait boüillir avec l’étoffe,
il efl: à craindre qu’elle ne s’en
trouve confidérablement altérée,
parceque les fels alcalis fixes dif-
îolvent toutes les matières ani-
males. Si, parla calcination, on
prive l’alun de fon flegme , il rô-
le bien plus finement. Le bain
qui a fervi à rofer eft rouge , &
d’autant plus rouge , que l’écar-
latte a été plus rofée* c’eft-delà
que ces couleurs perdent dans le
Chapitre XIII. 325
bain qui les brunit , une partie de
leur fond. On ne fçauroit pour-
tant brunir en bon teint qu’avec
des fels. Feu M. Baron marque
dans un Mémoire quil préfenta il
y a douze ou quinze ans , à Y Aca-
démie Royale des Sciences , que
celui de tous les fels qui lui avoit
le mieux réuffi en bruniffant ,
pour unir la couleur & lui con-
server fon éclat de fon fond , étoit
le fel d’urine ; mais , comme il le
remarque , ileft trop incommode
de faire ce fel en quantité.
J’ai dit au commencement de
ce Chapitre, qu’il étoit important
de choifir l’eau qu’on employé
dans la teinture en écarlattej par-
ceque la plus grande partie des
eaux communes la rofent , atten-
du qu’elles contiennent prefque
toujours une terre gypfeufe ou
calcaire , & quelquefois de l’a-
cide fulphureux ou vitriolique.
32.6 L/àrt de la Teinture.
C’eft à ces eaux quon don-
ne communément le nom d'eau
crue ; on entend défigner par
ce terme , une eau qui ne dif-
fout pas le favon , & dans la-
quelle les légumes ont beau-
coup de peine à cuire. En trou-
vant le moyen d’abforber ou de
précipiter toutes ces matières hé-
• térogènes , on rendra toutes les
eaux également bonnes pour cet-
te forte de teinture. Si l’on a des
alcalis à détruire , un peu d’eau
fûre fera cet effet. Cinq ou fix
pieds cubes de ces eaux fûres ,
mis fur foixante ou foixante &
dix pieds cubes d’autre eau, avant
quelle ait boüiilie , font élever
ces terres alcalines en écume qu’il
eft aifé d’enlever du bain : plein
un fac de toile de quelque racine
blanche & mucilagineufe , cou-
pée par petits morceaux , ou con-
caffée li elle eft feche > corrige
Chapitre XIII. 32?
iuiffi très-bien une eau douteufe 7
fi 011 tient le fac dans l’eau lorf-
que lie bout pendant une demie
heure ou trois quarts d’heure 3 le
fon fait aufli aiTés bien , ainlî que
je l’ai fait obferver plus haut.
Tout ce que j’ai dit jufqu’à
prêtent dans ce Chapitre,ell pour
inftruire ceux qui voudront en-
treprendre d’acquérir des con-
noilfances dans l’Art de la Tein-
ture ; je vais tenter préfentement
de fatisiaire le Phylicien, en lui
préfentant ce que les expériences
m’ont fait appercevoir du méca-
nifme , pour ainlî dire ? invilîble,
de toutes ces préparations.
La cochenille infufée ou bouil-
lie feule dans de l’eau pure , don-
ne une couleur cramoilîe tirant
fur le pourpre ; c’eft fa couleur
naturelle. Mettez -en dans un
verre , 8z verfez delïus de l’efprit
de nitre > goutte à goutte , vous
3 x8 L’Art de la Teinture.
éclaircirez tellement cette cou-
leur 5 quelle deviendra jaune ; àc
fi vous en mettez encore , à peine
vous appercevrez-vous qu’il y ait
eu originairement du rouge dans
la liqueur du verre j ainfi l’acide
détruit ce rouge , c’eft-à-dire ,
qu’en le diflbivant , il le divife en
des parties fi tenues , que l’œil
ne peut plus les appercevoir. Si
dans l’expérience , j’employe l’a-
cide vitriolique à la place de l’a-
cide du nitre , les premiers chan-
gemens de la couleur feront pour-
pres , puis lilas pourprés, enfuite
lilas clairs, enfin couleur de chair,
puis fans couleur. Cette différen-
ce d’un bleuâtre qui fe mêle au
rouge pour faire du pourpre ,
peut venir de cette petite por-
tion de fer , dont toute huile de
vitriol eft rarement exempte.
Dans le boüillon de l’écarlatte
on ne met pour tous fels que la
Chapitre XIII. 3x9
crème de tartre : on n’y ajoûte
point d’alun , comme dans le
bouillon ordinaire des autres cou-
leurs , parcequ’il referait la tein-
ture , à caufe defon acide vitrio-
lique. Cependant il faut une ma-
tière terreufe qui foit blanche ;
une chaux , qui avec les parties
rouges de la cochenille , puilîe
faire une forte de lacque des
Peintres, laquelle s’enchâde dans
les pores de la laine , à l’aide du
cryftal de tartre. On trouve cet-
te chaux blanche dans la diffo-
lution d’un étain bien pur. Qu’on
fade l’expérience de cette tein-
ture dans quelque petit vailïeau
de terre verniiTée 3 Sc lorfque la
cochenille a communiqué fa tein-
ture à l’eau ; qu’on y verfe la com-
pofition goutte à goutte , en exa-
minant avec une loupe ce qui fe
paffe à chaque goutte qu’on fait
tomber 3 on verra un petit cercle
3 3° L’Art de la Teinture.
où fe fait une fermentation allés
vive , &: Ion appercevra la chaux
d’étain fe féparer & fe teindre
fur le champ de la couleur vive
dont le draç fera teint dans la
fuite de 1’ opération.
Une preuve que cette chaux t
blanche de l’étain eft néceffaire
à l’opération , c’eft que fi l’on fer
employoit la cochenille avec l’ef* ioi
prit de nitre ou l’eau forte feule , il
en auroit un très-vilain cramoifi. I
Si l’on fe fervoit de la diftolution
de quelqu’autre métal . dans le
même efprit de nitre , comme de
fer ou de mercure , on auroit , de
la diffolution du premier, un gris
de cendre foncé } Sc du fécond ,
une couleur de maron jafpé, fans
qu’on put appercevoir, dans l’un
ni dans l’autre , aucun veftige du
rouge de la cochenille. Or , com-
me par ce que je viens de dire ,
il eft très-raifonnable de fuppofer
Chapitre XIII. 331
que la chaux blanche de letain ,
ayant été teinte par les parties
colorantes de la cochenille, avi-
vées par l’acide du diflolvant de
ce métal , a formé cette efpéce
de lacque terreufe dont les ato-
mes fe font introduits dans les
Spores des fibres de la laine , ou-
verts pendant la chaleur de l’eau
boiiillante : ils s’y font maftiqués ,
jà l’aide du cryftal de tartre , ôc
ces pores fe refferrant fort vite ,
par le froid fubit qu’on commu-
nique au drap en l’éventant , ces
particules colorantes s’y trouvent
iuffifamment enchâffées pour
être de bon teint. Si par la fuite
f ir leur fait perdre leur premiè-
re vivacité , cette perte 11’eft pas
toujours la même en tous lieux 3
mais elle eft relative aux matiè-
res hétérogènes dont l’air eft em-
preint. A la campagne, par exem-
ple , & fur-tout dans un lieu éle-
3ji L’Art de la Teinture.
vé , un drap écariatte conferve
beaucoup plus long-temus fon
œil vif, que dans les grandes Vil-
les , où les vapeurs urineufes &
alcalines font plus abondantes.
De même , la boue de la campa-
gne , qui , hors des grandes rou-
tes , n’eft ordinairement qu’une
terre délaïée par l’eau des piuyes,
ne tache pas l’écarlatte , comme
la boue des Villes où il y a des
matières urineufes , & fouvent
beaucoup de fer dilfout, ainfi que
dans les boues de Paris. Or on
fçait , &: je l’ai déjà dit , que tou-
te matière alcaline , détruit l’ef-
fet qu’à produit un acide fur une
couleur quelconque. C’eft par
cette raifon , que fi l’on fait bouil-
lir un morceau d’écarlatte dans
une leflive de potafle , on rend
d’abord la couleur pourprée , &
en continuant de le faire boüil-
lir , on l’enlève entièrement >
Chapitre XIII. 333
parceque , de cet alcali fixe &: du
cryftal de tartre , il fe forme un
tartre foluble que l’eau dillbut &
détache aifément des pores de la
laine. Tout le maftiedes parties
colorantes eft détruit alors , & el-
les rentrent dans la leffive des
fels.
J’ai effayé plufieurs autres al-
térations du teint de la coche-
nille , pour connoître ce que pro-
duiroit l’union de fon rouge avec
différentes autres matières , qui
ordinairement 11e font pas ré-
putées colorantes } mais je ne
rapporterai ici que les expérien-
ces dont les effets ont été les plus
finguliers.
Le Zinc , par exemple , dif-
fout dans l’efprit de nitre , con-
vertit le rouge de la cochenille
en ardoifé violet.
Le fcl de Saturne mis à la pla-
ce du cryftal de tartre , fait un
334 L’Art de la Teinture.
lilas un peu terne , marque que
des parties de plomb fe joignen
à la couleur dé la cochenille.
Le Tartre vitriolé fait par 1;
potaffe &: le vitriol , détruit 1(
rouge de cet ingrédient , & ne
donne qu’un gris d’agathe.
Le Bifmuth, diflout en efpri
de nitre , affoibli par partie éga
le d’eau commune , & verfé fu
un bain de cochenille , fait pren
dre au drap un gris de tourterel
le fort beau & fort vif.
La diffolution du Cuivre dan
fefprit de nitre non affoibli, don
ne , avec la cochenille , un cra
moi fi fale.
Celle d’argent de Coupelle
une couleur de canelle un pei
fauve.
L’Arfenic , ajoûté au bain d<
cochenille , fait un canelle plu
vif que le précèdent.
L’Or diflout en eau régale
Chapitre XIII. 33^
donne une couleur de maron
avec d.es laines de différentes
couleurs.
Le Mercure diffout par l’ef-
prit de nitre , fait, à peu près , le
même effet.
Le fel de Glauber feul , mis
dans un bain de cochenille , en
détruit le rouge , comme fait le
tartre vitriolé , &: donne , comme
lui, un gris d’agathe,mais qui n’eft
pas de bon teint 5 parceque ce
fel fe diffout trop aifément , mê-
I me dans l’eau froide, & que d’ail-
leurs il eft du nombre des fels qui
fe calcinent aifément à l’air.
Le fel fixe de l’urine donne
un gris de cendre clair , où l’on
çoit pas la moindre tein-
mge ; comme le prece-
dent article , il n’eft pas de bon
; teint , parceque c’eft un fel qui
vergetée , qui fait paroître le
drap comme s’il eut été fabriqué
Violet
fans bleu.
3 36 L’Art de la Teinture.
ne peut faire un maftic iolide
dans' les pores de la laine , atten-
du qu’il eft diffoluble par la lim-
ple humidité de l’air.
Enfin , l’extra&ion de la mine
du Bifmuth convertit le rouge de
la cochenille en un pourpre pref-
que violet, aufii beau que fi ce
rouge eut été appliqué fur un
drap précédemment teint en bleu
célefte.
Il eft aifé de conclure , pour
peu qu’on faiïe quelques réfle-
xions fur toutes ces expériences,
que les fels & dilfolutions métal-
liques fourniflent des parties qui
s uni lien t avec les particules co-
lorantes des ingrédiens employés
pour teindre , & qu’il eft facile
de démontrer que ces mêmes
parties ajoutées , contribuent
beaucoup à la ténacité des cou-
leurs.
Avant que de finir ce Chapi-
tre
Chapitre XIII. 337
tre de f écarlatte , il y a quelques
obfervacions à ajoutei , que le
Lecteur feroit peut-être fâché
de ne pas trouver. Ni la boue
des rues , ni plufieurs autres ma-
tières âcres , ne peuvent tacher
lecarlatte , fi 1,’on a foin de laver
fur le champ f endroit taché avec
de l’eau pure , & un linge blanc :
mais fi Ton a donné le temps à la
boue de fécher , alors la tache
qui paroîtra d’un violet noirâtre,
ne pourra être ctée que par un
acide végétal, tel que le vinai-
gre blanc , le jus de citron , ou
une dififolution chaude de tartre
blanc , peu chargé de ce fel : mais
pour peu qu’on n’employe pas
ces acides avec un peu d’atten-
tion & d’adrefie , en ôtant la ta-
che noirâtre , ils feront une tache
jaune -> parceaue, comme on l’a
vu ci-devant , les acides rœnctjfent
& détruifent même le rouge de
338 L’Art de la Teinture.
la cochenille. Un manteau rou-
ge extrêmement taché par la
crotte , fera paiTablement bien
nettoyé par les eaux fûtes. Il y a
telles de ces taches pour iefquel-
les il faudra paffer l’étoffe fur le
bain qui relie après avoir fait la
teinture d ecarlatte. Il y en a d’au-
tres enfin qui obligent de dé- j
bouillir l’étoffe 6c de la reteindre, i
Les alcalis n ont pas feuls la
propriété d’emporter la couleur
de lecarlatte. Si l’on met dans
le boüillon , qui fert de prépara-
tion à cette couleur , une pièce
de drap écarlatte , elle perdra
d’abord une grande partie de fa
couleur j & de telle forte que fi
l’on attache avec elle trois autres
pièces de drap qui foient blan-
ches > il fera difficile , après que
les quatre auront boüilli enfem-
ble une heure de temps , de difi
tinguer celle qui étoit écarlat-
Chapitre XIII. 339
te d’avec les autres.
Si l’on mettoit une pièce de
drap écarlàtte , ou déjà en cou-
leur , avec les drogues du boüil-
lon , d’abord elle perdrait toute
fa couleur , parceque les pre-
miers fels fe difioudroient & fe
-mêleraient avec les nouveaux.
Mais fi on continuoit de la faire
boüillir de nouveau dans un bain
de cochenille ou dans une rou-
gie , elle y reprendrait toute fa
première couleur , avec de nou-
velles parties colorantes , enforte
. que la fournie totale de ces par-
ties colorantes excédant de beau-
coup la quantité, uniquement né-
. ; ceflaire pour avoir de belle écar-
latte , ce drap aurait beaucoup
moins de vivacité qu’il n’en au-
rait en fortant d’une opération
faite à f ordinaire , d’où il paraît
que les premiers inventeurs de
cette magnifique couleur, ont dû
Pij
34° L’Art de la Teinture.
faire un nombre confidérable de
combinaifons avant que de trou-
ver ce terme, pour ainfi dire uni-
que, de perfeétion.
Les écàrlattes perdent toujours
de leur éclat à l’apprêt , parce-
que l’apprêt couche le poil , &
force fes fibres d’être prefque pa-
rallèles à la chaîne. En cet état ,
îe drap a numériquement moins
de fuperficies par conféquent
moins de raïons de lumière en
font réfléchis. D’ailleurs , le bout
du poil efi: toujours ce qui a été
le plus pénétré par la teinture ,
6c ce qui fait la plus grande viva-
cité de la couleur } quand il eft
couché fur le drap , la plupart de
ces pointes du poil ne parodient
plus.
«“P
Chapitre XIV. 541
&r 4* U** ^ ifr ïîr Ç tfcr ^ îAr îlf lir iîr î«£r
CHAPITRE XIV.
Du Cramoifi.
L E Cramoifieft, comme oh
l’a dit plus haut , la couleur
naturelle de la cochenille , oh
plutôt celle quelle donne à la lai-
ne bouillie avec l’alun & le tar-
tre , qui eft le boiiillon ordinaire
pour toutes les couleurs. Voici
la méthode qui cil ordinaire-
ment en ufage pour les laines fi-
lées j elle eft prefque la même
pour les draps , ainfi qu’on le ver-
ra ci -après. On met dans une
Chaudière deux onces ôt demie
d’alun , & une once &C demie de
tartre blanc pour chaque livre de
laine. Lorfque le tout commen-
ce à boüillir , on y plonge la laine,
que l’on remué bien , & qu’on y
laifle bien boüillir pendant deux
542^ L’Art m xa Teinture.
heures : on la lève enfuite , on
1 exprime légèrement , on la met
dans un fac ; & on la laide aind
fur le boüillon , comme pour l’é-
carlatte de graine , & pour tou-
tes les autres couleurs.
Pour la teindre , on prépare un
bain frais, dans lequel on met
une once de cochenille pour cha-
que livre de laine : lorfque le bain
eÆ.un peu plus que tiède , & lorf-
.qu’il commence à boüillir , on y
met la laine , qu’on remue bien
fur fes hz>oirs ou bâtons , comme
on a dû faire pour le boüillon , &
•on l’y laide de la forte pendant
une heure ; après quoi on la lève,
on l’exprime , & on la porte lave*
à la rivière.
Si on veut en faire une fuite ,
& qu’on veiiille en tirer toutes les
.nuances , dont les dénominations
font purement arbitraires , on fê-
ta, comme je l’ai dit pour l’écar-
Chapitre XIV. 343
latte , c’eft-à-dire , qu’on 11e met-
tra que moitié de cochenille * 6 c
on y paflera toutes les nuances ,
l’une après l’autre , en laiflant fé-
journer dans le bain les unes plus
long -temps que les autres , 6 c
commençant toujours par les plus
claires.
La beauté du Cramai h eft
qu’il tire fur le gris de lin , le plus
qu’il eft poffible , ou qu’il fait ex-
trêmement r ofé . J ’ai fai t plufteurs
tentatives pour parvenir à porter
le Cramoifi à une plus grande
perfection que la plupart des
Teinturiers n’avoient fait jufqu’à
préfent, & en effet , j’ai réufli à
le rendre auffî beau que le Cra-
moifi faux , qui eft toujours plus
vif 6 c plus brillant que le fin. Voi-
ci le principe fur lequel j’ai tra-
vaillé. O11 fçait, par ce qui a été
dit ci-devant , que les alcalis ro »
[tnt la cochenille , 6 c c’eft la pre>
"344 L'Art de la Teinture.
miere route que j’ai fuivie. J’ai
eflaïé le favon , la foude , la po-
taffe , la Cendre gravelée : tous
ces fels , en effet , amènent le
Cramoifî à la nuance que je cher-
chois ; mais en même temps ils le
te mi fient & diminuent fon éclat.
Je me fuis avifé de me fervir d’al-
calis volatils , & j’ai trouvé que
l’efprit volatil de fel ammoniac ,
faifoit un très-bon effet j mais cet
efprit étoit évaporé dans le mo-
ment , & il en falloit mettre dans
le bain une quantité allés confî-
dérable , ce qui augmentoit beau-
coup le prix de la teinture. J’ai
donc eu recours à un autre ex-
pédient qui m’a mieux réufïi , &
dont la dépenfe eft un petit ob-
jet. C’eft de faire entrer dans le
bain falcali volatil du fel ammo-
niac , dans i’inftant même qu’il
fort de fa bafe j & pour cela ,
après que mon Cramoifî étoit
Chapitre XIV. 345
fait à l’ordinaire , je le pafïois fur
un nouveau bain , dans lequel
j’avois fait difïbudre un peu de
lel ammoniac. Dès que le bain
étoit un peu plus que tiède , j’y
jettcis autant de potaiïe que j’a-
vois mis de fel ammoniac , & ma
laine prenoit fur le champ une
couleur très-rofée &: très-brillan-
te. Cette méthode épargne mê-
me de la cochenille } car ce nou-
veau bain la fait monter , & on
peut alors en mettre un peu
moins qu’en fuivant le procédé
ordinaire : mais la plupart des
Teinturiers , même des plus re-
nommés, rofent les cramoifis avec
forfeille*, drogue de faux teint.
On fait encore de très-beaux
Cramoifis , en boiiillant la laine
comme pour l’écarlatte ordinai-
re , &r faifant enfuite un fécond
bouillon avec deux onces d’alun
bc une once de tartre pour cha-
P v
34 6 L’Art de la Teinture.
que livre de laine : on la laide
une heure dans ce boüillon. On
prépare tout de fuite un bain
frais , dans lequel on met fix gros
de cochenille pour chaque livre
de laine : après qu’elle a demeu-
ré une heure dans ce bain > on la
lève , 6e on la pane fur le champ
dans un bain de foude 6e de fel
ammoniac. On fait auffi par cet-
te méthode , des fuites de nuan-
ces du Cramoifi fort belles , en
diminuant la quantité de la co-
chenille. Il*faut obierver que
dans ce procédé , on ne met que
fix gros de cochenille pour tein-
dre chaque livre de laine , par-
ceque dans le premier boüillon ,
pour 1 ’écarlatte , qu’on lui don- itr
ne , on met un gros 6c demi de Itc
cochenille fur chaque livre. Il eft
auffi néceffiaire d’obferver , qu’il ici
ne faut pas , pour rofer ces Cra-
caoilis , que le bain de fel alcali
Chapitre XIV. 347
&: de fel ammoniac foit trop
chaud , parceque le développe-
ment de l’efprit volatil du der-
nier de ce s fels , fe feroit trop vi-
te parceque le cryftal de tar-
tre du premier boüillon perdrok
fa propriété , en fe converti ffant,
comme je l’ai dit , en tartre fo-
luhle.
On peut faire auffi la même
opération , en employant une
partie de cochenille Jyivefire ou
campejjianne , au lieu de coche-
nille fine ou mejléque , &: la cou-
leur n’en eft pas moins belle >
pourvû qu’on en mette fuffifam-
ment , car, pour l’ordinaire , qua-
tre parties de cochenille fylvef-
tre ne font pas plus d’effet en
teinture qu’une partie de coche-
nille fine. On peut de même
employer la cochenille fylveftre
dans l ecarlatte , mais ce doit être
avec de grandes précautions > &:
P v j
L’Art de la Teinture.
le mieux fera toujours de n’en
mettre que dans les demi-Ecar-
lattes 6c dans les demi-Cramoi-
fis. J’en parlerai lorfque je trai-
terai de ces couleurs en particu-
lier.
Lorfqu une écarlatte eft tachée,
ou gâtée, dans l’opération, par
quelque accident imprévu , ou
même lorfque la teinture a man-
qué , le remède ordinaire eft de
la mettre en Cramoifi \ 6c pour
cela , on ne fait autre chofe que
la plonger dans un bain où l’on
a mis environ deux livres d’alun
pour cent livres de laine. On la
pafle promptement fur ce bain,
6c on l’y laide jufqu’à ce qu’elle
ait acquis la nuance de Cramoifi
qu’on veut lui donner,
cramoifi Voici préfentemeiit la maniéré
gueioîT dont on fait en Languedoc une
très -belle efpèce de Cramoiii
pour les draps qu’on envoyé dans
Chapitre XIV. 349
le Levant $ mais qui n’eft pas
aulîi rôle que celui dont je viens
de parler , 3c qui approche beau-
coup plus de lecarlatte deVenife.
Pour cinq pièces de drap ,
on prépare le bain à l’ordinaire ,
y mettant du fon s’il eft nécef-
faire. Lorfqu’il eft plus que tiè-
de , on y jette dix livres de fel
marin, au lieu de cryftal de taf-
tre y 3c lorfqu’il eft prêt à boüil-
lir, on y verfe vingt -fept livres
de compafition pour lecarlatte ,
1 faite félon la méthode de Car-
1 caftbnne j 3c fans y ajoûter de co-
chenille , on pafle le drap fur ce
bain pendant deux heures , fans
difeontinuer de le tourner fur le
i tour ou roiiet , 3c fans qu’il celle
de boüillir. On le lève enfuite >
on l’évente , 3c on le lave à la ri-
vière, puis on fait un nouveau
-bain , dans lequel on met huit li-
vres 3c trois quarts de cochenille
35o L’Art de la Teinture.
pulvérifée & tamifée * & lorfquil
eft prêt à boiiillir, on y jetce vingt-
une livres de compofîtion. On y
fait boiiillir le drap pendant trois
quarts d’heure , avec les précau-
tions ordinaires y après quoi on
le lève , on l’évente , 3c on le la-
ve. Il eft d’un fort beauCramoifi,
mais qui n’eft que très-peu roié.
Si on le veut plus rofé , on met
dans le premier bain , fervant à
préparer , une plus grande quan-
tité d’alun y 3c dans le fécond ,
moins de compoiition : on ajoute
auflî du fel marin dans ce fécond
bain. L’ufage apprendra facile-
ment à faire , félon cette métho-
de , toutes les nuances qui font
dérivées du Cramoifl.
Après toutes les opérations de
.couleurs provenant de la coche-
nille 1 , dont il a été parlé dans ces
deux Chapitres , on trouve au
fond du bain des rougies , une
Chapitre XIV. 551
quantité allés fenfible d’un fcdi-
mcnt fort brun qu on jette avec
le bain , comme inutile. Je m'en
fuis fait apporter pour l'exami-
ner , & j’ai trouvé que celui des
rougics de l’écarlatte contenoit
une chaux d’étain précipitée :
j’ai meme révivifié ce métal ,
quoique , à la vérité , avec beau-
cpup de peine , enforte qu’il n’y
auroit aucun profit à répéter ce
que j’ai fait. Les autres parties
de ce fédiment font les faletés du
tartre blanc ou de la crème de
tartre, unie avec des parties grof-
fieres des cadavres de la coche-
nille , qui , comme on l’a vu , eft
un petit infecte. J’ai lavé ces pe-
tites parties animales dans de
l’eau froide j &: agitant cette eau,
je recüeillois , avec un petit ta-
mis fin , ce que l’agitation de la
liqueur faifoit monter à laïurfa-
ce. De cette maniéré, j’ai féparé
352^ L’Art dé la Teinture.
ces parties légères de tout ce
qu’il y avoit de terreux & de mé-
tallique. Je les ai fait fécher fé-
parément, puis je les ai broyées
fur un porphire avec leur poids
de nouveau cryflal de tartre ;
8c quand ce mélange a été réduit
en poudre impalpable , j’en ai
fait boüillir une portion avec
un peu d’alun , & j’ai tenu pen-
dant trois quarts a heure , dans
ce bain bouillant > un échantil-
lon de drap blanc , que j’ai re-
tiré au bout de ce temps , teint
en fort beau Cramoifi. Cette
expérience m’ayant démontré
i J J
qu'en pulvérifant la cochenille
èc la tamifant Amplement , corn-
me on eft dans l’ufage de le fai-
re, on ne tire pas de cette drogue
précieufe tout le profit qu’on en
doit tirer. J’ai cru devoir com-
muniquer ici cette découverte ,
exhortant les Teinturiers , allés
Chapitre XIV. 35$’
dociles , à en profiter.
Je prends , par exemple , une
once de cochenille , pulvérifce
6c tamifée à l’ordinaire \ je mêle
avec elle un quart de fon poids
de crème de tartre bien blan-
che , bien cryftalline , 6c bien lè-
che. Je mets le tout fur une écail-
le de mer ou fur un porphire , 6c
avec une molette de même du-
reté, je broyé ce mélange juf-
qu a ce qu’il foit réduit en une
poudre réellement impalpable,
J’employe cette cochenille ainfi
préparée dans le boiiillon 6c dans
la rougie , fouftraiant , du cryftal
de tartre que je dois mettre dans
le boiiillon , la petite quantité
qui fe trouve unie avec la co-
chenille. Ce que j’en mets dans
la rougie , quoique mélangée
avec un quart du même fel , ne
fait aucun tort à cette couleur :
il m’a paru même quelle en étoit
354 L’Art de la Teinture.
plus folide. Ceux qui ni imite-
ront > trouveront qu'il y a près
d un quart de profit.
CHAPITRE XV.
Ecarlatte de Gomme- Lac que.
O N peut auffi employer h
partie rouge de la Gomme-
Lacque à faire de 1 ecarlatte ; 6e
fi cette couleur n’a pas exacte-
ment tout réclat d’une ecarlatte
faite avec ja cochenille fine em-
ployée feule , elle a l’avantage
d’avoir un peu plus de folidité.
La Gomme-Lacque la plus ef-
timée pour la Teinture , eft celle
qui eft en branches ou petits bâ-
tons ; parcequ’elle eft la plus gar-
nie de parties animales. Il faut
choifir la plus rouge dans l’inté-
rieur , ôe la plus approchante
du brun noirâtre à l’extérieur. Il
Chapitre XV. 3 J5
paroît par un examen particu-
lier , que M. Geoffroy en fit ,
il y a plufieurs années , que c’eft
une elpece de ruche, approchan-
te , en quelque façon , de celles
que les abeilles 6c d’autres infec-
tes ont coûtume de faire. Quel-
ques Teinturiers l’employent
pulvérifée 6c enfermée dans un
lac de toile , pour teindre les
étoffes : mais c’eft une mauvaife
méthode ; car il pafle toujours ,
au travers des mailles de la toi-
le , quelques portions de la gom-
me réfine qui fe fond dans l’eau
boüillante de la Chaudière , 6c
qui s’attache au drap , où elle eft
ii adhérente , quand le drap eft
refroidi , qu’on eft obligé de la
gratter avec un couteau. D’au-
tres la réduifenten poudre j iis la
font boüillir dans ïeau, 6c après
qu’elle lui a communiqué toute
fa couleur , ils laiftent refroidir la
'3 5 6. L’Art de la Teinture.
liqueur: la partie réfineufe fe dé-
pofe au fond. On décante T eau
colorée , & on la fait évaporer
f air où fouvent elle s’empuantit j
& lorfqu elle a pris une coiifîften-
ce de Çotignat ? on la Inet dans
des vaille aux pour là confetvcï.
Sous cette forme il cft allés dif-
ficile de déterminer au jufte la
quantité qu’on en employé 3 c’eft
ce qui m’a fait chercher le moyen
d’avoir cette teinture féparée de
fa gomme réfine , fans être obli-
gé de faire évaporer une lî gran-
de quantité d’eau pour l’avoir fé-
che > & la réduire en poudre.
Je fupprime le détail de tous
les elfais que j’ai faits avec l’eau
de chaux afFoiblie > avec la dé-
coétion du cœur d’Agaric , avec
la décoélion de la racine d’Arif-
toloche , recommandée dans un
ancien Codex de la Faculté deMé-
decine de Paris 3 parceque l’eau
✓rj
Chapitre XV. 357
laifte bien , à la vérité , une par-
tie du teint, qu’elle a tiré , fur le
filtre de papier où je la mets j
mais elle palfe encore trop colo-
- rée , & il faudrait l’évaporer pour
avoir toute la teinture 3 c eft cet-
te évaporation que je voulois évi-
ter. Ainfi j’ai çu recours à des ra-
cines mucilagineufes , qui par el-
les - mêmes ne donnaient point
de teinture , mais donc le muci-
lage retint les parties colorantes,
' enforte quelles reftaflçnç avec
lui fur le filtre,
La racine de Grande-Confou-
de eft celle qui jufqu’à pré feue
m’a le mieux réulli. Je l’employe
féche 6 c en poudre groftîcre , &
j’en mets un demi gros par pinte
d’eau que je fais boiiillir un bon
quart d’heure $ enfujte je la pafle
par un linge , &: je la verfe toute
chaude fur de la Gomme - Lac-
que , pulvériiée §c paftee par utà
% 5 8 L'Art de la Teinture.
tamis de crin. Elle en tire fur le
champ une belle teinture cramoi-
fîe. Je mets le vailTeau digérer
à chaleur douce pendant douze
heures , ayant foin d’agiter fept .
ou huit fois la gomme qui fe tient
au fond j enfui te je décante l’eau,
chargée de la couleur , dans un
vailTeau ailes grand pour que les
trois quarts puiflfent refter vui-
des , & je le remplis d’eau froide.
Je verfe enfuite une très - petite
quantité d’une forte difiolution
d’alun de Rome , fur cette tein-
ture , extraite , puis noyée : le
teint mucilagineux fe précipite^
8c fi Te au qui le fumage paroit
encore colorée, j’ajoute quelques
gouttes de la difiolution d’aluu
pour achever la précipitation, &
ce , jufqu’à ce que l’eau furn.a-
geante foie auiîî décolorée que
de l’eau commune. Quand le mu-
cilage cramoiiî s ’eft bien afiaifïe
.Chapitre XV. $>9
111 fond du vaiffeau , je tire l’eatt
claire avec un fiphon , & je verfe
le relie fur un filtre , pour ache-
ver de l’ego uter , après quoi je le
fais fécher au foleil.
Si la première eau mucilagi-
neufe n’avoitpas tiré tout le teint
de la Gomme - Lacque , c’eft-à-
dire , fi cette gomme ne refte pas
d une couleur de paille foible ,
j en verfe de nouvelle toute boiiil-
lante , &: je répété tout ce que
j’ai fait dans la première extrac-
tion. De cette maniéré, je fépa-
re toute la teinture que la Gom-
me-Lacque peut fournir > & com-
me je la fais fécher pour la pul-
Ÿérifer enfuite , jç fçais ce que
cette gomme m’en a rendu , 8 c
je fuis aulïi plus fur des dofes que
j’employe dans la teinture des
étoffes , que ne le font ceux qui
fe contentent de l’évaporer en
confiftence d’extrait , parcequç
3^0 L’àrt de la Teinture.
le plus compaét fera plus colo-
rant que le plus humide.
Une lacque bien choifie , dé-
tachée de fes bâtons, ne donne
de teinture féche 6c réduite en
poudre , qu’un peu plus d’un cin-
quième de fon poids. Ainfî, au
prix quelle vaut à préfent , il n’y
a pas un avantage û grand , que
bien des gens fe l’imaginent , à
l’employer à la place de la co-
chenille y mais on peut , pour ren-
dre la couleur écarlatte plus fo-
lide qu’elle ne l’eft ordinaire-
ment, l’employer dans le premier
bain ou boüillon , 6c fe fervir dç
cochenille pour la rougie.
Si l’on veut faire de 1 ecarlatte
avec le teint de la Gomme -Lac- j
que , tiré félon ma méthode , &
mis en poudre , il y a une pré-
caution à prendre pour le dé"
layer , qui eft inutile quand on fe
fert de cochenille. C’eft que iîon
Chapitre XV. 361
le mettoit comme elle dans l’eau
du bain prête à boüillir , il fe paf-
feroit près de trois quarts d’heu-
re en pure perte de temps pour
le Teinturier, avant qu’il fut en-
tièrement diffout. Pour aller plus
vite , je mets la dofe de cette
teinture féche , que j’ai defTein
d’employer , dans un grand vaif-
feau de fayence ou d’étain fin ;
je verfe defifus de l’eau chaude ,
& lorfqu’elle eft bien humeftée ,
j’y ajoûte la dofe néceflaire de
compofition pour l’écarlatte , agi-
tant le mélange avec un pilon de
: verre. Cette poudre , qui étoit
d’un pourpre fale & foncé, prend,
en fe diffolvant , un rouge cou-
i leur de feu extrêmement vif. Je
! verfe la dilïolution dans le bain ,
où j’ai mis précédemment lè cry-
ftal de tartre ; & auflî - tôt que
l’eau de ce bain commence à
boüillir , j’y fais plonger le drap,
Q
3 61 L’Art de la Teinture.
le faifant tourner & retourner ,
félon fart du Teinturier. Tout le
refte de l’opération n’a rien de
différent de celle qui donne l’é-
cariatte par la cochenille. Je
crois avoir obfervé feulement ,
que l’extrait de la Gomme-Lac-
que , préparé félon ma méthode,
fournit environ un neuvième de
teinture plus que la cochenille , j
au moins , plus que celle dont je
me fuis fervi pour faire cette
comparaifon.
Si l’on fubftitue au cryftal de
tartre &: à la compofition , quel-
que fcl alcali fixe , ou de l’eau de
chaux , le rouge vif de la Gom-
me-Lacque fe convertit en cou-
leur de lie de vin; ainfî cette tein-| K
aire ne fe rôle pas fi facilement
que le teint de la cochenille.
Si , à la place de ces altérans,
on employé le fel ammoniac feul, ^
on a des couleurs de canelle ou I w
de maron clair , félon qu’il y a
plus ou moins de ce fel.
J’ai fait encore fur certe dro-
gue une vingtaine d’autres expé-
riences, que je ne rapporte point
ici , pareequ elles ne m’ont don-
né que des couleurs fort com-
munes, &: qu’on peut avoir plus
aifément avec des ingrédiens de
bas prix ; &: comme le but de mes
eflais étoit d’embellir la couleur
rouge de la Lacque >qui eft prin-
cipalement ce qu’on doit cher-
cher, je crois qu'on doit s’en te-
nir à ce que j’ai dit de la manié-
ré d’extraire fes parties coloran-
tes ; pareeque plus on aura d’in-
grédiens pour faire une couleur
telle que lecarlatte , plus fon prix
diminuera. Au refte , toutes ces
expériences , faites tant fur la co-
chenille que fur h lacque & fur
d’autres drogues, qui paroilfent
inutiles au Teinturier , ne le font
Qij
364 L'Art de la Teinture.
pas pour un Phyficien qui cher-
cheroit la caufe de ces change-
mens dans les couleurs matériel-
les } & le peu que j’en ai dit fuffit
pour faire voir que cette matière
eft une des plus fécondes qu’on
puifle traiter. ( * ) ,
( * ) On peut extraire les parties colorantes <fe la
Gomme-Lacque , par l’eau fimple de riviere lans au- <
cune addition , en faifant chauffer cette eau un peu
plus que tiède , & mettant la lacque pulvérifée dans 1
un fac de groffe étoffé de laine > qu’un homme pé-
trit dans la Chaudière avec fes pieds. Le Teinturier ^
intelligent fçaura bien profiter de cette note.
CHAPITRE XVI.
Du Coccus Polonicus , infecte
çolorant .
L E Cocous Polcnicus eft un pe-
tit infefte rond , un peu
moins gros qu’un grain de co-
riandre : on le trouve adhérent
aux racines du Polygonum Coccife -
rum incanum flore majore ferenni j
;
I
it
tri
ci
Chapitre XVI. 365
de Rly , 6c que M. de Tourne-
fort a nommé Alchymilla gramme 0
folio majore flore. Selon M. Breyn ,
il eft abondant dans le Palatinat
de Kiovie , voifin de l’Ukraine *
vers les Villes de Ludnow , Piat-
ka > Stobdyfzcze , 6c dans d’au-
tres lieux deferts ou fablonneux
de l’Ukraine , de la Podolie , de
la Volhinie , du grand Duché de
Lithuanie , 6c même dans la Pruf-
fe , du côté de Thorn. Ceux qui
en font la récolte , fçavent que
c’eft immédiatement après lefol-
ftice d’été , que le Coccm eft meur
& plein de ion fuc purpurin. Ils
ont à la main une petite bêche
creufe, faite en forme de hou-
lette , & ayant un manche court.
D’une main ils tiennent la plan-
te 5 ils la lèvent de terre avec l’au-
tre main armée de cet inftru-
ment : ils en détachent ces elpe-
ces de petites bayes ou infedes
Qjij
3 66 L’àrt de la Teinture,
ronds , & remettent la plante
dans le même trou , pour ne pas
la détruire ; ce quils font avec
une dextérité & une vîteffe ad-
mirable. Ayant féparé le Coccm
de fa terre , par le moyen d’un
crible fait exprès, ils prennent
garde qu’il ne le convertilfe en
verniiffeau. Pour l’en empêcher
ils l’arrofent de vinaigre , & quel-
quefois aulli d’eau la
chaud , mais avec précaution \
ou bien , ils l’expofent au foleil
pour le fécher & le faire mourir ,
fans quoi ces infedes fe détrui-
roient , & s’ils étoient ddféchés
trop précipitamment , ils per-
droient leur belle couleur. Quel-
quefois ils féparent ces petits in-
fedes de leurs véficules , en les
prelfant doucement avec l’extré-
mité des doigts; alors ils en for-
ment de petites malles rondes :
puis ils le portent
Chapitre XVI. 367
il faut faire cette expreffion avec
beaucoup d'adreffe & d’atten-
tion , autrement le fuc colorant
feroit réioud par une trop forte
compreffion , ôc la couleur pour-
, prefe perdroit. Les Teinturiers
achètent beaucoup plus cher cet*
te teinture réduite en maffe , que
quand elle eft encore en graine.
Bernard de Bernitz , de la dilfe ro-
tation duquel j’ai emprunté ce
que l’on vient de lire , ajoûte que
le Grand Maréchal Konitzpols-
ki , &: quelques autres Seigneurs
Polonois qui avoient des terres
dans rUkraine,afFermoient avan-
tageufement la récolte du Coccm
aux Juifs , &: le faifoient recüeil-
lir par leurs Valfaux : que les
Turcs &: les Arméniens, qui ache-
toient cette drogue des Juifs ,
l’employoient à teindre la laine-,
la foye , les crins & r les queues de
leurs chevaux : que les femmes
Q iüj
3,68 L’Art de la Teinture.
Turcques s’enfervoient à peindre
les extrémités des doigts d’une
belle couleur incarnate j qu’au-
trefois les Hollandois achetoient
auffi le Coccus fort cher 3 & qu’ils
remployoient avec moitié de co-
chenille : que de la teinture de cet
infeéte 3 on pouvoit, avec la craye,
faire une lacque pour lesPeintres,
auffi belle que la lacque de Flo-
rence \ & qu’on en préparoit un
beau rouge pour la Toilette des
Dames en France & en Efpagne.
Soit que toutes ces propriétés
foient exaggérées 3 foit que le
Coccus y qu’on a envoyé de Dant-
zick fut éventé &: trop vieux 3 je
n’ai jamais pû , en le traitant , ou
comme le Kermès , ou comme la
Cochenille 3 en tirer que des li-
las 5 des couleurs de chair 5 des
Cramoifis plus ou moins vifs ; &
il ne m’a pas été poffible de par-
venir à en faire des écarlattes 9
Chapitre XVII. 369
d’ailleurs > celui que j’ai employé
a coûté beaucoup plus cher que
la plus belle Cochenille , puifqu’il
ne fournit pas la cinquième par-
tie de la teinture que rend cet
infe&e du Méxique. C’eft vrai-
femblablement pour cette raifon
que le commerce de cette dro-
gue eft extrêmement tombé , 6c
on ne comioît plus le Coccm que
de nom , dans la plupart des
Villes d’Europe qui ont quelque
réputation pour leurs teintures.
La Cochenille a pris le deffus 3 6c
a fait abandonner tous les autres
ingrédiens qui lui font inférieurs.
CHAPITRE XVII.
Du Rouge de Garence .
1 Y A racine de Carence , ou
g j de Rubiu Tmctorum , eft la
feule partie de cette plante qu’on
Qj
37o L’Art de la Teintüre.
employé en teinture. De tous
les rouges 3 c’eft le lien qui eft le
plus folide , quand il eft appliqué
îur une laine ou fur une étoffe
bien dégraiflée , puis préparée
par les fels avec lefquels on la
tait boiiillir pendant deux ou trois
heures } fans quoi ce rouge , fi
tenace après cette préparation
du fujet , ne réfifteroit guères plus
aux épreuves que les rouges des
autres ingrédiens de faux teint.
C’eft ce qui prouve que les po-
res des fibres de la laine doivent
être non-feulement bien dégraif-
fés du Justin ou tranfpiration onc-
tueufe de f animal , qui peut y
être refté malgré le dégraiffage
de la laine fait à l’ordinaire avec
l’eau & l’urine j mais encore , qu’il
faut que ces mêmes pores foient
enduits intérieurement • d’une
couche de quelques fels que j’ai
nommés durs , parcequ’ils ne fe *
Chapitre XVII. 37T
calcinent point à l’air, & qu’ils
ne peuvent être diilbuts par l’eau
de la pluye , ni par l’humidité de
l’air dans les temps pluvieux. Tel
eft, comme on î’a déjà vu dans
d’autres Chapitres , le tartre crud
blanc , le rouge & le cryftal de
tartre , dont on met , félon l’ufa-
ge ordinaire , environ un quart
dans le bouillon préparant, avec
deux tiers ou trois quarts d’alun
de Rome.
La racine de Carence la plus
belle, vient ordinairement de Zé-
lande, où l’on cultive cette plante
dans les Kles de Tergoés, Zirzée,
Sommerdyck & Thooien. Celle
de la première de ces Ides , eft ef-
timée la meilleure ; le terroir en
ed: argilleux , gras & un peu falé.
Les terres , qu’en général on ef-
time le plus pour cette culture ,
font les terres neuves qui n’ont
fervi auparavant qu’à des pâtura-
372* L’Art de la Teinture.
ges , ôl qui prefque toujours font
plus fraîches ou plus humides que •
les autres.LesZélandois ontl’obli-
gation de la culture de cette plan- -
te , & du grand commerce qu’ils
font de fa racine , aux réfugiés de
Flandres qui la leur ont portée.
On la connoît dans le Com-
merce &: dans la teinture , fous
les noms de Carence- grappe , de
Garence-robée , & de Garence-non -
robée ; c’eft pourtant la même ra-
cine : toute la différence pour la
qualité , eft que la grappe ou robée
fe tire de la moelle de la racine,
& que la non-robée contient , avec
cette moelle , l’écorce & les peti-
tes racines qui fortent de la ra-
cine principale. L’une & l’autre fe
préparent par un feul & même
travail > que je ne détaillerai point :
ici , pour ne pas allonger inutile-
ment ce Traité. Il conlifte à trier
les plus belles racines pour la pre-
11
Chapitre XVII. 575
miere forte ; à les faire féçher
avec de certaines précautions ,
à les moudre , 6c à en féparer l’é-
corce au moulin , 6c à conferver
le milieu de la raciqg moulue
dans des tonneaux , où on la lair-
fe deux ou trois ans > parcequ’a-
près ce temps elle eft meilleure
pour la teinture , qu’elle ne l’au-
roit été en fortant du moulin.
Si la Garence n’étok pas enfer-
mée de la forte , elle s’éventeroit,
6c la couleur en auroit moins de
vivacité. Elle eft d’abord jaune j
mais elle rougit 6c brunit en vieil-
li fiant. Il faut , pour l’ufage de
la teinture , la choiftr d une cou-
leur de fafran , en mottes les plus
fermes , 6c d’une odeur forte ,
qui cependant ne foit pas def-
agréable. On la cultive aufti aux
environs de Lille en Flandres , Ôc
dansplufieurs autres endroits du
Royaume , où l’on a reconnu
quelle croiftoit naturellement.
374 L’Art de la Teinture.
Les Garences , dont on fait
ufage dans le Levant & dans l’In-
de , pour la teinture des Cotons,
font un peu différentes de celles
qu’on employé en Europe : on
les nomme Chat , à la cote de
Coromandel. Cette plante ainfi
nommée , fe trouve abondam-
ment dans les bois de la côte de
Malabar, & ce Chat eft le fauva-
ge. Le cultivé vient de Vaour &
de Tucconn ; 6c le plus eftime de
tous , cil le Chat de Perfe , qu’on
nomme Damas*
On recüeille auffi, fur la côte
de Coromandel , la racine d’une
autre* plante , qu’on y nomme
Raye de chaye , ou racine de cou-
leur y 6 c qu’on a cru être une ef-
pece de Ruhia Tincîorum ÿ mais
qui eft la racine d’une efpece de
Gallium jlore alho ; ainlî qu’on l’a
appris par des Mémoires envoyez
de l’Inde en 1748. C’eftune ra-
cine longue 6 c fort menue , qui
Chapitre XVII. 575
donne au coton une allés belle
couleur rouge, lorfqu’il a reçu tou-
res les préparations qui doivent
précéder 6c fuivrefa tein ure.
A Kurdcr , au voilinage de
Smyrne , 6 c dans les campagnes
&Ak-hiJ]dr 6 c de Yor-das , on cul-
tive une autre efpece de Garen-
ce , qu’on nomme dans le pays ,
Chioc'boya , Ekme , Hœzala. C’eft de
toutes les garences la meilleure
pour la teinture rouge , félon les
épreuves qui en ont été faites; auf-
lî eft-elle beaucoup plus eftimée
dans le Levant , que la plus belle
garence de Zélande, que les Hoi-
landois y portent. Cette même
Garence , fi eltimée , efl: nommée
par les Grecs modernes, Liz,ari y
6c Foûoy y par les Arabes. ( * )
( * ) Ces Garences donnent des rouges beaucoup
plus vifs que la plus belle Garence - grappe de Zé-
lande i parcequ’on les fait fécher à l’air , & non dans
une etuve. La Garence du Languedoc, celle même
du Poitou , réuflit comme le Lizari , quand on U
fait fécher fans feu.
3 y 6 L’Art de la Teinture.
Il y a encore une autre forte
de Garence, que l’on peut tirer
du Canada , &: qu’on y nomme ,
Tyjfa-Voyana : c’eft une racine ex-
trêmement menue , qui fait , à
peu près , le même effet que no-
tre Garence d’Europe.
Pour teindre en rouge de Ga-
rence , le boiiiüon eft , à peu près,
le même que pour le Kermès } on
le fait toujours avec l’alun & le
. tartre. LesTeinturiers ne font pas
extrêmement d’accord fur les
proportions \ pour moi , je penfe
que la meilleure , eft de mettre
cinq onces d’alun &: une once de
tartre rouge pour chaque livre de
laine filée ; je mets auffi environ
un douzième d’eau fifre dans le h
bain du boiiillon , & j’y fais boüil-
lir la laine pendant deux bonnes
heures. Si c’eft de la laine filée ,
je la laiffe bien humeftée de la
diffolution de ces fels pendant >
Chapitre XVII. 377
fept ou huit jours -, &: fi c’eft du
drap , je l’achève le quatrième
jour. Pour teindre cette laine ,
je prépare un bain frais > & lorf-
que l’eau eft chaude à pouvoir y
fouffrir encore la main , j’y jette
une demie livre de la plus belle
Garence-grappe pour chaque li-
vre de laine , & j’ai foin de la
faire bien pallier & mêler dans
la Chaudière avant que d’y met-
tre la laine , que j’y tiens pen-
dant une heure fans faire boiiil-
lir le bain , parceque la couleur
feroit terne. Mais pour mieux
affurer la teinture , on peut le
faire boüillir fur la fin de l’opé-
ration feulement , pendant qua-
tre ou cinq minutes. ( * )
Si l’on vouloit avoir des nuan-
ces de la Garence , on s’y pren-
drait comme je l’ai enfeigné pour
( * ) Plus on fait bouillir la Garence, plus le rou-
ge qu’elle donne eft terne & briqueté.
1
3 7 S L’Art de la Teinturê.
les autres couleurs j mais ces
nuances ne font guère s d’ufage ,
parceque la couleur n’en eft pas
trop belle. On n’a befoin de ces
nuances dégradées que dans les
couleurs formées du mélange de
plufieurs autres, ôc il y en a un }i
nombre fort confidérable auf*
quelles on doit donner dans le
bon teint un fond ou pied de
Carence.
Quand on a plufieurs pièces
de drap à teindre à la fois en
rouge de Carence, l’opération eft
la même } il n’y a qu a augmen-
ter la dofe de tous les ingrédiens
dans la proportion que je viens
d’indiquer : bien entendu toute-
fois, que , dans les opérations qui
fe font en petit , il faut toujours h
un peu plus forcer d’ingrédient
que dans celles qui fe font en
grand ; ce qui fe doit entendre
non-feulement du rouge de Ga- ,
Chapitre XVII. 579
rence , mais de toutes les autres
couleurs.
Ces rouges ne font jamais
beaux comme ceux du Kermès,
& beaucoup moins que ceux de
la lacque ou de la cochenille y
mais ils coûtent peu ,6c parcon-
féqucnt on s’en fert pour les étof-
fes communes, dont le bas prix
ne pourroit pas fupporter celui
dune teinture plus chère. La
plupart des rouges de flnfante-
rie & de la Cavalerie , font ordi-
nairement des rouges de Garen-
ce qu’on rofe quelquefois avec
Torfeille ou le brelil , quoique
drogues de faux teint , pour les
rendre plus beaux 6c plus velou-
tés , parcequ on ne pourroit leur
procurer cette perfe&ion , avec
la Cochenille , fans en augmen-
ter beaucoup le prix.
J’ai déjà dit que la Garence
qu’on applique fur les étoffes ,
$8o L Art de la Teinture.
fans les avoir préparées à la re-
cevoir par le boüillon d’alun &
de tartre , lui donne , à la vérité >
fa couleur rouge , mais quelle la
donne mal unie , & que de plus
elle n a aucune folidité } ce font
donc les fels qui en allure nt la
teinture , ce qui eft commun à
toutes les autres couleurs , rouge
ou jaune , qui ne peuvent fe fai-
re fans boiiiilon. La que ft ion eft :
de fçavoir , fi c’eft Amplement
en dérochant, pour ainfi dire , I
les pores de la laine , c’eft-à-dire,
en ôtant les reftes de la tranfpi-
ration grafle ou huileufe du mou-
ton , qu on les préparé a recevoir
plus immédiatement les parties
colorantes } ou bien , fi une por-
tion de ces fcls , fur tout , de ce-
lui des deux qui ne peut être em-
/ a * p r • / i ;
porte meme par leau tiede , y
refte pour happer , faifir &: maf-
tiquer l’atome colorant, ouvert
Chapitre XVII. 3 S r
ou dilaté par la chaleur de l’eau
pour le recevoir, & contracté en-
fuite par le froid pour le retenir.
Pour déterminer ceux qui fe-
roient de la première opinion à
l’abandonner , il n’y a qu’à fub-
ftituer à l’alun & au tartre quel-
que fel alcali , comme potalfc ,
leffive clarifiée de cendres de
chêne , ou autre fel lixiviel pur ,
mis en proportion convenable
pour ne pas diffoudre la laine , &
enfui te palier l’étoffe dans un
bain de Garence , cette étoffe en
fortira colorée ; mais cette cou-
leur n’aura aucune folidité , la
feule eau boitillante en emporte-
ra avec le temps plus des trois
quarts. Or on ne peut pas dire
qu’un fel alcali fixe foit incapable
de dérocher les pores de la laine
de leur fuain ou graiffe du mou-
ton , puifque les fels lixiviels font
employés avee fuccès dans plu^
382 L’Art de la Teinture.
Leurs cas où il s’agit d oter à une
étoffe 3 de quelque genre qu’elle
l'oit 3 la graille que l’eau feule
n’cnlcveroit pas. On fçait très-
bien qu’avec ces grailles 3 étran-
gères à l’étoffe 3 & le fel alcali , il
fe fait une efpéce de favon 3 que
l’eau emporte enfuite aifément.
De plus 3 prenez un morceau
d’étolfe teinte en rouge de Ga-
rence 3 félon la méthode ordinai-
re 3 faites -le boüillir quelque
temps dans la folution d’un fel
alcali fixe mis en petite dofe ,
vous détruirez aufli la couleur,
parceque l’alcali fixe attaquant
les petits atomes de cryftal de
tartre ou de tartre crud 3 qui ta-
piffent les pores des fibres de la
laine 3 il s’en fait un tartre folu-
ble que l’eau diffout 3 comme on
le fçait 3 très - aifément 3 & par-
conféquent les pores s’étant ou-
verts dans l’eau chaude de l’ex- d
Chapitre XVII. 385
périence , l’atome colorant en eft
iorti avec l’atome falin qui le
maftiquoit. Cette étoffe étant la-
vée dans de l’eau, on voit le fur-
plus de la couleur rouge s’y dé-
layer , 6e elle refte d’une couleur
demi fauve ou fale. Si au lieu de
ce fel alcali on fe fert de favon ,
qui eft un fel alcali mitigé par
l’huile , 6e qu’on y faffe boüiliir
pendant quelques minutes un au-
tre morceau de drap teint auffi
en rouge de Garence , ce rouge
en devient plus beau , pareeque
l’alcali qui , dans le favon , eft en-
veloppé d’huile , n’a pu attaquer
le fel acide végétal , 6e que l’é-
bullition n’a fait qu’enlever les
particules colorantes mal enchaf-
fées y 6e leur nombre diminuant ,
ce qui en refte doit paroître
moins chargé ou plus clair.
Je dirai encore, pour furcroît
de preuve de l’exiftence actuelle
384 L’Art de la Teinture.
des fels dans les pores de la laine
d’une étoffe préparée par le
boüillon , avant que d’étre teinté
avec la Garence , que le plus ou
le moins de tartre , donne des
variétés infinies , - non - feulement
de nuances , mais même de cou-
leurs avec cette feule racine ; car
fi l’on diminué la dofe de l’alun >
&: qu’on augmente celle du tar-
tre , on a un rouge canelle } &
même , fi l’on ne met dans le
boüillon que du tartre feul , on
perd le rouge , &: l’on n’a que du
canelle , foncé ou couleur de fau-
ve ou de racine , mais de très-
bon teint ; parceque le tartre
crud , qui eft un fel acide , a tel-
lement diffout la partie qui au-
roit coloré en rouge , qu’il n’en
eft refté qu’une très-petite quan-
tité avec les fibres purement li-
gneufes de la racine , laquelle ,
comme toute autre racine com-
mune;
Chapitre XVII. 38^
mune , ne donne alors qu’une
couleur fauve plus ou moins fon-
cée , félon la quantité quon en
employé. J’ai déjà prouvé que
l’acide , qui rend les rouges plus
vifs j les diffout fi l’on en met
trop , & les divife en des parti-
cules d’une fi grande ténuité s
quelles échappent à la vue*
Si au lieu du tartre , qui eft un
fel dur, on employé dans le boüil-
Ion avec l’alun un fel aifément
diiToluble ; le falpêtre , par exem-
ple , pour préparer letoffe à re-
cevoir la teinture de la Garence ,
la plus grande partie de fon rou-
ge devient inutile : il difparoît ,
ou ne s’applique pas , &: l’on n’a
qu’un canelle, à la vérité, fort vif ÿ
mais qui ne réfîfte pas fiiffifam-
ment aux épreuves , parccque les
deux fels , qui ont été mis dans
le boüillon ne font pas de 4a du-
reté du tartre.
R
3§ 6 L’Art de la Teinture.
Les alcalis volatils urineux, qui
développent de certaines plan-
tes , telles que la Pérelle , l’Orfeil-
le des Canaries, &: d’autres niouf-
fes ou Lichens , un rouge qu’on
rfy auroit pas foupçonné aupara-
vaut , développent auiTi le rouge
de la racine de Garence j mais
en même temps ils lui communi-
quent leur volatilité , de telle for-
te qûe lorfque j’ai voulu employer
cette Garence, que j’avois prépa-
rée , comme on prépare l’Orfeil-
le , avec de l’urine fermentée de
de la chaux vive ? je n’ai eu que
des couleurs de noifettes plus ou
moins claires , mais qui font ce-
pendant folides , pareequ’il n’é-
toit entré dans le bain que la pe-
tite portion de volatile urineux
qui humeftoit la Garence j que
l’ébullition a fuffi pour la faire
évaporer , &: que d’ailleurs le drap
croit fuffifamment garni des fels
Chapitre XVII. 387
du boiiillon fait à l’ordinaire pour
retenir les parties colorantes que
j employois pour le teindre.
Lorfqu on applique un rouge
pur , celui de la cochenille , par
exemple , fur un drap précédem-
ment teint en bleu , &c enfuite
préparé par le boiiillon de tartre
&: d’alun , pour recevoir & rete-
nir ce rouge , on a un pourpre
ou un violet à proportion de la
quantité de bleu , ou de la quan-
tité de ce rouge pur. Le rouge
de la Garence ne fait pas le mê-
me effet , pareeque ce n’eft pas
un rouge pur comme celui de la
cochenille , & qu’ainfi que je l’ai
dit plus haut , il eft altéré par le
fauve , couleur propre aux fibres
ligneufes de fa racine , comme
aux fibres ligneufes de toute au-i
tre racine ordinaire j ainfi ce rou-
ge fali par le fauve, fait fur le
bleu une couleur de maron plus
3 88 L’Art de la Teinture.
ou moins foncée , félon l’inten-
fité précédente du bleu appliqué
le premier. Si l’on veut que cet-
te couleur de maron ait un reflet
pourpré , il faut néceflairement y
employer un peu de cochenille
pour le bon teint.
C’eft pour éviter ce fauve de
la racine, que les Teinturiers,
qui font les plus beaux rouges de
Carence, ont grand foin de nem- j
ployer le bain de Garence , qu'un :
peu plus que tiède , & de retirer i
l'étoffe une minute ou deux après
quil a commencé à boüillir } car
fi elle bouc davantage , la Caren-
ce ternit confidérablement, par-
ce qu’alors la chaleur de l'eau eft
afles forte , pour que les particu- m
les qui colorent en fauve , fe dé-
tachent & s’appliquent avec les
particules rouges. On éviteroit
cet inconvénient , fi , dans le
£emps que la racine de Garence
Chapitre XVII. 389
eft fraîche, on pouvoit trouver
le moyen de féparer aifémentdu
relie de cette racine , le cercle
rouge qui eftau-defTous de fa pel-
licule brune , &: qui entoure la
moële du milieu. Mais ce travail
augmenteroit le prix de cet in-
grédient 3 &: comme ce qu’on en
îepareroit ainfi avec beaucoup
de patience , ne donneroit ja-
mais un rouge aufîî beau que ce-
lui de la cochenille , il paroît af-
fés inutile de 1 eifâyer en grand.
Tout au plus pourroit-on le ten-
ter pour teindre en rouge les co-
tons , dont le prix pourroit porter
les frais de cette préparation.
La Garence étant , de toutes
les matières qui fervent à teindre
en rouge de bon teint , celle qui
eft à meilleur marché , on s’en
fert pour la mêler avec les autres,
&: diminuer par-là le prix de ce s
couleurs. Cefi avec la Garence
R iij
39° L'Art de la Teinture.
& le Kermès qu’on fait la demi-
écarlatte de Graine , autrement
dite écarlatte mi-grame ; 6c avec •
la Garence 6c la Cochenille on :
fait la àemi-écarlatte ordinaire } 6c \
le demi-cramoiji.
Pour faire l’ écarlatte mi-graine , '
on fait le bouillon , 6c tout le ref- |
te de l’opération , comme fi l’on :
vouloit faire l’écarlat te de grai-
ne , de Kermès , ou de Venife or-
dinaire ÿ fi ce n’eft qu’au lieu
d’employer le Kermès feul dans
le fécond bain > on n’y met que
la moitié de ce qu’il en faudroit,
6c l’on remplace le relie par au-
tant de la plus belle Garence- ï
grappe.
Pour la demi - écarlatte couleur
de feu, ou des Gobelins, on fait
la compofition , 6c le boiiillon à
l’ordinaire. On n’y met que de
la cochenille pure 3 mais dans
la rougie on met -moitié coche-
Chapitre XVII. 391
nille &: moitié garence. C’eft auf-
! fi le cas où Ton peut employer
la cochenille fylyeftre; car après
avoir fait le boüiilon avec la co-
chenille ordinaire ou meftique ,
I li Ion teint une quantité de lai-
ne , telle , que pour lecarlatte
ordinaire , il fallut mettre dans
la rougie deux livres de coche-
nille , on y mettra une demie li-
[ vre de cochenille ordinaire , une
\ livre & demie de cochenille cam-
pelïianne ou fylveftre , & une li-
vre de Garence.
Pour que la laine & les étof-
fes foient teintes auilî également
quil eft poffible , il eft eflentiel
que les deux fortes de coche-
nille foient bien broyées 6c tami-
fées , ainfi que la Garence , avec
laquelle elles doivent être bien
incorporées , avant que de les
jetter dans le bain ; ce qui doit
s’entendre auffide toutes les cou-
R iiij
*3 9 z L’Art ds la Teinture .
leurs pour lefquelles Ton mêle
enfemble plufîeurs îngrédiens.
Cette demi - écarlatte s’achève
comme l’écarlatte ordinaire , &
on la peut rofer de même 5 ou fur
l’eau boüillante 5 ou fur l’alun.
Le demi-cramoifi fe fait comme
le cramoifi ordinaire , en met-
tant feulement moitié gareceêi
moitié cochenille. On peut aufîi
y employer la cochenille fylvef-
tre , en obfervant de ne retram
cher que la moitié de la coche-
nille ordinaire y & de la rempla-
cer par trois fois autant de la fyi-
veftre. Si l’on mettoiu une plus
grande quantité de la fylveftre
qu’on retranchât davantage
de l’autre , la couleur n’en feroit
pas fi belle.
Si l’on vouloir avoir des nuan-
ces moins belles de toutes ces
couleurs , & qu’on fut obligé de
les affortir à des échantillons
Chapitre XVII. 393
qu’on auroit reçus , on peut aug-
menter ou diminuer la propor-
tion de la garence celle de la
cochenille > c’eft furquoi on ne
peut donner aucune régie fixe :
mais avec ce que je viens de di-
te , chacun pourra aifément trou-
ver le moyen de réufîir.
Je finirai ce Chapitre par une
expérience qui m’a donné un
pourpre allés beau, fans employer
i de cochenille & fans que le drap
! eut été précédemment teint en
bleu. J’ai fait boüiilir un mor-
ceau de drap pefant demie once,
avec dix grains d’alun de Rome,
&: lix grains de cryftal de tartre.
Au bout d’une demie heure , je
i l’ai retiré , exprimé , &: laide re-
froidir ; puis j’ai ajouté au même
bain vingt-quatre grains de ga-
tence-grappe : après qu’elle a eu
fourni fon teint à cette eau en-
core empreinte des fels , j’y ai
R y
Pourpre
avec la ga-
rence fans
bleu.
394 L’Art de la Teinture,
fait tomber vingt gouttes d une
diffolution de Bifmuth, faite dans
parties égales d’eau & d’efprit de
nitre ;puis j’y ai replongé le drap, r;
Au bout de demie heure je fai
retiré , exprimé & lavé. Il étoit
d’un crarnoilî prefque auiîi beau
que s’il eut été fait avec la coche-
nille , & même il avoit ailes de
fond ? ou ailes de couleur unie
pour relier en cet état. Cepen-
dant pour fçavoir quelle feroit la
différence en augmentant la tein-
te , je l’ai replongé dans le même :
bain ; j’ai continué de le faire
boüillir encore un quart d’heure,
&: je fai eu d’un pourpre affés vif
Ce pourpre éprouvé par le dé-
boüilli de l’alun, s’avive & s’em-»
bellit , & à celui du fa von , il ref-
te d’un beaucoup plus beau rou-
ge que les rouges ordinaires de
Carence. . ,
Si je garde pendant plusieurs
Chapitre XVII. 39J
jours le drap humefté de ion
bouillon de tartre & d’alun ; qu’-
enfui te je le teigne dans un bain
neuf de gare ne e , iîmple &c fans
fels , félon la méthode ordinaire ,
jufquà ce qfi’il ait pris une cou-
leur de canelle vive , &qu enfui-
te j’ajoûte à ce bain de la même
diilolution de Bifmuth , je n’au-
rai qu’une couleur de maron &C
point de pourpre. Ce qui fait
voir combien il faut être exaêt
en décrivant les procédés de tein-
ture 5 & que c’eil par ce défiut
d’exaditude , que tous les Livres'
qu’on a publiés fur cet Art, ont
été jufquà preferit inutiles , par-
ce qu’on a négligé d’indiquer les
circpnftànces néceffàires à la
réuilite de la couleur qu’on y
cherche.
Dans cette fécondé expérien-
ce, le drap a trop pris de fels
d’abord : ils ont féjourne trop
R vjv
39^ L’àrt de la Teinture.
long-temps defïus, 6e dans le bain 4
de la teinture il n’y en avoitpas*
Ce manque d’alun a fait que le
pourpre n’a pu paroître > parce-
que la terre blanche de ce fel n’a
pû fe précipiter avec les parties
diffoutes du Biûnuth , qui , com-
me on l’a vu dans le Chapitre du |
Kermès , portent avec elles la
partie bleue du Smalt , qui fe
trouve toujours dans la mine de x
Bifmuth dont vrai-femblable-
ment une portion s’unit avec ce
femi métal dans la fonte. Cette
précipitation mutuelle fe fait ii
dans cette opération de teintu-
re , à l’aide des parties allongeâ-
tes des fibres ligne ufes de la ra^
cine de Garence.
Chapitre XVIII. 397
CHAPITRE XVIII.
Du Jaune.
O N a connu jufqu’à préfent
dans la teinture dix efpé-
ees de Drogues qui teignent en
jaune \ mais par les épreuves
qu’on en a faites , on s’eft affiné
que de ces dix , il n’y en a que
cinq qui fiiffent allés folides pour
pouvoir être employées dans le
bon teint : ce n’eft pas cepen-
dant qu’on 11’en puilfe ajoûter
plufïeurs autres à ces cinq \ car
les jaunes ne font pas difficiles à
trouver. Je ne parlerai d’abord
que de ces cinq , qui font , la
^ Gaude , la Sarre tte , la Génejlrcle ,
le Bois jaune , & le Fénttgre'c , par-
• cequ’elles font de bon teint. Les
trois premières font des plantes
1 fort communes aux environs de
59 8 L 5 Art de la Teinture.
Paris , & dans la plupart des Pro-
vinces du Royaume. Le Bois L
jaune nous vient des Indes , & le
Fénugréc fe trouve par tout.
La Gaude eft de toutes ces , £
matières , celle qui eft le plus gé- je
néralement employée 3 c’eft celle î c
qui fait le jaune le plus franc. j-
La Sarrette & la Géneftrole font |t
meilleures pour les laines que
l’on deftine à mettre en verd 3 f
parceque leur couleur naturelle I
rire un peu fur le verdâtre 3 les |£
deux autres donnent des nuances |
de jaune un peu différentes.
Les nuances de jaune les plus
connues dans l’Art de la teintu- r
re , font le jaune paillé ou de paiL -
le , le jaune pâle , le jaune citron ,
le jaune naiffant . Les jaunes oran- (
gers , faits à l’ordinaire , ne font
pas des couleurs fimples 3 ainfi je i i
n’en parlerai pas préfente ment. I
Pour teindre en jaune ? on don^ 1
Chapitre XVIII. 399
ne à la laine filée ou à l’étoffe
le boüillon ordinaire , dont il a
été déjà parlé plufieurs fois ,c’eft~
à-dire, celui de tartre & d’alun^
On met quatre onces d’alun pour
chaque livre de laine , ou vingt-
cinq livres pour cent. A l’égard
du tartre , il fuffit d’en mettre
une once par livre , au lieu de
deux onces qu’on employé pour
les rouges. L’opération du boüil-
lon , ou la maniéré de boiiillir ,
eft femblable aux précédentes.
Pour le Gaudage , c’eft-à-dire ,
pour jaunir le fujet y après que la
laine ou l’étoffe eft boüillie , 011
met dans un bain frais cinq à fix
livres de Gaude pour chaque li-
vre d’étoffe : on enferme cette
Gaude dans un fac de toile clan
re , afin quelle ne fe mêle point
dans l’étoffe y & pour que le fac
ne s’élève point au haut de la
Chaudière , on le charge d’une
r 4©ô L’Ârt de la Teinture.
croix de bois pefant. D’autres
font cuire leur Gaude , c’eft- à-di-
re , qu’ils la font boüillir jufqu’à
ce qu’elle ait communiqué tout
fon teint à l’eau du bain, &: qu-
elle fe foit précipitée au fond de
la Chaudière , après quoi ils abat-
tent deflfus une Champagne ou »
cercle de fer garni d’un réfeau
de cordes ; d’autres enfin la reti-
rent avec un rateau lorfqu’elle
efi cuite , &: la jettent. On mêle
auiïi quelquefois avec la Gaude ,
du bois jaune ; &: quelques-uns ,
d’autres ingrédiens dont je viens i
de parler, fuivant la nuance du
jaune qu’ils veulent faire. Mais
en variant les dofes &: les pro- j
portions des fels du boüillon , la
quantité de l’ingrédient colorant^
&:le temps de l’ébullition ^je me
fuis affiné qu’on peut avoir tou-
tes ces nuances à l’infini. J’en ai
eu la preuve dans les effais que
Chapitre X VIII. 4&f
fai faits avec la fleur de la virç*
aurea Canadien/!# , qui deviendra
une bonne acquifîtion pour l’Arc
de la teinture , lî quelqu’un fe
met en devoir de la multiplier ,
) ce qui eft très-aifé, puifque c’eft
; une plante qui poulie beaucoup
du pied 3 6c dont les œilletons fe
peuvent aifément tranfplanter ,
| 6c former des touffes dans le cou-
rant de l’année.
Pour la fuite , ou les nuances
claires du jaune , on s’y prend
comme pour toutes les autres
fuites ; fi ce n’efl: qu’il elt mieux
de faire, pour ces jaunes clairs,
un boiiillon moins fort. On ne
mettra , par exemple , que dou-
i ze livres 6c demi d’alun pourcent
livres de lame , 6c on en retran-
chera le tartre, pareeque le boüil-
ion dégrade toujours un peu les
laines , 6c que quand on n’a be-
foin que de nuances claires , on
4oz L'Art de la Teinture.
peut les tirer tout de même avec jjp
un boiiilion moins fort , & que |b
par-là on épargne aufïi la dépen-
le des fels du boiiilion. Mais auf- fa
fi ces nuances claires ne réfîflent fa
pas aux épreuves , comme les i
nuances plus foncées qui ont été :
faites fans fupprimer la petite i
portion de tartre. Quelque s Tein- lel
turiers croyent y remédier en û
laiffant plus long-temps les laines le
&: les étoffes dans la teinture , c
parcequ’elles la prennent d’au-
tant plus lentement que le boiiil-
lon eft plus foible } enforte que fi
fon met en même temps dans le :
bain , chargé de couleur 5 des lai-
nes dont le boiiilion aura été dif- :
férent , elles prendront dans le
même temps des nuances diffé-
rentes. On appelle ces boüillons
plus foibles que les autres , des
demis-bouillons , ou des quarts de
bouillon 9 ôc l’on a grande atten-
Chapitre XVÏÏI. 405.
tion à s’en fervir, furtout dans
les nuances claires des laines que
l’on teint en toifon , c’eft-à-dire
avant que d’être filées, 6c qui font
deftinées à la fabrication des
draps 6c autres étoffes de mélan-
ge y pareeque plus il y a d’alun
dans le bouillon de la laine , plus
elle devient rude 6c difficile à fi-
ler. Il arrive de -là que les fileu- obferva*
fes la filent plus groffe , 6c que
par conféquent l’étoffe en eft
moins belle. Cette obfervation
n’eft pas fi importante pour les
laines filées 6c deftinées aux ta-
pifferies , ni pour les étoffes : mais
il eft toujours bon de la faire, ne
fut -ce que pour prouver que la
dofe des ingrédiens du boüillon
n’eft pas renfermée dans des li-
mites fort étroites , 6c qu’on peut
s’en écarter fans rifque , foit pour
donner la même nuance à des
laines idont le boüillon a été dif-
^04 L’Art dé laTeintürê.
férent , foit pour ne faire qu’un
même bouillon^ fi cela eft plus
commode , pour avoir différentes
nuances.
Pour employer le bois jaune ,
on le fend ordinairement en
éclats } où pour mieux faire , on
le donne à un Menuilïer qui le
débite en copeaux minces avec
un gros rabot j de cette façon , il
eft plus divifé 5 il donne mieux fa
teinture' 3 &: par conféquent on
en employé une moindre quan-
tité. De quelque façon que ce
foit , on l’enferme toujours dans
un fac, afin qu’il ne fe mêle point
dans la laine ni dans l etoffe , que
ces éclats pourroient déchirer.
On enferme aufli de même dans
un fac la Sarrette la Géneftro-
le y lorfque l’on s’en fert au lieu
de Gaude , ou qu’on en mêle
avec elle pour changer fa nuance.
Je renvoyé au petit teint les
Chapitre XVIII. 40 f
cinq autres ingrédiens jufqu’ici
connus , qui teignent en jaune:
je dirai feulement ici , par rap-
port au bon teint , que la racine
de Patience fauvage , l'écorce de
Frêne , furtout celle qui eft levée
après la première fève , les feüil-
les d’ Amandier , de Pefcher , de
Poirier , en un mot , toutes les
feüilles, écorces & racines, qui ,
en les mâchant , font apperce-
voir un peu d’aftridion , donnent
des jaunes de bon teint plus ou
moins beaux , félon le temps
qu’on les fait boüillir , & félon
que l’alun & le tartre font en do-
te dominante dans le boüillon.
L’alun mis en quantité fait appro-
cher ces jaunes du beau jaune
de la Gaude. Si le tartre domine,
ces jaunes tireront à l’orangé j
enfin , fi l’on fait boüillir trop
long-temps ces racines , ces écor-
pes , ou ces feüilles^ le jaune fe
40 6 L’Art de la Teinture.
ternira , & prendra des nuances
de fauve.
Quoique plulieurs Teinturiers
foient dans l’ufage d’employer
dans le bon teint la terra mérita >
ou curcuma, , racine qui vient des
Indes Orientales , &: qui donne
un jaune orangé 3 c’eft cepen-
dant un ufage condamnable, par-
ceque cette couleur fe palTe très-
promptement à l’air , â moins
qu’on ne fait allurée par le fel
marin , comme le font quelques
Teinturiers, qui fe gardent bien
de communiquer ce tour de.
main. Ceux qui s’en fervent dans,
1 ’écarlatte ordinaire pour ména-
ger la cochenille , & pour don-
ner à leur étoffe un rouge vif
orangé , font repréhenlîbles
pareeque les écarlattes qui ont
été teintes de la forte, perdent en
peu de temps cet éclat orangé ,
ainli que je l’ai déjà dit , &c bru-
Chapitre XIX. 407
giflent confidérablement à Tain
Cependant on eft en quelque fa-
içon obligé de tolérer cette falfî-
îcation , parceque dans un temps
)ù cet éclat orangé eft en mode,
1 feroit impolîîble de le donner
L de récarlatte 5 fans mettre une
)lus grande dofe de compofîtion,
lont l’acide furabôndant altère
e drap confidérablement.
fi########
CHAPITRE XIX.
Bu Fauve.
E Fauve , ou couleur de raci -
1 i ne , oxicouleurde noijette , eft
1 quatrième des couleurs primi-
ives des Teinturiers. Elle eft mi-
le dans ce rang ? parcequ elle en-
re dans la compolîtion d un très-
* ;rand nombre de couleurs. S011
ravail eft tout différent des au-
f ces 5 car on ne fait ordinaires
L’Art M xa TriNTtrlf.
ment aucune préparation à la lai- j
ne pour la teindre en fauve j ôc
de même que pour le bleu , on
ne fait que la moüiller dans l’eau
chaude.
On fe fert pour teindre en
Fauve , du brou de mix , de la ra-
cine de noyer , de l'écorce d'aulne ,
du fantal , du fumach , du roudotd
ou fovic 9 de la fuye y 6cc.
Le brou de noix , eft l’écorce
verte de la noix : on FamaiTe'
lorfquc les noix font entièrement
mûres \ on en remplit de gran- i
des cuves ou tonneaux , 6c on y
met de l’eau, enforte qu’elles en
foient bien abreuvées : on les con-
ferve en cet état jufqu’à l’année
fuivante , ou même plus long-
temps s’il en étoit befoin. On le
fert aulîi du brou qu’on enlève
des noix avant quelles foient
mûres , 6c lorsqu’on les mange en
cerneaux : mais il faut conferver
celui-là
Chapitre XIX. 40*
Celui-là à part, pour s’en fervir le
premier , pareeque le bois ou la
coquille molle, qui y eft attachée,
le fait corrompre , 6c qu’il ne fe
conferve qu’environ deux mois.
Le Santal eft un bois dur qui
l vient des Indes , on remployé or-
dinairement moulu en poudre
: très-fine , 6c même on le conferve
quelque temps dans des facs ,
après qu’il eft moulu, pareequ’on
prétend qu’il s’y excite une petite
fermentation qui le rend , di:-on,
meilleur , mais je n’y ai rc ma qué
' aucune différence. Plus ordinai-
rement ce bois moulu eft mêlé
avec un tiers de bois de Cariatour ,
qui fert à le bénéficier, félon le
langage de ceux qui le préparent
pour le vendre. Il eft beaucoup
moins bon que le brou de noix
dans les fauves, pareequ’il dé-
grade les laines en les durciffant
confidérablement , fi on l’em-
S
4io L’Art de la Teinture.
ployé en grande quantité. Ainfi
il eft mieux de ne point s’en fer-
vir pour les laines &: étoffes fines , ,
ou du moins de n’en tirer que les
plus foibles nuances , parcequ’a- ^
lors fon effet eft moins mauvais. $
On le mêle prefque toujours avec :
la galle, l’écorce d’aulne êclefu- i
mach : ce n’eft que de cette ma-
niéré qu’on peut tirer £a couleur, |
quand il eft feul 6c non mêlé avec ;
le Cariatour. Il n’en donne que -J
très-peu avec le boüillon d’alun r
6c de tartre , tel qu’on le fait pour »
le bois jaune, à moins qu’il ne ;
foit râpé. Malgré le défaut dont ;
il vient d’être parlé , on le tolère !
dans le bon teint à caufe de la .
folidité de fa couleur, qui natu- Ig
Tellement eft un jaune rouge- in
brun. Elle brunit & fonce à l’air, Jii
elle éclaircit au favon en per- h
dant de fon intenfité j mais elle
perd moins à l’épreuve de l’alun,, (
Chapitre XIX. 41 r
te encore moins à celle du tartre.
De tous les ingrédiens qui fer-
vent à teindre en fauve , le brou
de noix eft le meilleur. Ses nuan-
ces font belles , fa couleur eft fo-
lide, il adoucit les laines, & les
rend d’une meilleure qualité , 6c
plus faciles à travailler. Pour em-
ployer le brou de noix , on char-
ge une Chaudière à moitié , &
lorfqu’elle commence à tiédir , on
y met du brou à proportion de la
quantité d’étoffes que l’on veut
teindre , & de la couleur plus ou
moins foncée qu’on veut lui don-
ner. On fait enfuite boüillir la
Chaudière, & lorfqu’elle a boüilli
un bon quart d’heure , on y plon-
ge les étoffes qu’on a eu foin de
moüiller auparavant dans de l’eau
tiède , on les tourne , 6c on les
remue bien, jufqu’à ce quelles
aient acquis la couleur que l’on
defire. Si ce font des laines filées
Sij
4ix L 5 àrt de la Teinture.
dont il faille affortir les nuances
dans la derniere exa&itude , on
met d’abord peu de brou , de on
commence par les plus claires :
on remet enfuite du brou à pro-
portion que la couleur du bainfe
tire * de on paffe les brunes. A l’é-
gard des étoffes , on commence ;
ordinairement par les plus fon- !
cées ; de lorfque la couleur du bain ;
diminue, on paffe les plus clai-
res y on les évente à l’ordinaire
pour les refroidir ? de on les fait
féclier de apprêter.
La racine de noyer eft, après le
brou , ce qui fait le mieux pour la j
couleur fauve : elle donne auflî {;
un très-grand nombre de nuan- :
ces , de à peu près les mêmes que :
le brou ; ainfi on peut les fubfti- I j
tuer l’un à l’autre , fuivant qu’il y
a plus de facilité à avoir l’un que L
l’autre : iyais il y a de la différen-
ce dans la maniéré d’employer la
i
Chapitre XIX. 41 J
racine de noyer. On remplit aux
trois quarts une Chaudière d’eau
de riviere , & on y met de la ra-
cine , hachée en copeaux , la
quantité que Ton juge convenir,
proportionnellement à la quan-
tité de lame que l’on a à teindre,
te à la nuance à laquelle on la
veut porter. Lorfque le bain eft
affés chaud pour ne pouvoir plus y
tenir la main , on y plonge la lai-
ne ou l’étoffe ,, te on 1 y retourne
jufqu’-à ce quelle ait acquis la
nuance que l’on defire $ ayant foin
de l’éventer de temps en temps 3
te fi c’eft de l’étoffe , de la pafïer
entre les mains dans les lifieres ,
pour faire tomber les petits co-
peaux de racine qui s’y attachent
te qui pourraient tacher l’étoffe.
( Pour éviter ces taches , on peut
enfermer la racine de noyer ha-
chée dans un fac , comme je l’ai
dit à l’égard du bois jaune. ) On
S iij
4ï4 L’Art de la Teinture.
paffe enfuite les étoffes qui doi-
vent être de nuances plus claires,
& Ton continue de la forte juf-
qu’à ce que la racine ne donne
plus de teinture. Si ce font des
laines filées , on commencera tou-
jours par les plus claires, pour les
mieux affortir, comme je fai dit
en parlant des autres couleurs^
mais fur-tout on obfervera de lie
pas pouffer la chaleur jufquà fai-
re boüillir le bain au commen-
cement, parceaue cette racine
donneroit toute fa couleur à la
première pièce d’étoffe , &; qu’il
n’en refteroit point affés pour les
autres.
Le Racinage , c’eff -à-dire , la
maniéré de teindre les laines avec
la racine, n’eft pas fort facile \
car fi l’on n’a pas une grande at-
tention au degré de chaleur , &; à
remuer les laines &: étoffes , en-
forte quelles trempent bien éga-
Chapitre XIX. 415
lement dans la Chaudière, on
court rifque de les rendre trop
foncées, ou d*y faire des taches,
ce qui eft fans remède. Lorfque
cela arrive , le feul parti qu’il y a
à prendre , c’eftde les mettre en
maron , pruneau &C caffé y ainfi que
je le dirai lorfque je parlerai des
couleurs &: des nuances réfultan-
tes du mélange du fauve & du
noir. Pour éviter ces inconvé-
niens , il faut tourner continuel-
lement les étoffes fur le tour,
même ne les paffer que pièce a
pièce, & fur-tout , ne faire boiiil-
lir le bain que lorfque la racine
ne donne plus de couleur , ou
qu’on veut achever d’en tirer
toute la fubftance. Quand les
laines ou étoffes font teintes de
la forte , & qu’elles font éventées,
on les porte à la riviere ; on les
lave bien, & on les fait fécher.
Je ne dirai de X écorce d’aulne
S iiij
41 6 I/ârtde la Teinture,
que ce que j’ai dit de la racine
de noyer fi ce 11’eft qu’il y a
moins d’inconvénient à la laif-
fer bouillir au commencement, loi
parcequ’elle donne beaucoup | o
moins de fond de couleur à Té- j r
toffe. On s’en fert plus ordinai- •*. n
rement fur le fil , &: pour les l c
couleurs qu’on veut brunir avec | (
la couperofe verte. Elle faitnéan- j
moins un bon effet fur la laine t
pour les couleurs qui ne font pas ;
extrêmement foncées, & elle ré*
fifte parfaitement bien à l’aêtion
de l’air & du foleil.
Le Sumach eft à peu près de
même : on l’employe de la même
maniéré que le brou de noix : il
donne encore moins de fond de
couleur, & elle tire un peu fur le
verdâtre. On le fubftitue fouvent
à la noix de galle dans les cou-
leurs que l’on veut brunir, & il
fait fort bien 5 mais il en faut une
Chapitre XIX. 417
plus grande quantité que de galle*
Sa couleur eft auffi très-folide à
l’air. On mêle quelquefois enfem-
ble ces différentes matières;
comme elles font également bon-
nes , &: quelles font à peu près te
même effet, cela donne de la fa-
cilité pour de certaines nuances*
Cependant il n’y a que fufage qui
puiffe conduire dans- cette pra-
tique des nuances de fauve, qui
dépend abfolument du coup
d’œil , &: qui' n’a par elle-même
aucune difficulté.
Quant à l’emploi du mélange
de ces ingrédiens de du fantaî
moulu, om met quatre livres de
ce dernier dans* la Chaudière *
une demie livre de noix de çalle
pilée , douze livres d’écorce d aul-
ne dix livres de fumach. Ces
dofes font pour vingt - cinq à
vingt-fept aunes de drap. On fait
boüillir le tout y de après avoir
S v
4i8 L’Art de la Teinture.
abattu le boüillon avec un peu
d’eau froide , on y met le drap ,
qu’on y tourne & remue bien
pendant deux heures : après quoi
on le lève , on l’évente &: on le
lave à la riviere. On paffe enfuite
fur le même bain d’autres étoffes,
que l’on veut d’une nuance plus
claire j fte l’on continue de la for-
te , fi le bain eft encore chargé de
couleur. On augmente ou l’on
diminue la quantité de ces ingré-
diens à proportion de la hauteur
de la nuance , & l’on y faitboüil-
lir plus ou moins long-temps les
laines ou étoffes. J’ai déjà fait
obferver que ce n’eft que de cette
maniéré que Ton peut tirer la
couleur du Santal.
J’ai parlé dans cet article du
Santal &: de la maniéré de fan*
taller y quoique c’eût été plutôt le
lieu de le faire , lorfque je traite-
rai du petit teint, attendu que ce
Chapitre XIX. 419
bois ne devroit être employé que
pour les étoffes de bas prix , à
caufe du défaut dont j’ai parlé.
Cependant, comme il s’employe
prcfque de la même maniéré que
les autres ingrédiens qui fervent
à teindre en fauve &; que d’ail-
leurs il y a plufieurs Provinces 011
il eft toléré dans le bon teint
parccqu’il ne réilfle pas moins
que les autres à l’air &: au foleil,
j’ai cru qu’il feroit auffi bien de
donner à la fuite des autres la
maniéré de l’employer^ Je vais,
par la même raifon, décrire auffi
la maniéré de teindre avec la
fuye , quoiqu’elle ne foit permife
que dans le petit teint, à caufe
qu’elle a moins de folidité que les
autres , qu’elle durcit la laine , &:
qu’elle donne aux étoffes une
odeur défagréable.
On met ordinairement dans la
Chaudière l&fùye en même temps
Svj
4zo L'Art de la Teinture,
que l’eau : on fait bien boüillir le
tout. On y plonge enfui te l’étoffe ,
que l’on fait boüillir plus ou moins
long-temps , fuivant la nuance
que l’on cherche ; après quoi on
la lève , on l’évente , & on y met
celles qui doivent être plus clai-
res } on les lave bien enfuite , 6c
on les fait fécher. Mais pour
mieux faire, il faut faire boüillir
la fuye dans l’eau pendant deux
heures ; la laifïer repofer enfuite,
6c vuider le bain dans une autre
Chaudière , fans y mêler de fuye.
On paffe enfuite fur ce bain les,
laines 6c les étoffes , 6c elles font
moins durcies 6c defféchées , que
îorfqu’elles ont été mêlées avec
la fuye même : mais la couleur
nen eft pas plus folide , 6c le
mieux efl de ne jamais fe fervir
de cet ingrédient pour la teintu-
re des étoffes de prix ; d’autant:
plus qu elle peut être remplacée
Chapitre XIX. 4 it
dans toutes fes nuances par les
autres ingrédiens précédais, qui
font meilleurs , plus folides , & qui
adouciflent la laine. Les Tein-
turiers du petit teint employent
le plus fouvent le brou de noix &
la racine de noyer pour leurs cou-
leurs fauves. L’emploi de ces deux
matières étant commun auxTein-
turiers du grand teint &. à ceux
du petit teint , cela n’en eft que
mieux: mais il y a des endroits où
il n’eft pas facile d’en trouver }
&: l’on eft obligé alors de fe fervir
du fantal, &. même de la fuye.
Ce que j’ai dit ci-devant , pour
rendre raifon de la folidité des
couleurs de la clafte du bon teint
pourroit paroître ne pas conve-
nir aux couleurs fauves, dont j’ai
traité dans ce Chapitre , puifque.
celles-ci s’appliquent folidement
fiir la laine fans l’avoir préparée-
à les recevoir par le boüiilora
L'Art de la Teinture
d’alun 6£ de tartre ; & par con*
féquent, fans avoir introduit d’a-
bord dans les pores des fibres , un
fel capable de fe durcir au froid
& de maffiquer les atomes qui
colorent en fauve. Mais fi Ton ex-
amine par l’analyfe chymique le
brou de noix , la racine de noyer Y
l'écorce d'aulne ; outre qu’on con-
noît déjà leurs propriétés adffrin-
gentes, on trouvera auffi , en les
décompofant félon l’art, qu’elles
contiennent un tartre vitriolé y
lequel eft un fel qui ne fe calcine
point au foleil , & qui ne fe dii-
fout que dans l’eau bouillante, &
on verra alors que ces ingrédient
fe fuffifent à eux -mêmes pour
produire fur les étoffes, fans aucun
fecours étranger, les mêmes effets
que les autres drogues , dont fe*-
couleùrs ne s'appliquent foli dé-
ment qu’à l’aide d’un fel capable
d’en maffiquer les atomes colo~
if
I
m
Chapitre XX. 41$
rans. La fuye ne donne pas un
fauve auffi tenace,parcequ’elle ne
contient qu’un fel volatile àc un
fel terreux fort aifés à difldudre^
En effet, la fuye n’étant compo-
sée que des parties les plus légè-
res & les plus volatiles des corps
combuftibles qui ont fervi d’ali-
ment au feu, n’a pu enlever avec
elle du tartre vitriolé qui ne s’élè-
ve point à la chaleur , & qui d’aih
leurs fe trouve rarement dans les
bois que nous brûlons communé-
ment dans nos cheminées.
CHAPITRE XL
Du Noir.
L E Noir eft la cinquième cou-
leur primitive des Teintu-
riers. Elle renferme une prodi-
gieufe quantité de nuances à
commencer depuis le gris-blanc
4*4 L’Art de la Teinture.
ou gris de perles ,jufqu’au gris de In
more , & enfin au noir. G’eft à
raifon de ces nuances- qu’il eft
mis au rang des couleurs primi-
tives ‘ y car la plûpart des bruns, de
quelque couleur que ce foit , font
achevés avec la même teinture ,
qui , fur la laine blanche, feroit
un ^ris plus ou moins foncé. Gette
opération fe nomme Br mit tire.
J’en parlerai lorfque je ferai par-
venu auxnuancesqui réfultent du
mélange des< couleurs primitives ;
mais aétuelîement je vais donner
la maniéré de faire le beau noir
Air la laine. Je ferai encore obli-
gé , pour cet effet, xlèparlerd’um
travail qui regarde le petit teinta
Car, pour qu’une étoffe foit par-
faitement bien teinte ennoir,elte
doit être commencée par le Tein-
turier du grand & bon teint, &T
achevée par celui du petit teint.
Il faut d’abord donner aux lair
Chapitre XX. 41 f
nes> ou étoffes de laine que Ion
veut teindre en noir une couleur
bleue , la plus foncée qu’il eftpof-
ftble y ce qui fe nomme le pied ou
le fond. On donne donc à l’étoffe
le pied de bleu-pers , qui doit fe
faire par le Teinturier du grand
& bon teint , fe de la maniéré
que j’ai enfe ignée dans le Cha^
pitre du bleu. On lave l’étoffe
à la riviere auffi-tôt qu’elle eft
fortie de la Cuve de Paftel , &
on la fait bien dégorger au fou-
lon. Il eft important de la laver
auffi-tôt qu’elle eft fortie de la
Cuve, pareeque la chaux, qui
eft dans le bain , s’attache à l é-
toffe &la dégrade fans cette pré-
caution : il eft nécelfaire aufîi de
la dégorger au foulon , fans quoi
elle noirciroit le linge & les
mains, comme cela arrive tou-
jours , quand elle 11’a pas été fufE-
famment dégorgée.
4 iê L’Art de ta Teinture,
Après cette préparation , Tétof- $0
fe eft portée au Teinturier du pe- :
tit teint , pour Tache ver & la noir- ftf
cir; ce qui fe fait comme il fuit.
Pour cent livres pefant de drap
ou autre étoffe qui , félon les ré- çjï
glemens , a dû recevoir le pied
de bleu - pers , on met dans une
moyenne Chaudière dix livres dci|
bois d’Inde coupé en éclats , &
dix livres de galle d’Alep pulvé-
rifée , le tout enfermé dans un !
fac : on fait bouillir ce mélange
dans une fuffifante quantité d’eau
pendant douze heures. On tranf-
porte dans une autre Chaudière
le tiers de ce bain avec deux li-
vres de vert de gris , & on y parte
î’étoffe , la remuant fans difconti-
nuer pendant deux heures. Il faut
obferver alors de ne faire boüillir
ce bain qu’à très-petits boitillons}
ou encore mieux , de ne le tenir
que très -chaud , fans boüillir.
Chapitre XX. 42,7
On lèvera enfuite 1 étoffé > on jet-
tera dans la Chaudière le fécond
tiers du bain avec le premier qui
y eft déjà, & on y ajoutera huit
livres de couperofe verte : on di-
minuera le feu deffous la Chau-
dière ytte. on biffera fondre la cou-
perofe , & rafraîchir le bain en-
viron une demie heures après
quoi on y mettra l’étoffe , quon
y mènera bien pendant une heu-
re y on la lèvera enfuite , & on
leventera. On prendra enfin le
refte du bain , qu’on mêlera avec
les deux premiers tiers j ayant foin
aufiî d’y bien exprimer le fac. On
y ajoûtera quinze ou vingt livres
de fumach : on fera jetter un
bouillon à ce bain, puis on le ra-
fraîchira avec un peu d’eau froi-
de , après y avoir jetté encore
deux livres de couperofe , & on
y paffera l’étoffe pendant une
heure : on la lèvera enfuite , 012
41% U Art de la Teïntürz.
leventera , & on la remettra de
nouveau dans la Chaudière ; la
remuant toujours encore pen-
dant une heure. Après cela, on
la portera à la riviere , on la la-
vera bien , & on la fera dégorger
au foulon. Lorfqu elle fera par- i
faitement dégorgée , de que l’eau
en fortira blanche * on prépa-
rera un bain frais avec delà gau-
de à volonté : on l’y fera boüillir :
un boüillon j de après avoir rafraî-
chi le bain , on y paffera f étoffe;
Ce dernier bain l’adoucit de af-
fure davantage le noir. De cette
maniéré , l’étoffe fera d’un très-
beau noir , de aufïi bon qu’il eft
poffible de le faire , fans que l’é-
toffe foit trop defféchée. Mais le
plus fouvent, on n’y fait pas à
beaucoup près autant de façons >
de on fe contente , lorfque le drap
eft bleu, de le paffer fur un bain
de noix de galles ,, où on le fait
Chapitre XX. 41*
boiiillir pendant deux heures. Oti
le leve enfuite , 011 jette dans le
bain la couperofe &c le bois d’In-
de , on y paiTe le drap pendant
deux heures fans le faire boüil-
lir j après quoi on le lave & on le
dégorge au foulon.
J’ai fait faire encore du noir
de la maniéré fuivante : Pour
quinze aunes de drap teint en
■bleu-^m, j’ai fait mettre dans
la Chaudière une livre &: demie
de bois jaune , cinq livres de bois
d’Inde , ôt dix livres de fumach.
J’y ai fait boüillir le drap pen-
dant trois heures \ après quoi on
l’a levé , &: j’ai fait jetter dans la
Chaudière dix livres de coupe-
rofe. Lorfqu’elle a été fondue
le bain refroidi > j’y ai palfé le
drap pendant deux heures. On
l’a levé & éventé , & remis enfuite
pendant une heure j après quoi
on l’a lavé ôc dégorgé : il écoit
4JO L’àrt de la Teinture.
allés beau, mais moins velouté
que le précédent.
Il étoit ordonné par l'ancien
Réglement de garencer les étof-
fes , après quelles étoient guef-
dées, &: avant que de les mettre
en noir. J’ai voulu voir quel étoit
l’avantage qui en réfultoit. Pour
cela , j’ai pris un morceau de drap
teint en bleu -pers, je l’ai coupé
en deux , j’en ai fait boiiillir la
moitié en alun & tartre , & je fai
garencé enfuite $ après quoi je
l’ai noirci dans le même bain,
avec l’autre moitié qui n’avoit
point été garencée , & conformé-
ment à la première des deux mé-
thodes que je viens de décrire.
Ces deux morceaux de drap font
devenus tous deux d’un très-beau
noir : il m’a paru cependant que
celui qui avoit été garencé , avoit
un œil rougeâtre : le noir de l’au- l
tre étoit certainement plus ve-
Chapitre XX. 431
Jouté 6c plus beau. Il eft vrai qu’il
eft moins à craindre que celui
qui a été garencé noirciffe les
mains 6c le linge ,parceque l’alun
&: le tartre du boiiillon ont em-
porté tout ce que le bleu pouvoir
abandonner. Mais je ne trouve
pas cet avantage allés confîdé-
rable , pour dédommager des in-
eonvéniens du garençage , qui
font que l’alun 6c le tartre dégra-
dent toujours un peu l’étoffe j
que la garence lui donne un fond
de rougeur défagréable àlavûë,
6c de plus , que cette opération
renchérit inutilement le prix de
la teinture.
Il y a des Teinturiers qui , pour
éviter une partie de ces inconvé-
niens , garencent les draps fans
les avoir fait boüillir précédem-
ment en alun 6c tartre. Mais j’ai
déjà fait voir que la garence , em-
ployée de cette maniéré ? a a au-
wj-3 1 L’Art de la Teinture.
cune folidité , ainfi je ne vois pas
que l’on puiffe tirer aucun avan-
tage d’une fi mauvaife pratique.
On teint quelquefois aufïi en
noir, fans avoir donné le pied de
guefde ou de bleu , & il a été per-
mis de teindre de la forte des
étamines, des voiles, &: quelques
autres étoffes de même genre ,
qui font d’une valeur trop peu
confidérable pour pouvoir Sup-
porter le prix de la teinture en
bleu foncé, avant que d’être mife
en noir. Mais on a ordonné en
même temps de raciner ces étof-
fes , c’eft-à-dire , de leur donner
un pied de brou de noix, ou de
racine de noyer , afin de n’être
pas obligé, pour les noircir, d’em- 4
ployer une trop grande quantité .
de couperofe. Ce travail pour-
roit regarder entièrement le petit
teint. Cependant , comme dans ,
les endroits où il a été permis , on r
a
Chapitre XX. 435
a accordé aux Teinturiers du
grand teint la permiflîon de le
faire, concurremment avec les
Teinturiers du petit teint, il m’a
paru que c’étoit ici le lieu d’en
parler, puifque j’en fuis aux cou-
leurs qui participent du grand &
du petit teint.
Il n’y a aucune difficulté dans
ce travail. On racine l’étoffe,
comme on l’a vû dans le Chapi-
tre du fauve , &: on la noircit en-
fuite dé la maniéré que je viens
de dire , ou de quelqu’autre à
peu près femblables. Car il en eft
du noir , comme de l’écarlatte :
il y a peu de Teinturiers qui ne
croyent avoir quelque fecret pour
faire un plus beau noir que les au-
tres y ce qui ne confifte cependant
qu’à augmenter ou diminuer la
dofe des mêmes ingrédiens, ou à
en fubftituer d’autres qui font le
même effet. J'en aieffayé de plu-
T
4î4 L ? àrt de la Teinture.
fieurs façons , & il m'a paru que
ee qu’on entend à la rigueur par,
réuflir parfaitement, dépendoit
plutôt de la maniéré de travailler,
de mener & d’éventer l’étoffe à
propos , que de la dofe exa&e des
ingrédiens. C’eft pourquoi j'ai dé-
crit avec une forte de fcrupule,
qui paroîtra fuperflu à plufieurs
Ledeurs, tous les détails de la mé?
thode qui m’a paru la meilleure. ,
Il eft bon d’expliquer ici la
raifon pour laquelle on demande
que les étoffes ayent un pied dç
bleu, ou pour le moins un pied
de racine avant que d’être mife$
en noir , &: pourquoi ileftexpref-
fément défendu d’en teindre au-
cune de blanc en noir. C’eft que
fi l’on vouloit teindre de blanc ei*
noir , & faire un noir bien foncé , K
il faudroit d’abord employer unç
plus grande quantité de noix de h
galles ce qui ne ferait pas à la î
Chapitre XX. 435
vérité un inconvénient ,parceque
la galle n’endommage pas la lai-
fie , attendu qu’elle ne contient
rien de corrodant , mais pour
jurmonter cette galle , en termes
d’ouvrier, c’eft-à-dire , pour la
noircir, ou encore mieux, pour
faire de l’encre fur l’étoffe (car
ceci n’eft autre chofe ) il faudroit
une grande quantité de coupero-
fe , qui non-feulement rudit l’é-
toffe , mais qui la rend caffante
par l’acidité que ce fel imprime
ou laiffe fur les fibres de la laine :
au lieu qu’il faut beaucoup moins
de l’un & de l’autre , lorfque l’é-
toffe a déjà un pied, c’eft-à-dire,
une forte couche de quelque cou-
leur foncée, qui la rend moins
éloignée du noir que fi elle étoit
toute blanche.
On la fait bleue par préféren-
ce à toute autre couleur , premiè-
rement parcequ’un bleu foncé eft
Tij
436 L’Art de la Teinture.
celle de toutes qui approche le
plus du noir ( le noir n’étant vrai-
semblablement qu’un bleu très-
foncé ) 3 & fecondement , parce-
que n’ayant pas befoin que la laine
foit boüillie &: préparée aupara-
vant , cela ne l’endommage en au-
cune façon. La même raifon de
conferver la laine a fait fubftituer
la couleur de racine au bleu ,
pour les étoffes dont le prix feroit
trop augmenté par la teinture
en bleu ; & alors il faut donner
ce pied de racine le plus foncé
qu’il eft poflible , parceque plus il
fera brun , moins il faudra de cou-
perofe pour achever de le noircir.
Il arrive fouvent auffi que l’on
met en noir des étoffes de toutes
fortes de couleurs, qui ont été
mal teintes ou tachées : le mieux
eft alors de les paflér en bleu,
avant que de les noircir , à moins
que leur couleur ne fut déjà trèsr
i
j
i
i
f
t
Chapitre XX. 437
foncée , auquel cas elles ne laif-
feront pas que de prendre un
très-beau noir. Mais c’efflà la
derniere relïource: & communé-
ment, on 11e met pas ces étoffes
en noir, que lorfqu’il n’elt pas
pofïible de les mettre en une au-
tre couleur, parceque comme el-
les ont été déjà boüillies en alun
& tartre pour la première cou-
leur, la couperofe quon eft obligé
de mettre pour les noircir , les dé-
grade confidérablement, & di-
minue beaucoup de leur qualité.
Les nuances du noir font les Des Gris
gris , depuis le plusbrun jufqu’au
plus clair. Ils font d’un très-grand
ufage dans la teinture , tant dans
leur couleur limple , qu’appli-
quées fur d’autres couleurs. C’eft
alors ce qu’on appelle Bmniture.
Mais je n’en parlerai que quand
je traiterai du mélange des cou-
leurs primitives entr’elles.Je m’en
Tiij
45 8 L’Art de la Teinture.
tiendrai maintenant aux gris fini-
pies, & confidérez comme les
nuances qui dérivent du noir ou
qui y conduifent, &:je rapporte-
rai deux maniérés de les taire.
La première & la plus ordinai-
re eft de faire boüillir pendant
deux heures de la noix de galle
concaffée avec une quantité
d'eau convenable. Onfaitdiflou-
dre à part de la couperofe verte
dans de l’eau; &: ayant préparé
dans une Chaudière un bain
pour la quantité de laines ou
d'étoffes que Ton veut teindre, on
y met , lorfque l’eau eft trop chau-
de pour y pouvoir foulfrir la
main, un peu de cette décodion
de noix de galle , avec de la dif-
folution de couperofe. On y paffe
alors les laines ou étoffes que l'on
veut teindre en gris le plus clair.
Lorfqu’elles font au point que
l’on déliré , on ajoute iur le me-
Chapitre XX. 439
me bain de nouvelle déco&ion
de noix de galle , 8c de i’infufion
ou difïolution de couperofe ver-
te , & on y pafle les laines de la
i nuance au-defïus. On continue
* de la forte jufqu’aux plus brunes,
en ajoutant toujours de ces li-
queurs jufqu’au gris de more , 6c
même jufqu’au noir : mais il eft
beaucoup mieux pour les gris de
; more 6c les autres nuances extrê-
mement foncées, d’y avoir don-
né précédemment un pied de
bleu plus ou moins fort, fuivant
que cela fe peut, 6c cela pour les
raifons que j en ai données ci-
devant.
La fécondé maniéré de faire
les gris me paroît préférable à
celle-là, parceque le fuc de la
galle eft mieux incorporé dans la
laine , 6c qu’on eft fûr de n’y em-
ployer que la quantité de coupe-
rofe qui eft absolument néceftai-
440 L'Art de la Teinture.
re. Il réfulte même des expérien- I i
ces que j’en ai faites, que les îp
gris font plus beaux, & que la lin
laine en a plus de brillant : ils Ick
m’ont paru aufli avoir une égale I or
folidité 5 car les uns & les autres l a
réfiftent également à l’aétion de | «
l’air & du foleil. Ce qui me dé- Ifo
termine à préférer la fécondé
méthode, c’eft qu’elle eft aufli |p
facile que la première, &” qu’our f
tre cela elle altère beaucoup n
moins la qualité de la laine. \
On fait boüillir pendant deux £(
heures dans une Chaudière la
quantité de noix de ^alle qu’on j
juge à propos , après l’avoir com- j
caflee & enfermée dans un fac de £
toile claire. On met enfuite la
laine ou l’étoffe dans ce bain , &
on l’y fait boüillir pendant une
heure , la remuant h la palliant :
après quoi on la lève. Alors on
ajoûte , à ce même bain , un peu
Chapitre XX. 441
de couperofe diffoute dans une
portion du bain, 8c on y paffe les
laines qui doivent être les plus
claires. Lorfqu’elles font teintes,
on remet dans la Chaudière en-
core un peu de dilfolution de
couperofe 3 8c on continue de la
forte comme dans la première
opération , jufqu’aux nuances les
plus brunes. On peut aufli , dans
i un 8c l’autre procédé , lorfqu’on
n’eft pas gêné par les échantillons
à faifir des nuances précifes ,
commencer par les gris les plus
bruns,. & finir par les clairs, à
mefure que le bain commence à
fe dégarnir d’ingrédiens, 8c en y
tenant chaque mife d’étoffes ou
de laines, plus ou moins de temps,
jufqu’à ce quelles foient à la
nuance que l’on defire c
Il eft impollible de fixer la
quantité de l’eau néceffaire à ces
opérations , non plus que celle
442- L 9 àrt de la Teinture.
des ingrédiens , ou le temps que
la laine doit relier dans le bain.
C’eft à l’œil à juger de tout cela.
Si le bain eft fort chargé de cou-
leur, la laine y reliera moins de
temps pour venir à fa nuance , &
au contraire, elle y demeurera
plus long-temps, fi le bain com-
mence à être tiré. Lorfque lalai-r
ne n’eft pas affés brune , on la re-
met une fécondé fois, une troi-
fiéme fois, ou jufqu à ce qu’elle
le foit allés. Toute l’attention
qu’on doit avoir, c’elt que le bain
ne boüille pas, & qu’il foit plutôt
Amplement tiède que trop chaud.
Si par hafard la couleur étoit trop
foncée , le remède feroit de pal-
fer l’etoffe fur un bain nouveau
& tiède, dans lequel on auroit
mis un peu de décodion de noix
de galle. Ce bain emporte une
paitie du fer précipité de la cou-
perofe , & par conféquent éclairs
Chapitre XX. 445
cit l'étoffe ou la laine. Mais ci la
rigueur , le mieux eft de la retirer
de temps en temps du bain , &c
de ne pas lui laiffer prendre plus
de couleur quil ne faut. O 11 peut
auffi la paffer fur un bain de fa-
von ou d'alun : mais alors ce cor-
redif emporte une grande partie
de la couleur , 5e il faut fou vent
la rebrunir enfuite : ce qui ne fait
que dégrader la laine , qui fouffre
toujours beaucoup de ludion
réitérée de tous ces ingrédiens.
Tous ces gris , de quelque façon
qu’ils aient été teints, doivent
être auffi- tôt lavés en grande eau ;
6c même les plus bruns, dégor-
gés avec le favon.
Ces brumaires, tant les plus
claires que lesplus foncées, fe font
par la même opération qui donne
l’encre ordinaire à écrire. La
couperofe verte contient du fer
fi elle étoit bleue, ce ferait du
T Y)
444 L’Art de la Teinture.
cuivre. Verfez delà diflolution de
cette couperofe verte dans un ver-
re > tenez-le au grand jour j faites
tomber dedans goutte à goutte de
la décoction de noix de galle.
Les premières gouttes feront
prendre à la diflolution limpide
de ce fel ferrugineux une couleur
rouge , d’autres gouttes le feront
pafler au bleuâtre, puis au violet
laie ; enfin au bleu prefque noir.
Voilà de l’encre. Ajoûtez à cette
encre beaucoup d’eau pure, & lait-
lez le vaifleau en repos pendant
plufieurs jours , peu à peu la li-
queur s’éclaircira , jufqu’à repren-
dre prefque la limpidité de l’eau
commune , &: vous trouverez au
fond du vaifleau une poudre noi-
re. Mettez cette poudre , après
l’avoir fait fécher, dansuncreu-
fet j calcinez-la, y jettantunpeu
de fuif ou de quel qu’autre ma-
tière graflfe , vous aurez une pou-
U
r
|œ
In
r
h
c
?
F 1
k
I i
f
h
h
e
la
h
l
\
<
Chapitre XX. 445*
dre noire , que l’aimant attirera.
Donc c’eft du fer y donc c’eft ce
métal qui noircit l’encre. De
même ,, c’eft lui qui , précipité
par la noix de galle, fe loge
dans les pores des fibres de la
laine dilatés par la chaleur du
bain , contradés par l’air froid
auquel on expofe 1 étoffe en l’ér
ventant fouvent. Outre la ftipti-
cité de la noix de galle , par la-
quelle elle a éminemment la pro-
priété de précipiter le fer de la
couperofe & de faire de l’encre,
elle contient auftî une portion de
gomme , ce dont on peut fe con-
vaincre en faifant évaporer fa dé-
codion filtrée. Cette gomme,
entrant dans les pores avec les
atomes ferrugineux, fert à les
maftiquer : mais comme cette
gomme eft affés aifément diffo-
luble , ce maftic n’a pas la téna-
cité de celui qui eft fait avec un
44^ L’Art de la Teinture.
fel difficile à diffoudre ; auffi les
brumaires n ont-elles pas en tein- U
ïure la folidité des autres couleurs jf)
de bon teint appliquées fur un
fujet préparé par le botiillon de k
tartre & d’alun j&c’eft pour ce ttè jfc
taifon que les gris fimples n’ont i
pas été fournis aux épreuves des ,
déboiiillis.
J’ai donné, à ce que je crois, j
la meilleure maniéré de faire
toutes les couleurs primitives des
Teinturiers; ou du moins, de 1
celles qu’ils font convenus d’ap- <
peller de ce nom, parceque , de j A
leur mélange & de leurs combi- I:
liaifons , dérivent toutes les autres (
couleurs. Je vais maintenant les h
parcourir , affiembiées deux à !
deux, en fuivant le même ordre ;
dans lequel je les ai décrites fim-
ples. Lorfque j’aurai donné là
maniéré de faire les couleurs qufc
îéfultent de ce premier degré de
Chapïtr^e XXL 447
Conibinaifon, j’en joindrai trois
enfemble y &c en continuant tou-
jours de la forte, j’aurai rendu
compte, pour ainfl dire, de tou-
tes les couleurs apperçuës dans
la nature , &. que l’art a cherché
à imiter.
ic'k'k'kirkic'k t k-k t k t k t kic'k t k , k
CHAPITRE XXL
Des couleurs que donne le mélange
de Bleu dr de Rouge .
"J ’Âi dit, en parlant du Rouge,
^ J qu’il y en avoit quatre diffé-
rentes efpéces dans le bon teint.
On va voir maintenant ce qui
arrive , lorfque ces différens rou-
ges font appliqués fur une étoffe
qui a été précédemment teinte
en bleu. Si on prend une étoffe
bleue, qu’on la boiiiile avec l’a-
lun & le tartre , de la maniéré &£
fcvec les proportions que j’ai em
44§ L'Art de xa Teinture.
feignées dans l’article du Rouge ,
& qu’on la teigne enfuite avec le
Kermès, il en réfultera ce quon itf
appelle la Couleur de Roy y la Cou~
leur de ? rince , la Penfée y le Violet , J?(
le Pourpre & plulîeurs autres el
couleurs femblables. Mais il eft | ni
rare qu’on fe ferve du Kermès : [u
. pour ces couleurs , à caufe de fa 1 «
chereté, de la quantité qu’il y en A
entreroit, & parceque la coche- p
nille & la garence les donnent , n
ou plus belles ou avec plus de fa- le
cilité. D’ailleurs , j’ai déjà fait re- { ç:
marquer que l’on eft très - peu ;
dans l’ufage d’employer le Ker- C
més , quoiqu’il y ait plufieurs c
couleurs compofées où il fafle un ?
très-bon effet, comme on le verra f
plus particulièrement dans la fui- 1
te. Lorfqu’on fe fert du Kermès
pour appliquer un rouge fur le |i
bleu , il eft indifférent que le pied-
de bleu foit donné d’abord,, ou*
Chapitre XXL 449
qu’on ne le donne qu’aprèsque
1 étoffé eft teinte en rouge > par-
ceque le rouge du Kermès eft
une couleur trop folide pour pou-
voir être altérée par la chaux qui
eft dans la Cuve de Paftel, à
moins que cette Cuve n’en foit
furchargée , ou par la cendre gra-
velée qui eft dans celle d’indigo.
Ainfi, fi la Cuve de Paftel n’eft
pas trop vieille , on pourra com-
mencer par celle des deux cou-
leurs qu’on jugera à propos ou
qu’on croira la plus commode
pour mieux affortir la nuance.
On conçoit aifément* <jue quoi-
que je n’aye nommé qu un très-
petit nombre de couleurs , il s’en
peut tirer de ces deux principa-
les une très-grande quantité , fé-
lon que l’une ou l’autre fera plus
dominante.
On ne fe fert jamais du mé-
lange du bleu avec l’écarlatte
4P L’Art de ia Teintüre.
couleur de feu ou écarlatre des
Gobelins , dans aucune de leurs
nuances. J’en ai voulu Ravoir la
raifon par moi-même * &: pour
cela j’ai paffé,furla Cuve de bleu,
un morceau de drap teint en
ccarlatte , & j ai teint un fécond
morceau félon la méthode de
1 ’écarlatte , après l’avoir mis en
bleu auparavant. L’un & l’autre
ont fort mal réuffi, & ont fait
une efpéce de violet terne &: mar-
bré , enforte qu’il paroiflbit que
les deux couleurs ne s’étoient
point unies, mais qu’elles étoient
appliquées chacune fur différen-
tes parties de la laine. Cela eût
caufé fans doute par les acides
qui entrent dans la compofition
de l’écarlatte. Mais fans exami-
ner ici le phyfîque de cette opé-
ration 5 qui occafionneroit une
differtation trop longue & en-
nuyeufe par des répétitions de ce
ï
t
tii
k
in
R
a
ï
:
i
:
;
i
•:
Chapitre XXL 4 5*
que j’ai déjà dit, le faitparoîtfuf-
fire ici. Il prouve qu’on ne peut
tirer aucune belle couleur du mé-
lange du bleu avec 1 ecarlatte , à
. moins que Ton ne paffe 1 ecarlat-
: te fur un bain d’alun qui chaffe
l’acide de la compolition : mail
alors ce feroit un cramoilî , cou- '
leur fort différente de 1 ecarlatte,.
&: dont j ai donné le procédé
dans un Chapitre particulier.
Du mélange du bleu&ducra^
moill fe forme le Colombia , le
Pourpre , l’ Am aremthe , la F en fée
& le Violet . Ces couleurs ont,
outre cela, un très-grand nom-
bre de nuances, qui dépendent
de ce que l’une ou l’autre des
couleurs, d’ou elles dérivent, fe-
ront plus ou moins foncées. Je me
fuis trop étendu fur tout le detail
de ces couleurs primitives, pour
qu’il puiffe relier le moindre em-
barras ou la moindre difficulté
45i L 5 Art de la Teinture.
dans l’exécution des couleurs
compofées. Car on fait d'abord
Tétoffe ou la laine filée d une cou-
leur , & on la teint enfuite de
l’autre , précifément de la même or
maniéré que fi elle étoit toute 51
blanche. On obfervera feule-
ment, dans le cas préfent, de
teindre l’étoffe en bleu, avant I
que de la mettre en cramoifi,
par la raifon que j’ai déjà dite ,
que les alcalis de l’une ou de l’au-
tre Cuve de bleu terniffent con-
sidérablement l’éclat du rouge de
la cochenille. On obfervera , pour
faire les violets , les pourpres &
les autres nuances femblables ,
tout ce que j’ai dit au fujet des
cramoifis , parceque ces couleurs
n’auront de vivacité &: d’éclat ,
qu’en les travaillant avec toutes
les précautions qu’il eft nécelfaire
d’apporter pour faire de beaux
Chapitre XXL 45$
Du bleu & du rouge de garen-
ce fe tirent auflî la Couleur de
Roy y la Couleur de Prince , ( mais
beaucoup moins belles que quand
on employé le Kermès, à caufe
que le rouge de cette racine eft
toujours terni par le fauve de fes
fibres ligneufes , ) le Minime , le
Tanné , Y Amaranthe obfcur , le
Rofè féche , toujours moins vives,
que fi on fe fervoit du Kermès.
On le mêle cependant quelque-
fois avec la garence , comme je
l’ai déjà dit, pour faire les écar-
lattes mi-graines ; & les couleurs
qui en viennent font plus belles
que lorfque la garence eft em-
ployée feule fur une étoffe teinte
en bleu. On mêle auifi la garen-
ce avec la cochenille , comme
dans le demi-cramoifi , & on en
tire un très-grand nombre de bel-
les nuances qu il n’eft pas poflî-
blende défigner par des noms par-:
454 L A^t de j-A Teinture.
ticuliers , mais qui tirent toutes
fur celles que je viens de nom-
mer. Il y en a quelques-unes qui
peuvent fe faire auffi belles qu’en
y y employant des ingrédiens plus
chers. C’eft au Teinturier à cher-
cher fon avantage , & à ne pas
employer les plus chères , lorfqu’ii
pourra faire le même effet avec
les communes. Ilm’eftimpoffible
de donner aucune inftrudion fur
ce point , parcequ’il n’y a que lu?
fage feul qui puiffe l’apprendre.
On fe fert auffi très-fouvent de !
vieux bains de cochenille ou de
garence , dont la teinture n’a pas
été entièrement tirée j ce qui ne
laide pas de faire une épargne
confîdérable , &c la couleur n’en
cil pas moins bonne. Je ne puis
encore rien dire fur cela de pofitif^
puifque l’effet, qui en réfultera,
aépena de ce qui refte de teintu-
xe dans le bain , & de la
que l’on a delfein de faire.
nuancç P
Chapitre XXII. 45 5
CHAPITRE XXII.
Vu mélange du Bleu & du Jaune.
I L ne vient qu’une feule cou-
leur du mélange du bleu & du
jaune. C’eft le Ferd. Mais il y en
a une infinité de nuances , dont
les principales font le Ferd jaune,
Ferd naiffagt , Ferd gai , F erd
d'herbe } Ferd de laurier , Ferd mo~
Içquin , Ferd brun , Ferd de mer ,
Ferd céladon , Ferd de perroquet ,
& Ferd de Chou. J’y ajoute le Ferd
faites de canard , & le Ferd céla-
don fans bleu. Toutes ces nuances
& les intermédiaires fe font de
1 la même maniéré & avec la mê-
me facilité. On prend 1 étoffé ou
la laine teinte en bleu , plus ou
moins foncé \ on la fait boiiilliç
avec l’alun & le tartre , comme
pour mettre en jaune à 1 or^inai»
45^ L'Art de la Teinture.
re une étoffe blanche , & on la
teint enfuite avec la gaude, la :
farrette, la géneftrolle, le bois
jaune ou le fénugrec. Toutes ces 1
matières font également bonnes ,
quant à la folidité j mais comme j 1
elles donnent des jaunes un peu v
différens , les verds qui réfultent f
de leur mélange le font auffi. La
gaude & la farrette font les deux ri
plantes qui donnent les plus
beaux verds.
Pour faire les nuances de verd
qui tirent fur le jaune , il faut que
l’étoffe foit dun bleu très-clair, ü
&: quelle foit boüillie avec les
dofes de tartre & d’alun ordinal-» n
res, pour recevoir le jaune > car «
fans ces fels , il ne feroit pas fo- !
lide : mais pour un verd de per- ia
roquet ou verd de chou, le bleu d
doit être très-foncé j & comme
il ne doit y avoir qu’une légère c
teinte de jaune , il ne faut donner {
h
Chapitre XXII. 457
à l’étoffe qu’un demi boüillon:
j’ai déjà dit ce qu’on entend par-
la. Quelquefois même il ne faut
qu’un quart des fels d’un boüil-
lon ordinaire. Souvent, pour fai-
re ces fortes de couleurs , les ou-
vriers employent les fels fans les
pefer, fe contentant d’eftimer à
la vûe ce qu’ils croyent néceffai-
re fuivant la nuance qu’ils veu-
lent donner : une longue habi-
tude peut les rendre en quelque
forte exaéts, mais il feroit beau-
coup mieux qu’ils ne s’en rappor-
taient pas à leur eftime. J’ai re-
connu par des expériences, qu’on
ne fait pas moins bien ces nuan-
ces de verd bleu en donnant à
!; l’étoffe le boüillon ordinaire : le
jaune qu’on applique enfui te en
eft beaucoup plus folide ; mais
alors il faut mettre dans le bain
de teinture beaucoup moins de
gaude , ou d’autre matière colo-
V
458 L’Art de la Teinture.
rante , &c laiffer l’étoffe moins
long-temps dans le bain. Cepen-
dant il y a deux raifons pour ne
pas le faire j la première , la
plus intéreffante pour les Tein-
turiers , eft qu’ils croiroient con-
fumer inutilement une plus gran-
de quantité de drogues qu’il n’eft
néceffaire ÿ 3c la fécondé eft , que
moins on met d’alun dans le
boüillon , plus on conferve la
douceur & la qualité de la laine ,
moins auffi la première teinte de
bleu eft altérée j car l’alun grife
toujours un peu le bleu pris en
Cuve de Paftel. Ainfi je crois
qu’il faut laiffer le Teinturier
dans l’habitude où il eft de ré-
gler la force de fon boüillon fut
la hauteur qu’il eft néceffaire de
donner à la couleur. é
J’ai dit que pour teindre en
yerd il falloir que la laine fût pré-
cédemment teinte en bleu , par-
Chapitre XXII. 459
ceque je crois que les deux cou-
leurs , appliquées dans cet ordre ,
tiennent beaucoup mieux , &: que
la couleur feroit moins bonne fi
Ton faifoit autrement. Je m’en
fuis afluré en faifant les verds,
dont je viens de parler, avec les
cinq matières colorantes déjà
connues, qui font un jaune de
bon teint. J’ai mis de pareille
étoffe en jaune avec chacune de
ces mêmes matières , j’ai paflé
ces cinq morceaux jaunes dans
la Cuve de bleu , &: j'ai eu des
verds tout aufli beaux que les pre-
miers. J'ai expofé au ioleil d’été
les uns & les autres , ils y ont ré-
fifté affés bien pour être réputés
de bon teint y mais ceux , qui a-
i voient reçu le bleu avant le jau-
: ne, ont moins perdu. Au dé-
k boüilli , on y apperçoit beaucoup
’ moins de différence. Cependant,
dans les circonftances qui lexi-
Vij
4^o L’Art de la Teinture.
geront abfolument , il doit être
permis au Teinturier de com-
mencer par mettre en jaune les
étoffes qu’il voudra teindre en
verd. Mais les verds aufquels la
couleur bleue aura été donnée la
derniere , faliront le linge beau-
coup plus que les autres , parce-
que fi le bleu a été donné le pre-
mier , tout ce qui s’en peut déta-
cher a été enlevé par le boüillon
d’alun j ce qui n’arrive pas lors-
que le bleu a été donné le der-
nier. Au refte, le remède, à ce
défaut , eft de faire bien dégor-
ger le verd après qu’il eft forti
de la Cuve ; moyennant quoi il
fe trouve dans le même cas que
le bleu, dont il a été parlé dans
le Chapitre X.
Un drap bleu de Roy mis en
verd avec la fleur de Vi rgaaurea
Canadienfis , devient d’un très-
beau verd? pourvû quon boüilliji
Chapitre XXII. 461
l’étoffe dans un boüillon où Ion
ait fait entrer l’alun dans la pro-
portion de trois parties pefées
contre une de tartre blanc : ce
verd réfifte au moins autant que
celui qui eft fait avec la gaude.
T’ai auJfi verdi des bleus avec
F écorce de frêne puivérifée , ils
font de très-bon teint, mais ils
ne font pas beaux , & ne peuvent
fervir qu’à certaines couleurs de
livrée étrangère. Les feüilles
d’amandier, de pêcher, de poi-
rier , &r. donnant auffî des jau-
nes, peuvent fervir à faire des
nuances de verd, qu’on auroit
bien de la peine à faifir du pre-
mier coup , Cn fe fervant des in-
grédiens jufqu’ici employés pour
teindre en jaune.
Une étoffe teinte en bleu de
Roy , bien dégorgée , puis boüil-
lie avec quatre parties d’alun 6c
une partie de tartre , prend un
V iij
4&z L'Art de la Teinture.
beau verd brun de la nuance de
1 aileron des canards , fi on le met
bouillir pendant deux bonnes
heures dans un bain où Ion aura
mis fuififante quantité de racine
de Lapaîum folio acuto,oxx patience
fauvage,pulvérifée groffiérement.
Cette racine e(ï encore une
bonne acquifition pour l’art de :
la teinture; car, par elle -me- ,
me , de fans autre addition que
la préparation de 1 étoffé par le
boiiillon , elle donne une infinité
de nuances , depuis le jaune pail- j
leux , jufqu’à un allés bel olivâtre ; - ,
il ne s’agit que d’en mettre plus
ou moins dans le bain, de de
faire bouillir depuis une demie
heure jufqu’à trois heures. Tou-
tes ces nuances réfiftent à tous les
déboüillis. Je confeille très-fort
de la multiplier par la culture
dans des lieux humides , de de la
mettre en ufage dans la teinture ,
Chapitre XXII. 463
comme elle l’eft déjà dans la
médecine , principalement pour
les pauvres.
Le verd céladon , couleur par-
ticulière, &: du goût des peuples
du Levant, fe peut faire à la ri-
gueur en bon teint, c’eft-à-dire,
en donnant à l’étoffe un pied de
bleu. Mais cette nuance de bleu
doit être fî foible, que ce îfeft,
{ >our ainfi dire , qu’un bleu blanc ,
equel efl: très - difficile à faire
égal & uni. Quand on a été affés
heureux pour faifïr cette nuance,
on lui donne mieux la teinte de
jaune, qui lui convient, avec la
virga aurea dont je viens de par-
ler , qu’avec lagaude. Mais cette
virga aurea n’eft pas encore con-
nue des Teinturiers du Langue-
doc , qui font ceux qui font le
plus de ces fortes de couleurs \
& de plus, la nuance du bleuné-
ceffaire , étant très -difficile à
V iiij
4^4 L'Art de la Teinture,
faire , on leur permet quel-
quefois de teindre les Céladons
avec le verd de gris , quoiqu’a-
lors cette couleur foit de la dalle
du petit teint. Les Hollandois
font très-bien cette couleur, &
la rendent plus folide qu'elle ne
l’eft communément avec le verd
de gris. Voici leur maniéré d’o-
pérer.
Il faut avoir deux Chaudières
montées à peu de diftance l’une
de l’autre. Dans la première on
met , pour deux draps de qua-
rante-cinq à cinquante aunes de
long, huit ou dix livres de favon
blanc haché , qu’on y fait fondre
bien exactement. Quand le bain
eft prêt à bouillir , on y plonge
les draps, & on les y faitboüillir
pendant une bonne demie heure.
On prépare un autre bain dans
la Chaudière d’à côté , &: quand
il eft allés chaud pour n’y pou-
ChafitPvE XXII. 46Y
voir plus tenir la main, on y
plonge un fac de toile blanche ,
dans lequel on a fait entrer au-
paravant huit à dix livres de vi-
triol de Chypre ou vitriol bleu,
& dix à douze livres de chaux ,
1 un & l’autre pulvérifés & bien
mêlés enfemble j car il faut que
ce mélange foitle plus exact qu’il
eft pofïible. On promène ce fac
dans cette eau chaude , mais non
boiiillante , jufqu’à ce que tout le
vitriol bleu foit fondu dans le
bain. Alors on place, fur les deux
fourchettes , un tour de bois fait
à l’ordinaire , mais qu’on a eu
foin d’envelopper d’un linge
blanc de leflive , qu’on y affujéti t ,
bien fermé & bien bandé par une
couture. On place un des bouts
des deux draos fur ce tour , &
l’on fait aller la manivelle fort
vite , afin que les draps paffent
\ promptement de la Chaudière
y v
4 66 L’Art de la Teinture.
au favon dans la Chaudière au
vitriol; puis Ton tourne le tour
plus lentement , pour donner le
temps au drap de fe charger des
part-es de cuivre que la chaux a.
obligé de fe répandre dans le
bain 5 en les féparant & les préci-
pitant du vitriol bleu qui les con-
tenoit. On lailfe les draps dan&
ce bain , qui ne doit jamais boüil-
lir , jufqu à ce qu ils- ayent pris la
nuance du Céladon que l’oncher-
che. Alors on les retire en les
■
dévuidant en l’air pardeflus le
tour v &:les éventant par leslifie-
res. On les laide refroidir entiè-
rement fur le chevalet avant que ; j
de les laver à la riviere. Il ne faut |
pas qu’ils touchent à aucun bois , f (
jufqu a ce qu’ils ayent été lavés, j
parccqu’ils fe tacheroient. C’eft %
pour cette raifon qu’on enve- r
loppe de toile le tour, & qu’il t
faut mettre une nappe fur le che- i
Chapitre XXIII. 4 67
valet avant que d y placer le drap
plis à plis.
CHAPITRE XXIIL
Du mélange du Bleu dr du Fauve ,
O N fait très-peu d’ufage des
nuances qui pourroient ré-
fulter du mélange du bleu &r du
fauve. Ce font clés Gris verdâtre s,
ou des ejpéces d'olives , qui ne peu-
vent guères convenir que pour
afïortir des nuances dans la fabri-
que des tapifferies. Quand on a
befoin de ces fortes de couleurs ,
il n’y a aucune difficulté a ies
faire, & il eft abfolument indif-
férent de commencer à donner
à la laine filée la couleur bleue,
ou la couleur fauve : fi ce n eft
que dans le dernier cas , il faut
avoir foin de bien dégorger la
laine , comme on le doit toujours
Vvj
468 L’Art de la Teinture.
faire pour le bleu , ôc pour les
couleurs compofées que Toa
achève en les pafTant fur la Cu-
ve. Lorfqu’on aura de ces cou-
leurs à faire , on fe fervira indif-
féremment de toutes les matiè-
res qui teignent en fauve ; ôc la
feule chofe qui doit déterminer ,
c’eft que les unes donneront plus
facilement que les autres la nuan-
ce dont on aura befoin.
CHAPITRE XXIY.
Du mélange du Bleu & du Nom
I L ne fe tire aucune nuance
particulière de' ce mélange,
c’eft-à-dîre , de celui du bleuavec
le gris y car cela ne ferait que bru-
nir le bleu. En ce cas, il fera
beaucoup plus beau & meilleur,
en l’amenant fur la Cuve même,
à la hauteur où il doit être. On
Chapitre XXIV. 4
peut néanmoins , par le mélange
du bleu & des gris, qui font des
nuances du noir, comme je l’ai
dit dans le Chapitre XX. faire le
gris de more . Le bleu alors ne doit
pas être bien foncé *, & il fe tra-
vaille enfuite de même que le
noir, fi ce n’eft, que , comme la
couleur ne doit pas être aufiî
brune , on met moins de coupe-
rofe : mais je le répété \ cette
couleur ne doit palfer que pour
une nuance du noir. Ainfi il
fera toujours vrai de dire qu’il
ne fe tire aucune nuance du bleu
& du noir employés feuls \ & très-
peu, du bleu & du fauve.
47° L’Art de ia Teinture.
*3S**3S*-»25*---»Ss<->aS*»3S*»2S*
CHAPITRE XXV.
Des mélanges du Rouge & du Jaune.
O N tire, de l’écarlatte de grai-
ne ou de Kermès & du jaune,
r Aurore , le couleur de Soucy , l’0~
range. On peut, pour cet effet,
après avoir fait boüillir la laine
avec l’alun de le tartre , la teindre *
d’abord en l’une de ces couleurs,
de la paffer enfuite dans la fécon-
de , ou mettre dans le même bain
le Kermès avec la gaude , la far-
rerte , dec. de la teindre ainfi en-
une feule fois. Mais il eft plus fa-
cile d’atteindre àl’exaditude des
nuances , en la teignant en deux
fois, pareequ’on peut paffer la
laine ou l’étoffe alternativement
fur l’un de l’autre bain, jufqu’àce
quelle foit précifément de la
couleur que f on fouhaite.
Chapitre XXV. 471
On tire de l’écarlatte ordinai-
re ou des Gobelins, & du jaune
les couleurs de l an gonfle &: def leurs
de grenade : mais elles ne font
pas d'une grande folidité. Voici
de quelle maniéré elles fe font.
On commence F écarlatte préci-
fément de la maniéré que je Fai
enfeignée y c’eft-à-dire , qu'on la
fait boüillir avec de la crème de
tartre , la cochenille & la com-
pofition y on la lève enfuite , oa
l’évente, & l’on va la laver à la
rivière. Pour l’achever, on pré-
pare un nouveau bain, comme
pour achever Fécarlatte ; mais on
y met moins de cochenille. On
lui fubftitue un peu de bois jaune
moulu. Je ne puis preferire air
jufte la quantité qu’il faut de co-
chenille & de bois jaune , parce-
que cela dépend de la couleur
que l’on veut donner à l'étoffe*
Plus on voudra quelle tire fui
L’ârt DE £A Téiktürê.
l’orangé, & plus on mettra de
bois jaune , en diminuant la quan-
tité de la cochenille.
J’ai eflayé de faire cette cou-
leur de trois façons , &: j’y ai réuftl
de toutes les trois. La première eft ]
celle que je viens de décrire. La
fécondé eft de mettre le fu/let à ,
la place du bois jaune, & cela
épargne confidérablement de co- (
chenille , parceque la nuance du j
fufiet eft beaucoup plus orangée
que celle du bois jaune j mais cet
ingrédient lia aucune foüdité,
& ne devroit être employé que
dans le petit teint j ainfi , fi on le
tolère dans les teintures des draps ,
de Languedoc, pour faire les ;
couleurs de Imgoufte qui plàifent
dans le Levant, c eft que le bois i
jaune ne donne jamais cette cou-
leur fi belle que 1 zfuftet , &: qu’il
faut fe prêter un peu pour la fa-
cilité des afTortimens.
Chapitre XXV. 473
La troifiéme maniéré eft de
faire le langoujle , la fleur de gre-
nade , &c. avec la feule coche-
nille, en augmentant la quantité
de la compofition, ce qui rancit
la cochenille &c la fait oranger
autant qu’on le fouhaite ; mais
cette méthode a encore de très-
grands inconvéniens. i°. La
couleur en devient très- chère ,
parcequ’il y faut plus de coche-
nille que dans l’écarlatte or-
dinaire , attendu que la grande
quantité de compofition , qui eft
acide , lui fait perdre une partie
de fou fond. z°. Par la même
jaifon , la couleur paroît prefque
toujours affamée, c’eft-à-dire,
qu’il femble quon y ait épargné
la cochenille , la compofition en
ayant diffoutune partie. 3 0 . Cet-
te grande quantité de compofî-
tion durcit la laine , &: même elle
la rend beaucoup plus facile à
474 L’Art de la Teinture.
tacher par la boue & par les li-
queurs âcres : par conféquent ,
cette maniéré eft peut-être la
moins bonne de toutes. J’ai dit
que l’inconvénient de la fécondé
étoit d’employer le fujlet qui eft
un bois défendu dans le bon
teint > par conféquent , la premiè-
re devroit mériter la préférence,
fi elle donnoit le langoufte aufïi
vif que la fécondé. Mais cette
couleur faite par le bois jaune n a
pas même toute la folidité qu’on
pourroit defirer, ainfi que je l’ai
éprouvé , en lexpofant au foleil î
cela parort d’abord extraordi-
naire, puifque l’on n’y employé,
que des ingrédiens qui ont toute
la folidité poflible. Mais voici ce
qui fait qu’ils font moins bons
dans le cas préfent.
La cochenille, employée avec
la compofition d’écarlatte la
crème de tartre, eft très-folide>
I#
h
h
ICC
h
i
cc
f)
: iû
?
Chapitre XXV. 475:
auffi dans ces couleurs de Un-
çoujle ne perd-elle rien à l’air.
Mais il n’en eft pas de même du
bois jaune , quoiqu’il foit très-fo-
lide , fur la laine boüillie en alun
& tartre, fur-tout quand on a
ajoûté un peu d’alun au bain de
fa teinture, il ne l’efl: pas à beau-
coup près de même , lorfque la
laine ou 1 étoffé a reçu le boüillon
d’écarlatte , dans lequel on ne
fçauroit faire entrer d’alun : par
conféquent , lorfqu’on expofe ces
fortes de couleurs à l’air, elles
rofent en très -peu de temps,
c’eft- à-dire , quelles perdent une
partie de leur couleur orangée,,
produit du mélange du jaune
avec le rouge } & en cela , l’effet
de l’air fur cette couleur, quoi-
qu’il paroiffe différent de celui
qu’il fait fur toutes les autres , en
ce qu’ordinairement il les pâlit,
au lieu que celle-ci fonce ôc bru-
4 76 L’Art de la Teinture.
nifle , parcequ il lui fait perdre
üne partie de fon éclat orangé,
eft pourtant le même fur celle-
ci comme fur les autres. Car
il eft démontré par plufieurs ex-
périences chymiques , qu’il y a
dans l’air un acide vitriolique
femblable à celui qu’on peut re-
tirer de l’alun en le décompo-
fant. Or, fi l’on palïbitune étoffe
teinte en couleur de langoufte
dans une diffolution légère d’a-
lun, l’acide de ce fel la roferoit
fur le champ, 8c le rouge de la
cochenille eclipferoit la teinte
orangée ; la même chofe doit
donc arriver quand on expofe
une telle couleur à l’air , puifque'
F air eft empreint du même aci-
de.
On tire très-peu de nuances
du cramoifi 8c du jaune , à caufe
du prix de la première de ces
deux couleurs , 8c parcequ’on
Chapitre XXVI. 477
a à peu près les mêmes nuances >
en employant la Garence ou le
Kermès. On en peut auffi tirer
du jaune & de la demie écarlatte
de graine , ainfi que du jaune &:
du demi cramoifi. C’eft avec ces *
différens mélanges que Ton fait
toutes les couleurs de fotuy , oran-
ge y jaunes d'or & autres nuances
iemblables, quon voit affés de-
voir être produites par le mélan-
ge du jaune & du rouge.
CHAPITRE XXVI.
Du mélange du Rouge & du Fauve .
O N ne fe fert guères, pour
les couleurs qui réfiritent
de ce mélange, des rouges de
Kermès ou de cochenille , parce-
que la garence fait un tout auflï
bel effet dans ces fortes de cou-
leurs, qui ne peuvent devenir
478 L’Art de la Teinture.
éclatantes , à caufe du fauve qui
les ternit. Seulement, après les
avoir garencées , on les pafTe fur
de vieux bains de cochenille ou
de Kermès. Mais il arrive rare*
ment que l’on prépare exprès un
bain de ces ingrédiens, parce-
qu’ ils font trop chers pour les
employer dans des couleurs fi
communes , quon peut faire aulfi
facilement avec la garence. Si |
donc , après avoir boüiili une 1
étoffe avec une quantité d’alun l
& de tartre , proportionnée à la
nuance de rouge de garence
quon lui veut donner , on la paffe c
dans le bain de cette racine,
comme il a été enfeigné dans le
Chapitre XVII. &: qu’enfui te on
la plonge & remue dans un autre
bain de racine de noyer , ou de
brou de noix , on fera toutes les
couleurs de canelle , de tabac , de
châtaigne 9 nwfc , poil d’ ours } &
Chapitre XXVI. 479
autres femblables , qui , pour ainli
dire , font fans nombre , & qui fe
font fans aucune difficulté, en
variant le pied ou fond de garen-
ce, depuis le pins brun juiqu’au
plus clair , & les tenant plus ou
moins long-temps fur le bain de
racine. On peut commencer par
celle des deux couleurs que Ton
veut* mais pour l’ordinaire c’eft
par le rouge , parceque le bouil-
lon , abfolument né ce (Taire pour
la garence , ne laiileroit pas que
d’endommager un peu le fauve*
Ainfi , on ne doit jamais les mê-
ler enfemble , comme j’ai dit que
i Ion mêle quelquefois le rouge de
le jaune.
480 L’Art de la Teinture.
■g:######## iÿiÿjÿjÿ.####
N \
CHAPITRE XXVII.
Du mélange du Rouge dr du Noir »
C E mélange ferc à faire tous
les rouges bruns , de quel-
que efpéce quils foient } mais ils
ne font ordinairement d’ufage
que pour les laines deftinées à la
fabrique des tapifferies. Il faut
fe fouvenir de ce que j’ai dit à
l’occafion des gris , lefquels peu-
vent fe faire, ou à un feul bain, (
en mettant dans la Chaudière la
décodion de noix de galle ,& la t
diffolution de couperofe verte,
ou à deux bains , en paflant d’a-
bord la laine fur un bain de galle, |,
& y mettant enfui te la coupero- :
fe; mais cette méthode elt un
peu embarralfante , lorfqu’il faut
brunir des couleurs qu’il eft né- {
ceflaire de bien alfortir à des j
échantillons.
Chapitre XXVII. 481
échantillons. Ainfî le plus com-
mode, eft de préparer un bain
de Galles & de Couperofe , com-
me je l’ai enfeigné dans l'article
des gris , 6c d’y palfer les laines ,
après quelles ont été teintes en
rouge avec quelque ingrédient
que ce foit, jufqu’à ce quelles
foient brunies autant qu’il eft né-
ceftaire. On fera, par cette mé-
thode , les Ecurluttes brunes , les
Crumoifis bruns y 6c tous les autres
rouges brunis , de quelque nuan-
ce qu’ils foient.
On tire aufti de ce mélange
tous les gris vineux > en donnant
d’abord à la laine une légère
teinte de rouge , avec le Kermès ,
la Cochenille , ou la Carence , 6c
la p allant enfui te fur la Bruniture ,
plus ou moins long-temps , félon
qu’on veut que le vineux domine
dans le gris. Je ne puis donner
fur ce travail d’inftrudion plus
X
4?2, L’Art de la Teinture.
étendue , puifqu’il dépend de la
couleur que Ton veut taire \ & il
n’eft pas à loupçonner que per-
fonne y trouve la moindre diffi-
culté.
lis & Js tir tk ifcr vtr f Tir tir lis i!h XÎs xts Xîfi
CHAPITRE XXVIII.
Du mélange du Jaune dr du Fauve.
O N forme de ce mélange les
nuances de Feuille morte &
de Poil d’ours. Il eft allés d’ufage
d’employer la fuye dans ces cou-
leurs > au lieu du brou de noix
ou de la racine de noyer , parce- !
quelles en font effectivement un
peu plus belles ; mais il faut avoir ;
attention de bien faire dégorger
la laine ou l'étoffe apres qu’elle f
eft teinte , pour emporter la :
mauvaife odeur quelle a contra- r
£tée dans ce bain. Il faut auflî
réemployer à cette teinture que
CHAPftRE XXVIII. 483
le bain de la fuye ciré à clair,
ainfi que je l’ai enfeigné ci-de-
vant. Je confeillerois néanmoins
de préférer toujours le brou de
noix à la fuye , à moins qu’on ne
fût obligé d’alfortir une nuance de
feiidle morte dans la derniere exa-
ctitude , 6c qu’on ne pût y par-
venir avec le brou ou avec la ra-
cine de noyer. Ce font les deux
feuls fauves dont on fe fert dans
ces nuances ; le fumach 6c l’écor-
ce. d’aulne ne donnant pas ailes
de fond. On fera boüillir la lai-
ne en alun 6c tartre , pour la
ceindre en jaune , avant que de
la palier en fauve : mais fi l’on
appercevoit que l’on n’a pas
donné d’abord un pied de jaune
fufBfaru , on pourroit la palier de
nouveau dans le bain de jaune ,
quoiqu’elle eût déjà le fauve :
quoique , à dire vrai , cette ma-
niéré de trouver exactement la
Xij
4^4 L’Art de la Teinture.
nuance ne faife pas une couleur
aufli folide, que quand on a eu
d'abord le jaune fufüfant.
CHAPITRE XXIX.
Du mélange âu Jaune & du Noir*
L E mélange de ces deux cou-
leurs n’eft utile que lorf-
fe font même beaucoup mieux
avec le fauve, ôc les Teinturiers
le préfèrent ordinairement , par-
ce qu’il eft plus folide, & quil fe
fait beaucoup plus aifément , &
à meilleur marché. De plus, ils
n’ont pas befoin de faire boüillir
la laine j ce que l’on fait fort bien
d’épargner toutes les fois qu’on
le peut
Chapitre XXX. 48^.
CHAPITRE XXX,
Du mélange du Fauve & du Noir .
O N tire de ce mélange un
très-grand nombre de cou-
leurs, comme les Caffé , Maron ,V ru*
ne au } Mu fc y Epine, &: autres nuan-
ces femblables, dont le nombre eft
prefque infini , &: dun très-grand
ufage. Voici de quelle maniéré
on les travaille. Après que les lai-
nes ou les étoffes ont été paflees
en fauve , de la maniéré que j’ai
décrite , & quon en a fait plu-
fieurs nuances , relatives par
avance , à celles qu’011 a deffein
de faire en les bruniffant j c’eft-
à-dire > en obfervant de don-
ner toujours plus de fond de
fauve à celles qui doivent être
plus brunes , comme aux Cafés ,
Marons } &:c. on met dans une
Xiij
486 L’Art de la Teinture.
Chaudière de la noix de galle ,
du fumach & de l’écorce d’aulne ,
à proportion de la quantité d’é-
toffes qu’on veut teindre ; on fait
boüiliir le tout pendant une heu-
re , après quoi on y ajoute de la
couperofe verte. On paffe en-
fuite fur ce bain les étoffes qui
doivent être les plus claires, com-
me les épines. Lorfqu’elles font
achevées , 011 les lève , & on y
paffe les autres qui doivent être
plus brunes , ayant foin de gar-
nir le bain de couperofe à cha-
que fois, & à mefure que l’on
voit qu’il en a befoin : ce qui fe
reconnoît facilement lorfqu’il ne
brunit pas affés promptement l’é-
toffe. On continuera de la forte ,
&: fur le même bain , jufqu’à ce
que toutes les étoffes foient bru-
nies : on aura attention d’en-
tretenir toujours du feu fous la
Chaudière , mais allés foible poig
Chapitre XXX. 487
quelle ne bouille pas : il fuffit
qu'elle foit plus que tiède , c’ell-
à-dire , quon puiffe y tenir la
main. Quand on a fait boiiillir
la première fois la galle & les au-
tres ingrédiens , on abbat le boüil-
lon , en rafraîchiffant le bain avec
de l’eau froide , avant que d’y
mettre l’étoffe. C’eft une précau-
tion abfolument néceffaire , com-
me je l’ai déjà dit plufîeurs fois.
O11 fe reffouviendra auffi qu’il
faut moüiller les étoffes en eau
tiède, avant que de les mettre
dans la Chaudière , en cas que
depuis quelles ont pris le fauve
elles eulfent eu le temps de fe
fécher , & qu’il faut les éventer
lorfqu’elles ont demeuré quelque
temps dans la bmniture , en les
paffant dans les mains par les li-
zieres : fans cela, les étoffes coure-
roientle rifque de contraéter des
taches , des fiambures ; en un
X iiij
488 L’Art de la Teinture.
mot, d’être teintes inégalement,
&: de plus à défaut d’évent , la
bruniture ne feroit pas fuffifam-
mentfolide, parcequ’il ne fe fe-
roit pas une congélation fucçelïi-
ve de la partie faline du vitriol
ou couperofe.
Je viens de parcourir , autant
qu’il étoit néceflaire , toutes les
couleurs ou nuances qui peuvent
êcre produites par le mélange des
couleurs primitives , prifes deux
à deux. Le détail , que j’en ai don-
né , me paroît allés étendu , &
pour peu qu’on veüille fuivre ce
Traité, en opérant dans l’ordre
que j’ai fuivi , il eft très proba-
ble qu’en moins de deux ans un
Ouvrier , tant foit peu intelligent,
aura acquis, avec ce fecours, les
principales connoiffances qui lui
font nécelfaires. Je vais , pour
l’aider encore , lui préfenter l’e-
xamen que j’ai fait des combi-
Chapitre XXXI. 489
naifons de ces mêmes couleurs
primitives , prifes trois à trois. Ce
mélange en fournit un très-grand
nombre. Il eft vrai qu il s’en trou-
vera de femblables à celles qui
réfultent du mélange de deux
feulement } car il y a peu de cou-
leurs qui ne puiffent être faites
de diverfes façons j &: alors c’eft
au Teinturier à choifir celle qui
lui paroît la plus facile , lorfque
la couleur en eft également belle.
CHAPITRE XXXI.
Des principaux mélanges des couleurs
primitives , prifes trois a trois .
D U bleu , du rouge & du
jaune fe font les Olives roux >
les Gris verdâtres y &: quelques
autres nuances femblables de peu
d’ufage , fi ce n’eft pour les lai-
nes filées, deftinées aux T apilfe-
Xv
490 L’Art de la Teinture.
ries. Je ne répéterai plus ce que
j’ai dit de la maniéré d’employer
ces couleurs , pareeque je l’ai fuf-
fifamment expliquée dans les ar-
ticles précédens ; ce feroit re-
dire précifément les mêmes cho-
fes.
Dans les mélanges, où entre
le bleu , c’eft ordinairement par
cette couleur qu’on commence.
On fait enfuite boüillir l’étoffe
pour lui faire prendre les autres
couleurs , dans lefquelles on la
paffe l’une après l’autre. On les
mêle néanmoins quelquefois en-
femble , & elles n’en font pas
moins bonnes , lorfque ce font
des couleurs qui demandent le
même bouillon; comme, par e-
xemple , le rouge de Garence &
le jaune. A l’égard de la Coche-
nille ou du Kermès , on ne rem-
ployé point ordinairement dans
ces couleurs communes $ mais
Chapitre XXXI. 491
feulement dans les couleurs clai-
res qui ont un œil vineux , de qui
doivent être vives de brillantes y
de alors elles ne fervent qu’au
dernier bain j c’eft-à-dire , qu’on
n’y paffe l’étoffe que lorfqu’elle
a reçu les autres couleurs , à moins
qu’on n’ait befoin de les faire
grifer un peu; ce qui fe fait, en
la paffant en dernier lieu dans la
bruniture. Il eft encore impoili-
ble de donner aucunes régies
précifes fur ce travail , & la moin^
dre expérience manuelle en ap-
prend plus qu’on ne pourroit faire
par un grand détail d’opérations.
Du bleu , du rouge du fau-
ve , fe tirent les Olives , depuis les
plus bruns jufqu’aux plus clairs ;
en ne donnant qu’une très-
petite nuance de rouge , les Gris
ardoifes , les Gris lavandes , de autres
femblables.
Du bleu , du rouge de du noir ?
X vj
492. L’Art de la Teinture.
fe tirent une infinité de Gris de
toutes nuances , comme Gris de à
fauge > Gris de ramier, Gris d 1 ar dot fe, -
Gris plombé \ les couleurs de Rot de de
T rince, plus brunes qu’àf ordinaire^ &
&: une infinité d’autres couleurs , i
dont on ne peut faire l’énuméra- f
tion, de dont plufieurs nuances
retombent dans celles qui fe font i
par d’autres combinaifons. p
Du Weu, du jaune &: du fau- i
ve v fe tirent les Verds , Merde f
d'cye de Olives de toute efpéce.
Du bleu , du jaune de du noir 5 i:
on fait tous les Verds bruns , juf-
qu’au noir. c
Du bleu 5 du fauve de du noir ,, c
les Olives bruns de les Gris verddr (
très . \
Du rouge du jaune &: du faur \
ve , fe tirent les Orangés , couleur
d’Or , Soucy , Feuille- morte , Carna - :
tions de vieillards , Canelles brûlés
de Tabacs de toutes efpéces.
Chapttre XXXI. 49^
Du rouge r du jaune & du noir 5
à peu près les mêmes nuances 3
&: le Feiulle-morte foncé.
Et enfin, du jaune, du fauve
&: du noir , les couleurs de Poil
de bœuf , de Noifette brune &C quel-
ques autres femblables-
Je ne donne cette énuméra-
tion, que comme une Table qui
peut faire voir , en gros feule-
ment, de quels ingrédiens on doit
fe fervir pour faire ces fortes de
couleurs , qui participent de plu-
fieurs autres.
On peut aufli mêler quatre de
ces couleurs enfemble , &: quel-
quefois cinq, ce qui eft cepen-
dant très-rare. Mais tout détail
à ce fujet me paroît inutile, par-
•ceque tout le poffible eft fouvent
fuperflu.. Je vais feulement rap-
porter de quelle maniéré j’ai va
faire une quarantaine de nuances
différentes de carnations en lainç
494 L’Art de la Teinture.
filée. Cet exemple enfeignera ce
qui doit fe pratiquer dans tous
les autres cas. Il n y avoit dans
ces nuances aucunes de ces cou-
leurs vives qui font des nuances
de f écarlatte , & qui fe font , com-
me je l’ai enfeigné dans le Cha-
pitre qui traite de cette couleur.
Toutes ces carnations étoient de
Vieillards , ou pour des Ombres j
enforte qu’on fut obligé de les
tirer toutes du mélange du rou-
ge de Kermès , du jaune , du fau-
ve & du noir.
On donna d’abord à ces laines
un boüillon inégalement fort, ré-
fervant , pour les nuances claires ,
celles dont le boüillon étoit le
plus foible. Lorfqu’elles eurent
demeuré fur le boüillon quatre'*
ou cinq jours à l’ordinaire , on
commença par teindre les nuan-
ces les plus claires. On avoit dif-
pofé toutes ces couleurs féparé-
Chapitre XXXI. 495
ment dans quatre vaifleaux , que
l’on avoit foin d’entretenir auffi
chauds qu’il falloit fans boüillir :
on paffa d’abord un échevau de
laine , un moment, fur le bain de
Kermès y l’ayant retiré & expri-
mé , on le p alfa fur un bain de
gaude , & un moment après, fur
celui de fauve } il vint de la cou-
leur que le Teinturier deiïroit.
Il en paffa un autre enfuite , qui
demeura un peu plus long-temps
dans chaque bain. Il continua de
la forte, 6c lorfqu’il y en avoit quel-
qu’un , qui après l’avoir forte-
ment exprimé , paroifloit man-
quer un peu de rougeur, ou de
quelque autre couleur , il le paf-
foit fur le bain dont il paroifloit
avoir befoin. Par cette méthode ,
il amena toutes fes couleurs à la
nuance où elles dévoient être. Il
palfa fur la bruni ture celles qu’il
étoit néceflaire de rendre plus>
496 L’Art de la Teinture.
foncées. Je fus bien confirmé ,
par cette maniéré de travailler,
qu’il ne falloit que de la patien-
ce , & un peu d’habitude , pour
faire de cette forte toutes les cou-
leurs imaginables.
On ne fçauroit trop recom- e:
mander , dans cette efpéce de
travail , de commencer toujours
par les nuances les plus claires,
parcequ’il arrive fouvent qu’on
les laifle plus long-temps qu’il ne :
faut dans quelqu’un de ce s bains , i ;
& alors on eft obligé de deftiner
cet échevau à une nuance plus
brune. Mais , lorfque les nuances
claires font une fois aflorties &
bien dégradées , il n’y a plus de
difficulté à faire les autres.
Ce que je viens de rapporter
ne regarde que les laines defti-
nées aux Tapifteries , dont il eft
néceilaire que les nuances foient
exécutées avec la derniere pré^
Chapitre XXXI. 497
cifion , fans quoi il feroit impof-
lible d’imiter les couleurs des
chairs que le Peintre a noyées
dans le Tableau qu’on s’eft pro-
pofé de copier dans les hautes
ou balles lifTes. A l’égard des
étoffes, il n’arrive prdque jamais
qu’011 en falfe de cette fuite de
nuances , ni qu’on mêle tant de
couleurs enlêmble } prefque tou-
jours deux ou trois fuffifent , puif-
qu’on a vu qu’il nailfort tant de
couleurs de leur combinaifon
qu’on ne peut pas trouver alfés
de diiférens noms pour les déli-
gner.
Je ne crois pas avoir rien ob-
mis de tout ce qui regarde la
teinture des laines, ou étoffes de
Laine en grand & bon teint , je
ne doute pas., qu’en fuivant exa-
ftement tout ce que j’ai prefcrit
fur chaque couleur, on ne par-
vienne facilement à exécuter *
45)8 L’Art de xa Teinture.
dans la derniere perfe&ion tou*
tes les couleurs & toutes les nuan-
ces imaginables , tant fur les lai-
nes en toifon , les laines filées ,
que fur les étoffes fabriquées en
blanc.
Je crois néanmoins devoir en-
core ajouter quelque chofe par
rapport aux étoffes de mélange ,
c’eft-à-dire, dont la laine eft tein-
te avant la fabrication de rétof-
fe , & d’enfeigner la façon dont
fe doit faire le mélange des lai-
nes teintes en différentes cou-
leurs , pour être enfuite cardées
8c filées enfemble , de former une
couleur réfultante de celles des
différentes laines dont on s’eft
fervi.
On pourroit dire que cet Ar-
ticle regarde plutôt la fabrique
des étoffes que leur teinture y
mais je répondrai à cela qu'on
fait quelquefois , par le mélange
Chapitre XXXI. 4^5
des laines de différentes nuan-
ces, des couleurs quil ne feroit
pas facile d’imiter , en teignant
l’étoffe d’une couleur compofée
de toutes ces différentes nuan-
ces , & qu’il y auroit meme dans
quelques-unes de ces couleurs des
ingrédiens qui demandent une
préparation différente } au lien
que teignant chaque partie de
laine féparément , le mélange
s’en fait fans inconvénient. Quoi-
qu’il en foit, je ne crois pas que
ce détail foit inutile : aiiifï je vais
donner la maniéré de mêler en-
femblc les laines de différentes
couleurs pour la fabrique des étof-
fes de mélange , de celle de faire
les feutres ^ pour effayer en petit
( ce qui eft toujours néceffaire )
les combinaifons qui doivent fai-
re l’effet le plus agréable.
500 L’Art de la Teinture»
4 tï>r îJÿ
*c49^&
CHAPITRE XXXII,
De la maniéré dont fe fondent en*
femble les laines de différentes
couleurs , four les Drap ou Etof-
fes de mélange.
I L fuffira de donner un feul
exemple de eette maniéré de
mêler ensemble, le plus exacte-
ment qu’il eft poffible , plufieurs
laines de différentes couleurs , &c
il fera facile d’en faire l’applica-
tion à tous les cas dont on pour-
roit avoir befoin. Je fuppofe qu’on
veliille faire un drap mélangé ,
de couleur de cafte. Voici de
quelle manière on s’y prend dans
les Fabriques de Languedoc. On
pratique à peu près la même cho-
ie dans les autres Manufactures.»
On teint d’abord en couleur de
Caffé 350 livres de laines , qu’on
St
ii
i
St
k
ii
ci
II
k
ti
1
:
\
Chapitre XXXIL 501
nomme la laine de fond c’eft-à-
<dire , celle qui doit dominer dans
ietoffe. On prend enfuite cinq
livres de laine teinte en rouge de
Carence ou de Kermès , & deux
livres teintes en bleu de Roi . On
nomme celles-ci laines de mélange.
On diftribuë ces laines à plu-
fieurs femmes , que Ton difpofe
encercle, dans un grand grenier.
Le Facteur , ou celui qui a foin
du mélange , eft placé , avec un
bâton , au milieu de ce cercle ,
& les femmes font à fix pieds de
lui. On en prend ordinairement
huit ou dix pour ce travail , &
en leur diftribuë toute la laine.
Il y en aura , par exemple , dans
le cas préfent , fix deftinées à por-
ter la laine de fond ou couleur de
caffé j & deux autres porteront.
Tune la bleue & l’autre la rouge :
mais 011 les arrangera de forte en-
tr’eües , qu’il y en ait trois de fui-.
5oi L’Art de la Teinture.
te qui portent la laine caffé , en- r
fuite celle qui porte le rouge, ç
puis trois de caffé > & enfin celle :
qui porte le bleu. Lorfqu’il yak
un plus grand nombre de cou- k
leurs , on les diftribuë pareille- tu
ment j ayant toujours foin de les b
entrecouper le plus qu’il eft pof- f
fible , les unes par les autres. C
Lorfque ces femmes font ain-
fi dilpofées, elles marchent à pas i
lents autour du Fadeur , en ob- fo
fervant toujours entr’elles une é- inf
gale diftance y & à chaque pas i
qu’elles font , elles jettent aux oi
pieds du Fadeur un petit flocon ii
de la laine quelles tiennent > avec a
cette différence que celles quii \
portent le rouge ou le bleu > n’en i'
ayant qu’une très-petite quantité c
à diftribuer , n’en. jettent que très»- t
peu à la fois , au lieu que les au- ii
très doivent en jetter beaucoup
davantage. Le Fadeur remue c
Chapitre XXXII. 50)
avec fon bâton la laine , pendant
que les femmes la jettent \ & pour
que le mélange foit bien fait , il
faut qu’elles ayent toutes diftri-
bué dans le même temps , la lai-
ne dont elles étoient chargées.
Le Fadeur la remué encore un
peu , & on la donne enfuite aux
Cardeurs.
Les cardes achèvent de fon*
dre parfaitement ce mélange , en-
forte qu'on ne démêle plus aucu-
ne couleur en particulier, &: qu il
n’en réfulte plus qu’une totale :
on la file enfuite , on fabrique le
; drap & on le porte au foulon. O11
conçoit aifément de quelle im-
portance il eft que ce mélange
1 foit exadement fait ; car fi les
couleurs étoient inégalement dis-
tribuées , le drap paroîtroit plein
de taches.
Comme dans la compofition de
ces mélangés , il n’eft pas poiiiblc
504 L’Art de la Teinture.
de juger exadement de l’effet *
que peut produire la combinai-*
fon de toutes ces couleurs en dif- :
férentes proportions , je vais don- j
ner le moyen d’en faire les épreu-
ves en petit j 3c lorfqu’on eft con-
tent d’une couleur formée de la
forte , par un mélange d’autres
couleurs en proportion connue , :
on l’exécute en grand > & l’on eft "
fur que la couleur de l’étoffe fera
pareille à celle de l’échantillon, je
^ Ail ^
CHAPITRE XXXIII.
De la manière de préparer les
Feutres d'ejjai .
C Ette petite manœuvre eft
très-fimple & fort utile , puif-
qu’on peut voir en un quart-
d’heure ce que doit devenir une
étoffe de mélange après qu'elle
aura été fabriquée , 3c même en-
tièrement
Chapitre XXXIII. 505
tiérement apprêtée. On prend,
pour cet effet , des laines de dif-
ferentes couleurs , 2c après avoir
pele exactement chacune en par-
ticulier , on en fait le mélange
[. avec les doigts dans la proportion
que l’on juge à propos , mais le
tout dans une très-petite quanti-
té, enforte que le mélange étant
ji fait, il y en ait à peu près-gros com-
me le poing. On humede alors
; cette laine d’un peu d’huile , 2 c
on la carde à plufieurs reprifes
avec de petites cardes , jufqu a ce
que l’on voye que toutes les cou-
leurs font fondues enfemble 2c
parfaitement bien mêlées. On
prend enfuite cette laine , qui eft
très-ouverte 2c de la forme quar-
rée de la carde ; on la plie en qua-
tre ,2c on la preffe légèrement en-
tre les mains. On la plonge dans
une eau de favon fort chargée 2c
froide , 2c la remettant entre les
Y
fo 6 L’Art de la Teinture.
mains , on la preife fortement a
plufieurs rcprifes , frappant quel-
quefois d’une main fur l’autre. On
frote enfuite lus deux mains lé-
gèrement, bc en tournant l’une
dans l’autre , ce qui affermit la
laine en la refîerrant de tous fens ,
& lui faifant occuper moins de
volume. On la trempe de nou-
veau dans’ de l’eau de favon, & 1
l’on continue de la fouler , jufqu’à
ce qu’elle ait acquis de la con-
fidence , & qu’elle foit devenue |
femblable au feutre , bc à peu près £
de la même confidence que le drap
ordinaire. Ce Feutre eft ,pour lors,
une vraie image de ce que fera le :
drap après la fabrication : car I e '
quand il a été bien foule , que la j n
laine a été étendue bien également l ‘
dans la main en forçant de la car-
de , bc qu’il a été fait avec foin , il r
fe trouve aufifi égal &auffi uni que
le drap le peut être. Pour lâche- *
Chapitre XXXIII. 507
ver même auffi parfaitement que
le drap , après qu’il a été bien la-
vé , pour emporter tout le fa von ,
on le fait fécher, & l’ayant mis
entre deux papiers , on le prelfe
avec un fer un peu chaud. Il ac-
quiert , par ce moyen , un luftre
& un caty qui le fait relfembler
parfaitement à un drap qui a re-
çu fes derniers apprêts.
Lorfqu’on eft content de la cou-
leur du Feutre , on fait le mélan-
ge du drap en grand, en fuivant
exactement les mêmes propor-
tions , & F on eft aftiiré qu’il fera
femblable au Feutre : car non-feu-
lement les laines de différentes
couleurs font aufïi exa&ement
mêlées & rapprochées les unes
des autres dans le Feutre que dans
le drap j mais le favon , dont on
s’eft fervi pour le fouler, a fait fur
lui le même effet que ce qui doit
arriver au drap dans le moulin à
Y ij
yo8 I/àrt de la Teinture.
foulon: car il y a plufieurs cou-
leurs, & fur tout celles qui ont
été brunies, c’cft-à-dire, dans la
compofition defquelles il entre
des nuances du noir &: du gris,
qui perdent au foulon une partie
de leur bruniture 3 enforte qu’il
faut toujours les teindre d'une
•couleur plus foncée que celle
dont on veut qu’elles demeurent.
Ce défaut de folidité dans la bru-
niture n’empêche pas quelle ne
mais elle fe tache facilement par
les liqueurs acres , ainfi que je l’ai
déjà dit.
Les couleurs qui font brunies
fur la cuve de Paftel ou d’indigo ,
ne font pas dans le même cas ,
elles ne perdent prefque rien au
foulon : ainfi on ne les fait guéres
plus brunes qu’elles ne doivent
être. Le Feutre fait le même ef-
fet^ & l’on peut être affiné que
réfifte très-bien à l’aétion de fair;.
Chapitre XXXIII. 509
fétoffe 11e perdra en grand au
foulon , que ce que perd le Feu-
tre avec le fa von. Par conféqueht
cette opération préliminaire du
Feutre doit être regardée com-
me un guide afîiiré pour le choix
&: l’affortiment des laines qui doi-
vent entrer dans la compolinoia
des draps de mélange.
Les Feutres le font encore
mieux avec le ffivon noir qu’avec
le favon blanc ; mais il leur donne
une odeur défagréable , qu’on a
bien de la peine à leur ôter en les
lavant 5 à plufieurs reprifes , dans
différentes eaux.
O11 peut teindre auffi des Feu-
tres tout faits , en cas qu’on vou-
lût faire des étoffes dans le {quel-
le s une couleur couvrît toutes les
autres \ pour lors , après que l’é-
toffe auroit été mélangée des mê-
mes couleurs que le Feutre , on la
pafferoit dans la même teinture fur
Yiij
510 L'Art de la Teinture.
laquelle on l’a paffée , & par ce
moyen, on la feroit de la même
couleur que ce feutre : mais cela ne
doit fe faire fur l’étoffe qu après
quelle eft revenue du foulon ,
qu’elle a été tondue en Fin , &
qu’il ne refte plus qu’à l’apprêter.
Cette méthode fera employée
utilement , lorfque ce feront des
mélanges , où l’on voudra em-
ployer la cochenille y car elle fe
rofe par trop , & fe gâte au fou- .
Ion. Ainfi , lorfqu’on veut en em-
ployer dans des étoffes de mélan-
ge , il faut en compofer un bain i
frais , dans lequel on paffera le
drap lorfqu’ii n’aura plus d’autres !
apprêts à recevoir, que ceux que i
l’on donne à un drap teint en
blanc , après qu’il eft forti de la }
teinture.
lin du Grand & bon Teint*
D E
LA TEINTURE
DES LAINE S
EN PETIT TEINT..
$*&&&&&&&'& -k'k'k'&'k'k'k-k
CHAPITRE I.
’Ai dit , au commence-
ment du Traité précé-
dent, que la Teinture des
Laines ou des Etoffes , qui en font
fabriquées, fediilinguoit en grand
&: en petit Teint. Les Réglemens
ont fixé quelles font les qualités
des Laines & des Etoffes qui doi-
vent être teintes en bon teint 3
&: quelles font celles qui le peu-
5 ix L’Art de la Teinture.
vent être en petit Teint. Cette
diftin&ion a été faite fur ce prin-
cipe , que les étoffes d une cer-
taine valeur , & qui font ordinai-
rement le deffus deshabillemens,
doivent recevoir une couleur plus
folide & plus durable, que des
étoffes de bas prix , qui devien-
droient néceiïairementplus chè-
res & d'un débit plus difficile , fi
on obligeoit de les teindre en
bon teint, pareeque le bon teint
coûte réellement beaucoup plus
que le petit teint. D’ailleurs , les
.étoffes de bas prix, qu’il eft permis
de teindre en petit teint, ne font
pour l’ordinaire employées qu’à
faire des doublures , enfo rte qu’-
elles ne font prefque point expo-
féès à faftion de l’air ; & fi on s’en
fert à d’autres ufages , elles s’ufent
trop promptement , à caufe de
la foiblefie de leur tiffure, & par
conféquent il n’eft pas néceffaire
Chapitre I. 515
que la couleur en foie auilî folide
que celle d’une étoffe de beau-
coup plus longue durée.
J’ai rapporté, dans le Traité
précédent , avec le plus de p ré-
ci fion &: d’exadi tude qu’il m’a
été polîlble, la maniéré de faire
en bon Teint toutes les couleurs
imaginables : je vais faire la mê-
me chofe dans le petit Teint.
J’enfeignerai les moyens de faire
les mêmes couleurs avec d’autres
ingrédiens que ceux dont j’ai par-
lé jufqu’à préfent , & qui, s’ils nont
pas la folidité des premiers , ont
louvent l’avantage de donner des
couleurs plus vives & plus bril-
lantes ; outre que la plupart ren-
dent la couleur plus unie & s’em-
pîoyent avec beaucoup plus de
facilité que les ingrédiens du bon
Teint. Ce font là les avantages
de ces matières , qu’on nomme
j Falix Ingrédiens y & quoiqu’il fui
Yv
514 L’Art de la Teinture.
à defirer que l’ufage en fût beau- !
coup moins répandu qu’il ne l’eft,
on ne peut pas dire qu’ils n’ayent .
aufiî leur utilité pour des étof-
fes moins expofées à l’air, ou dont
la couleur n’a pas befoin d’être
fort durable. Je puis encore ajou-
ter que les couleurs s’alfortififent
prefque toujours avec beaucoup
plus de facilité, &: plus vite, en pe-
tit' Teint, qu’on ne pourroit le
faire en bon Teint.
Je 11e fui vrai point, pour ce
genre de Teinture , le même or-
dre que j’ai fuivi dans le bon
Teint, parcequ’ici on ne recon-
noît point de couleurs primiti-
ves. Il y en a peu qui fervent de
pied à d’autres : la plupart ne
naiflent pas de la combinaifon de
deux, ou de plufieurs couleurs
fimples. Enfin , il y a des couleurs,
comme le Bleu, qui ne fe font
prefque jamais en petit Teint,
Chapitre I. 515
Voici donc l’ordre que je me
propofe de fuivre. Je vais d’abord
expofer les noms de tous les in-
grédiens qui doivent particuliére-
ment être affeftés au petit Teint \
je donnerai enfuite la maniéré
d’employer chacun de ces ingré-
diens , &: d’en tirer toutes les cou-
leurs qu’ils peuvent fournir. On
verra qu’il y a plufieurs de ces in-
grédiens qui donnent des cou-
leurs femblables , enforte qu’il
eut été impofliblc de traiter ces
couleurs féparément , fans tom-
ber dans des répétitions ennuyeu-
fes & même embarraffantes pour
le Ledeur. Voici quels font les
ingrédiens jufqu ici connus , du
petit Teint j &: mis'dans l’ordre
que je fuivrai dans le cours de cet
Ouvrage: -
La Teinture de Bourre ou Poil de
chevre gurencé , XOrJeille , le bois
d’Inde ou de Campèche , le bois de
y vj
5 16 L'Art de la Teinture.
Brejil , le Fuji et , le Roucou , la grai-
ne d’ Avignon , le Curcuma ou terra
mérita. Je ne parle point ici du
Santal ni de la Suye , quoique ces
ingrédiens foient finguli ère ment
affe&és au petit Teint v parceque
j'ai donné la maniéré de les em-
ployer dans le Chapitre XIX. qui
traite du Fauve. On y trouve les
raifons que j'ai eues de les placer
en cet endroit.
CHAPITRE II.
jtur
pci
ICC
Idc
|ex
I 1 )
s c
ép
fi
te
i
l
le
C
De la Teinture de Bourre.
ai
J L y a dans la Teinture de d
Bourre deux préparations fort g
différentes l’une de l’autre : la t
première eft pour la garence y &:
elle appartient au grand & bon
Teint : la fécondé eft pour la
fondre &: l’employer j ce qui ap-
partient au petit Teint. LaTein-
Chapitre IL 5T7
ture de Bourre étoit autrefois
pern^ife dans le bon Teint; mais
c’étoit plutôt parcequ’elle fe tire
de la garence , que par aucune
expérience qu’on eut faite pour
s’ affûter de fa folidité. Je fai
éprouvée avec grand foin, &:
j’ai reconnu , à n’en pouvoir dou-
ter, qu’il n’y a point de couleur
qui fe paffe plus vîte à l’air. C’eft
; fans doute pour cette raifon, qu’on
l’a reftrainte au petit Teint dans
le nouveau Reglement de 1737.
Cependant , comme parle même
Reglement , il n’eft pas permis
aux Teinturiers du petit Teint
d’employer la garence, ni même
d’en tenir chés eux , il a été fta*
tué qu’il ne ferôit permis qu’aux
Teinturiers de bon Teint de ga^
rencer la Bourre , & à ceux dù
petit Teint de la fondre & de
l’employer.
Ce garençage de la Bourre
v ÿi8 L’Art de la Teinture.
roit dû fe trouver au Chapitre I tu
XVII. du précédent Traité $ mais U
j'ai mieux aimé rapporter tout |i<
de fuite les opérations qui ont Iv
entr’elles une liaifon nécelfaire > d
que de m’attacher trop fcrupur j c
leufement à cette diftinétion du p
grand & du petit Teint, qui eft t
l’objet particulier de la Police de (]
cet Art , ô£ qui dans quelque oc- 1
cafion m’auroit fait tomber dans i
l’obfcurité , ou dans des répéti- (
rions continuelles : d’ailleurs, la » t
Police de la Teinture n’eft pas jt
l’Art confidéré en lui-même. I
Pour garencer la Bourre , on 1 1
en prend quatre livres, ou quatre |
livres de poil de Chevre , bien (
écharpi &: bien ouvert ou féparé ,
afin que la teinture puiffe mieux
le pénétrer. On le fait boüillir
pendant deux heures, dans une
fuffifante quantité d’eau fure j en-
fuite on le met égoûter pendant
Chapitre I L 51-9
une heure , & on le plonge dans
une moyenne Chaudière , à demi
remplie d’eau, avec quatre li-
vres d’alun de roche, deux livres
de tartre rouge, &: une livre de
garence. On fait boüillir le tout
pendant fix heures, en y remet-
tant de l’eau chaude à mefure
que le bain fe tarit , puis on le
laide palier la nuit dans ce boüilr
Ion , ainh que la journée du len-
demain. Le troilîéme jour, on le
retire , & on le met égoûter dans
un panier. Quelques Teinturiers
l’y laident huit jours, mais il ar-
rive fouvent qu’il fe trouve terni
par ce féjour dans un vaifleau de
cuivre , dont le boüillon a le
temps de corroder des parties.
Après qu’on a bien lavé ces qua-
tre livres de Poil garencé , on
charge aux deux tiers la moyen-
ne Chaudière , de moitié eau fure
& moitié eau commune j & lorf-
5^0 L’Art de la Teinture.
que ce bain eft prêt à boüillir ,
on y met huit livres de garence
qu’on a bien dépecée ■& écrafée
entre les mains. Lorfque la ga-
rence a été mêlée dans le bain,
on y met les quatre livres de
Bourre ou Poil, &: on fait boüil-
lir le tout pendant fix heures.
Enfuite on lave bien cette Bour-
re , & le lendemain on la ga-
rence une fécondé fois &: de la
même maniéré } mais feulement
avec quatre livres de garence ,
au lieu de huit qu’on a employées
la veille. Après ce fécond garen-
çage , on la lave bien & on la fait
lécher: elle eft alors prefque noi-
re & en état d’être Employée.
On voit que par cette opération,
quatre livres de Bourre fe trou-
vent chargées de la teinture de
treize livres de garence. Néan-
moins il refte encore de la tein-
ture dans le bain> appelle
Chapitre IL jet
alors un vieux garençage , Sc que
Ton garde pour s’en fer vit en
'certaines occalions , comme dans
des couleurs de Tabac, de Ca-
ndie & plufieurs autres.
Lorfque la Bourre eft ainfî ga-
tencée par le Teinturier du grand
&c bon Teint, il la vend au Tein-
turier du petit Teint, qui a le
droit de la fondre &: de l’em-
ployer. Voici de quelle maniéré
on s’y prend pour la fondre. C’eft
la méthode ordinaire , mais qui
ne laide pas que d’avoir fa diffi-
culté , & qui n’eft connue que
d’un petit nombre de Teinturiers.
On met à fept heures &: demie
du matin, ftx féaux d’eau claire
dans une moyenne Chaudière , &
lorfque l’eau eft tiède * on y jette
cinqlivres de cendre grave lée bien
pilée. On fait boüillir le tout juf-
qu’à onze heures ; & le bain é-
'5*2, L’Art de la Teinture.
tant diminué afifés confidérable- ni
ment pour pouvoir tenir dans S
une Chaudière plus petite , on n
Fy tranfvafe , ayant attention de ri
laiffer dépofer auparavant les fé- i
ces de la cendre gravelée , afin 1
de n’en employer que le plus |
clair. On prend en-fuite un feau i
de ce bain , qu’on remet dans la i
moyenne Chaudière après l’avoir
bien nettoyée > oti refait de flous
un peu de feu. On y met petit
à petit les quatre livres de Bourre
gare ne ée & éparpillée } &r en mê-
me temps , on ajoute du bain
tiède & falin de la petite Chau-
dière , pour abattre le botiillon
qui s’élève de temps en temps
jufqu’au haut de celle où fe fait
Fopération..
Lorfque toute la Bourre &: le
bain de la petite Chaudière ont
été mis dans la moyenne , on re-
Chapitre II. jjlj
met un feau d’eau claire fur Tes
fèces de la cendre gravelée , de-
meurées dans la petite Chaudiè-
re. Cette eau fert à remplir le bain
de la moyenne à mefure qu’il s’é-
vapore. Toute cette Bourre fe
fond , ou eft difloute par l’aétion
de la cendre gravelée , & dès la
première demie heure on n’en
voit plus le moindre poiL Le bain
eft alors d’un rouge très-foncé..
On fait bouillir ainfi le tout , fans
y rien ajouter jufqu à trois heu-
res après midi , afin que la diffo-
lution de la Bourre foit plus exa-
ctement faite. Alors on met un
bâton en travers fur la Chaudiè-
re } & fur ce bâton , on pofe un
feau rempli d’urine fermentée.
Il faut avoir fait auparavant, à
ce feau , un petit trou vers fa
partie inférieure , de y mettre un
peu de paille } enforte que l’uri-
ne puifle couler très -lentement
514 L’Art de la Teinture.
dans la Chaudière. Pendant qu’-
elle coule , on fait boüillir le bain
à gros boüilions , & cette urine
'remplace ce qui s’en perd par l’é-
vaporation. Cette opération dure
cinq heures , pendant lefquels on
y fait entrer jufqu’à trois feau*
d’urine. On l’y fait couler à filet
plus fort quand l’ébullition eft vio-
lente, que quand elle eft modérée*
Il faut obferver que c r eft à caufe
de la petite quantité de Bourre,
qu’on a mis dans l’expérience
dont je donne ici le détail , juf-
qu’à cinq livres de cendres gra-
velée ^ mais lorfqu’on fond trente
livres de Bourre à la fois , ce qui
eft la quantité ordinaire qu em-
ployent les Teinmriers de Paris ,
on ne met que douze onces de
cendre gravelée pour chaque li-
vre de Bourre.
On fent , pendant tout le temps
de cette opération , une allés for-
V
Chapitre IL
te odeur de fel volatil d’urine v
il fumage prefque toujours une
écume fur le bain* elle eft affés
brune au commencement, mais
elle le devient encore plus après
l’addition de l’urine. On recon-
noît que le bain eft fuffifamment
cuit lorfqu il ne s’élève plus , &
qu’il bout à petits boüillons , c’eft
ce qui eft arrivé à l’opération pré-
fente vers les huit heures du loir.
Alors on ôte le feu, on couvre
bien la Chaudière avec fon cou-
vercle & des couvertures , & on
la faille ainfi jufqu’au lendemain.
On avoit pris, à diverfes repri-
fes , depuis trois jufqu’à huit heu-
res du foir , des échantillons de
la couleur du bain , en y trem-^
pant des petits morceaux de pa-
pier ■: les premiers étoient fort
bruns , &: 'ils ailoient toujours en
s’éclairci ffant & s’uniftant de plus
en plus , à mefure que le volatil de
r fi€ L’Art de la Teinture.
l’urine agifloit fur les parties co-
lorantes du bain.
Il ne reftoit plus alors quà tein-
dre la laine dans ce bain ainli
préparé , & que l’on nomme Fon-
te de Bourre. C’eft l’Ouvrage le
plus facile qui foit dans la Tein-
ture. On y procède de cette for-
te : Un quart-d’heure avant que
de teindre dans ce bain , on y
met un petit morceau d’alun de
roche bien net, & on pallie la
Chaudière pour le faire fondre.
Comme ce bain qui étoit dans
la moyenne Chaudière avoit été
tenu couvert toute la nuit , de
qu’on n’avoit pas éteint le feu de
fon fourneau , il étoit encore
chaud à ne pouvoir y tenir la
main. On en prit le plus clair, qu’on
tranfporta-dans une petite Chau-
dière, avec une fuffifante quan-
tité d’eau tiède } on y plongea de la
laine teinte en jaune avec la gau-
Chapitré II. 52,7
•Se 5 &eUe y devint dun bel orangé
tirant fur le couleur de feu j c’eft-
à-dire , de la -couleur appellée
Nacarat /& connue chés les Tein-
turiers fous le nom de Natearat de
Bourre , parcequ’il fe fait commu-
nément avec la Bourre fondue ,
quoiqu’on puilfe le faire aufli
beau ■& beaucoup meilleur en
bon teint , comme on peut le voir
dans le Chapitre XXV. du Traité
précédent , qui traite des cou-
leurs réfuitantes du mélange du
rouge & du jaune.
On pafla , fur le même bain ,
vingt botter de laines blanches ,
l'une après l’autre $ en commen-
çant par celles qui dévoient être
les plus brunes , &: les y laiffant
plus ou moins long - temps , fui-
vant la nuance plus ou moins fon-
cée qu’on vouloir leur donner :
on en fit de la forte une fuite dé-
gradée, depuis le Nacarat jufqu au
çiS L’Art de la Teinture,
couleur de Cerifes . On doit faire
obferver qu’à mefure que le bain
fe confommoit , on en reprenoit
de celui de la moyenne Chau-
dière , ayant grande attention de
ne pas remuer le fédiment du
fond : on avoit foin auilî d’entre-
tenir toujours un peu de feu fous.,
la petite Chaudière , afin de con-
ferver au bain à peu près le mê-
me degré de chaleur. On conti-
nué de la forte à pafler de la lai-
ne , jufqu’à ce que tout le bain
foit employé , qu’on en ait tiré,
toute la couleur. Mais on ne pour-
roit pas y teindre les couleurs
fort claires , parceque lorfque la
couleur du bain eft autant aftoi-
blie quelle doit l’être pour ces
couleurs , elle fe trouve ordinai-
rement chargée d’impuretés, qui
oteroient la vivacité néceflaire à
ces fortes de nuances, plus qu’à
toutes les autres.,
Voici
Chapitre I I. 52,9
Voici donc comment fe font
les nuances , plus claires que le
couleur de Cerifès. On charge une
Chaudière d’eau claire , 6 c Ton y
met cinq ou iix bottes de laine la
plus foncée que l’on ait teinte fur
la Bourre ; c’eft-à-dire , de la
nuance qui fuit immédiatement
le Nacarat. L’eau , venant à boüil-
lir, enlève toute la couleur que
la laine avoir prife} & c’eft dans
ce nouveau bain que l’on palfe
l’autre laine qu’on veut teindre ,
depuis le couleur de cerifes juf-
qu’au couleur de chair le plus
pâle , en obfervant toujours de
commencer par les nuances les
plus foncées.
La plupart des Teinturiers qui
ne fçavent pas fondre la Bourre ,
ou qui n’en veulent pas prendre
la peine , achettent quelques li-
vres de cette écarlatte de Bour-
re , qu’ils font déboüillir de la for-
530 L'Art de la Teinture.
te pour taire toutes leurs nuances
claires , ce qui , comme on le voit ,
réufiit avec beaucoup de facilité.
Mais cette même opération prou-
ve combien peu on doit compter
fur la folidité d'une couleur qui
s’en va fi promptement dans l'eau
bou illante. En effet , c’eft une des
plus mauvaifes couleurs qu'il y
ait dans la teinture 3 c’eft pour
cette raifon que dans le nouveau
Réglement on l'a retranchée du
bon teint, pour ne la tolérer que
dans le petit teint feulement ,
ainiî qu’on l’a dit ci-devant.
Il fe préfente ici une réflexion
à faire : c’eft qu’il eft démontré
par cette opération finguliere ,
qu’on peut tirer une très-mauvai-
fe couleur d’un ingrédient , qui ,
de tous ceux qu’on employé en
teinture , eft peut-être le meilleur
& le plus folide. La Garence eft
connue pour telle 3 cependant ,
Chapitre 1 1. 531
lorfque cc poil teint, avec toutes
les précautions néceffaires , pour
en allurer la couleur autant qu'il
eft poflîble , vi ent à être diifout où
fondu dans un bain de cendres
gravelées , fa couleur , en acqué-
rant un nouvel éclat, perd toute
fa folidité , 6c ne peut plus être
mife que dans la claffe des plus
fauffes teintures.
On pourroit croire que le peu
de folidité de cette couleur , vient
de ce que la laine n’a reçû aucu-
ne préparation , ni retenu aucun
fel avant que detre p ailée dans
la fonte de Bourre ; mais j’ai é-
prouvé que cela n’y faifoit rien,
&c j’ai paifé dans cette teinture
de la laine boüillie à l’ordinaire,
& d’autres laines diverfement pré-
parées , fans que la couleur qu’el-
les ont prifes , ait acquis plus de
folidité y elles ont eu même moins
d’éclat , c’eft-à-dire , quelles font
5 jz L’Art de la Teinture.
forties plus ternes que celles qui
y ont été teintes fans aucune pré-
paration.
Quoique je dife que les laines
ne reçoivent aucune préparation
avant que de les teindre fur la
fonte de Bourre , il eft cependant
néceflaire de fouffrer celles qui
font deftinées pour les nuances
claires , parceque cela leur don-
ne beaucoup de vivacité &: d’é-
clat, attendu que le rouge de la
fonte de Bourre s’applique fur un
fond beaucoup plus blanc qu’il ne
le feroit fans la vapeur du fouf-
fre , qui l’a nettoyé de toutes fes
impuretés. On fait la même cho-
fe pour les bleus clairs ou déblan-
chis , & pour quelques autres cou-
leurs y mais cette opération n’eft
ordinairement mife en ufage que
fur les laines deftinées aux Cane-
vas, ou à la fabrique des Tapif*
fériés.
Chapitre IL 535
Ce ne font point les Teinturiers
qui la font, à caufe de la puan-
teur du fouffre & de l'embarras
que cela occafionne. Pour en don-souffer
ner cependant une idée , je dirai Lâlne *
que Ton fufpend la laine blanche
fur des cerceaux ou fur des per-
ches , dans une chambre bien fer-
mée , & qu’on place au- de Tous
de cette laine des réchauds pleins
de charbon allumé , dans lefquels
on jette du fouffre puivérifé. O 11
ferme enfuite la porte de la cham-
bre afin que la famée s’y confer-
ve plus long-temps , & agiffe fur
la laine , qui y demeure jufqu’à
ce qu’elle foit entièrement blan-
che : c’eft alors ce que l’on appel-
le de la laine fouffrée ; 6c c’eftia pré-
paration quelle doit avoir pour
donner de la vivacité aux cou-
leur de rofe , couleur de cerifes
6c couleur de chair , qui fe tirent
de la fonte de Bourre.
Z iij
534. L’Art de la Teinture.
Théorie La raifon pourquoi d’un insrré-
de la fonte j • < 1 < 1 . i
de Bonne, client , tel que la racine de Ga-
rence , on tire des couleurs auffi
peu folides que celles que donne
la fonte de Bourre , n'eit pas dif-
ficile à trouver. Dans la premiè-
re opération du garençage de la
Bourre , on a afliué , par le boüil-
lon d’alun & de tartre , le rouge
de la garcnce fur ce poil, autant
qu’il étoit poflible : mais comme
on le furcharee de cette couleur,
O # ^
il eft aile de concevoir que les
atomes colorans fuperflus , n’é-
tant appliqués que fur ceux qui
rempliiTent déjà les pores de ce
poil, il n’y a que les premiers qui
foient réellement retenus dans
ces pores , & qui foient maftiqués
par les fels. Ce poil ainfi rougi
par la garence , jufqu’à devenir
prefque noir , perdrait beaucoup
de l’intenfité de cette couleur , fi
on le faifoit boüillir dans quelque
Chapitre IL 535
liqueur , ne fut-ce que de l’eau
fimpie ; mais on ajoûte à cette
eau de la cendre gravelée, à pa-
reil poids que la Bourre déjà
teinte qu’on y veut fondre : par
conséquent , on fait une lefiive de
fel alcali fixe très-forte. J’ai déjà
dit, dans un autre endroit du
Traité précèdent, que lesleilîves
alcalines, fort chargées, détrui-
foient le tiflii naturel de prefque
toutes les matières animales , ainfi
que des gommes & des ré fine s 3
en un mot, que le fel alcali eft
leur diflolvant. Dans l’opération
préfente , la leifive des cendres
gravelées eft fort concentrée , fort
acre; & par conféquent elle eft
en état de fondre la Bourre , qui ,
comme on le fçait , eft le poil
d’un animal: auffi le lait-eLe très-
promptement & avec une fer-
mentation vive , aifee à reconnoî-
tre par l’élévation prompte & vio-
Z iiij
5 5 6 L’Art de la Teinture.
lente du boüillon. Par confcquejit
elle détruit la tijjure naturelle de
chacun de ces poils ; & les parois
des pores étant en même temps
rompues & réduites en parties
infenfibles , ces parois n’ont plus
ni confidence , ni reffort pour re-
tenir les fels & les particules co-
lorantes qui leur étoient aahé-
rens. Donc les particules anima-
les du poil, les parties coloran-
tes de la garence, les parties fa-
lines du boüillon , &: les fels alca-
lis de la cendre gravelée , fe trou-
vent confondus &: forment un
mélange nouveau , qui ne peut
plus fournir de teinture folide ,
parceque de toutes ces parties fa-
lines mélangées , il ne fe peut plus
former une quantité luffifante de
fels capables de fe cryftallifer , de
de donner des molécules réfiftan-
tes à l’eau froide &: aux rayons
du foleil. En un mot, il ne peut
Chapitre II. 53 7
s’y former de tartre vitriolé , par-
eeque le fel alcali s’y trouve en
trop grande abondance.
Pour aviver la teinture obfcure 8 c
furchargée de la garence appli-
quée d’abord fur la Bourre , 8 c de-
puis confondue parla fonte de ce
poil dans le mélange dont il vient
d’être parlé , on ajoûte de l’urine
fermentée en quantité coniidéra-
ble : ainli , c’efl: encore une ma-
tière de plus pour ôter toute ef-
pérance de cryftallifation : par
conféquent , il eft déjà clair que
toute laine , non préparée par
d’autres fels, qu’011 trempera dans
un bain tellement compofé , ne
peut s’y enduire que d’une cou-
leur fuperficielle , qui 11e trouve
point de pores préparés , ni rien
de falin dans ces pores , qui puif-
fe en maftiquer les atomes colo-
rans \ il s’enfuit que cette teintu-
re doit abandonner fon fujet au
Z v
53$ L’Art de la Teinture.
moindre effort , de quelque na-
ture qu’il foit, & de quelque part
qu’il vienne.
Mais une laine préparée parle
boiiillon de tartre &: d’alun, ne
prend pas dans le bain de la fon-
te de Bourre , une couleur plus
folide qu’une laine non prépa-
rée par ces fels. Cette fingulari-
té , qui n’eft pas fans caufe, n’eft
pas non plus fans explication :
c’eft qu’un bain , dans lequel il fe
trouve en abondance , des alcalis
fixes, attaque le tartre refté du
boiiillon précédent dans les pores
de la laine. Ce tartre change de
nature 3 & de difficile à fondre
qu’il étoit auparavant, il devient
un tartre foluble , c’eft-à-dire , un
fel qui fe diffout très-aifément ,
même dans l’eau la plus froide.
O11 dira, peut-être, qu’il étoit
refté des particules d’alun dans
les pores de la laine préparée j
Chapitre II.
539
que de ces particules d’alun , 6c
du morceau de ce même fel qu’on
met dans le bain rougi par la
fonte de Bourre , il doit fe for-
mer , avec le fel alcali de la cen-
dre gravelée , un tartre vitriolé
qui devroit affurer la teinture fé-
lon mes principes. Je puis répon-
dre , premièrement , qu’outre que
l'urine empêche la combinaison
des deux fels , néceflaire pour la
formation du tartre vitriolé >
quand même cet empêchement
n’exifteroit pas, la quantité qui fe
fonneroit de ce fel , que j’ai nom-
mé dur dans un autre endroit , ne
feroit pas fufHfante pour masti-
quer tous les pores de la laine ,
6c les mettre en état de recevoir
6c retenir les atomes colorans.
De plus, l’acreté des fels alcalis
du bain , qui a été capable de
di (foudre entièrement la Bourre
pendant une longue 6c forte ébul-
Z vj
540 L’Art de la Teinture.
linon, feroit encore en état de
difloudre la laine qu’on y trem-
pe , fi on l’y faifoit boüillir com-
me la Bourre. Mais quoiqu’on ne
donne pas au bain le degré de
chaleur qui feroit néceffaire pour
cette deftruftion totale , il eft ai-
fe de concevoir que , fi la fom-
me de l’aétion détruifante n’eft
pas la même , au moins il en exi-
iïe une partie , &: , pour ainfi dire ,
une fraûion , qui n’eft peut-être
qu’un millième de cette fomme ,
mais qui fuftit encore pour cor-
roder les parois des pores de la
laine , les aggrandir exhorbitam-
ment, & les mettre par-là hors d’é-
tat de retenir les atomes qui colo-
rent. Joignez à cela , que le poil
eft fondu dans le bain , & par
conféquent mêlé avec les par-
ties colorantes de la garence, en
très-grande quantité 3 que ce font
des parties hétérogènes qui em-
Chapitre III. ^41
pêchent le contad immédiat de
ces mêmes parties colorantes , &
qu’ainfi tous ces empêchemens
réiinis doivent rendre cette cou-
leur moins folide , moins tenace
qu’aucune de celles du petit teint.
C’eft ce que l’expérience ne prou-
ve que trop , puifqu’il 11’y a qu’à
plonger un échevau de laine ,
teinte en rouge par la fonte de
Bourre , dans de l’eau boüillante,
pour la décolorer entièrement.
CHAPITRE III.
De l'Orfeitle , & de U maniéré de
l'employer*
L ’Orseille eft une pâte mol-
^ le d’un rouge foncé , qui é-
tant Amplement délayée dans de
l’eau chaude , fournit un grand
nombre de différentes nuances.
Il y en a de deux fortes 3 la plus
54* L’Art de la Teinture.
commune , qui eft en même temps
la moins belle & la moins bonne ,
fe fabrique pour l’ordinaire en
Auvergne, d’un Lichen ou efpéce
de mouffe fort commune fur les
rochers de cette Province. Elle
eft connue fous le nom d’Orfetile
à 1 Auvergne ou de terre . L’autre eft
beaucoup plus belle &: meilleure :
elle fe nomme l’ Or fetlle d’herbe ou
des Canaries , ou du Cap-Ferd. On
en prépare à Lyon , à Paris , en
Angleterre, & en quelques autres
endroits.
L’Orfeiile d’Auvergne , qu’on
nomme aufti Pérelle , eft une ef-
péce de croûte ou de mouffe qu’on
ramaffe fur les rochers. On la
broyé & on la mêle avec de la
chaux , l’arrofant pendant plu-
fieurs jours avec de l’urine fer-
mentée. Au bout de huit ou dix
jours, elle devient rouge en fer-
mentant 5 &: elle eft en état d’être
Chapitre III. 545
employée à la teinture.
L’Orfeille d’herbe , qui eft le
! . Lichen gracus , Polypoïdes tincionus
Saxatihs Coroll. 40 . ou le Fucus Ver -
Î rucofus Tincortus J. B. 5. Inft. R.
herb. 568 , 6cc. croît dans les Ifles
Canaries , attaché aux rochers y
principalement à ceux qui font
en vue de la mer. Toutes ces Ifles
donnent de l’Orfeille \ mais celle
des Ifles de la Gomére 6c de Fer,
pafle pour la meilleure. Elle eft
brune , bien nourrie , avec de pe-
tites taches blanches, argentées
deflfus. * Année commune , il s’en
recueille environ 500 quintaux
dans l’Ifle de Ténénffe ; 400 à cel-
le des Canaries s 300 à Fuerta-Venr-
tura y 300 a Lanfarotte ; 300 à la
Gomére y 6c 80 o à ilfle de Fer.
Les Orfeilles de Ténénffe , Ca-
naries 8c Paierie , font affermées
* Mémoire de M.Porlier Conful , datte de Sainte
Croix de Ténériffe le 25. Janvier 173 1.
544 L’Art de la Teinture.
pour le Roi d’Efpagne à des par-
ticuliers qui la font cüeillir. En
dernier lieu ( 1730 ) ils ont donné
jufqu’à la fomme de 1500 piaftres
pour cette Ferme , & outre cela ils
payent, depuis quinze jufqu’à vingt
Ré aux du quintal , aux hommes
qui la recüeillent. Les autres Mes
apartiennent à d’autres Seigneurs,
qui la font ramafler & vendre à
leur profit. Il faut remarquer que
dans les années de difette , il fe
reciieille beaucoup plus d’Orfeil-
les que dans les aimées abondan-
tes , parceque tous les pauvres
s’occupent à la ramafifer.
Dans les temps paflés , l’Orfeil-
le ne valloit , rendue à bord à fain-
te Croix de Ténérifte , que trois
à quatre piaftres le quintal ; mais
depuis 1725 , on a beaucoup de
peine à en trouver à dix piaftres,
parcequ’elie eft très - demandée
pour Londres, pour Amfterdam,
P
1
f
(
1
1
Chatitre III. ^45
pour ritalie 6c pour Marfeille. En
1730 elle fut vendue à Londres
jufqu’à quatre livres fterlings le
quintal.
Les Mes de Maàere , Porto San-
ta 6 c les Sauvages , produifent aufli
de l’Orfeille.
Vers la fin de 1730, le Capi-
taine d’un Vaille au Anglois, ve-
nant des Mes du Cap-Verd, ap-
porta à fainte Croix un fac d’Or-
îeille pour montre. Il communi-
qua fon fecret à des Négocians
Ëfpagnols 6c Génois , lefquels fe
déterminèrent dans le mois de
Juillet 173 1 à envoyer un bateau
aux mêmes Mes. Sur ce bateau
ils mirent huit Ëfpagnols accou-
tumés à cueillir l’Orfeille. Ils abor-
dèrent aux Mes de faint Antoine
6c de faint Vincent , ou , en peu
de jours , ils firent un chargement
d’environ 500 quintaux de cette
plante qu’ils y trouvèrent en abon-
54^ L'Art de la Teinture.
dance , fans qu'il leur en coûtât
autre chofe , qu'une piaftre par
quintal, de préfent au Gouver-
neur. L'Orfeille des Mes du Cap-
Verd paroiffoit plus grolfe , plus
longue & plus fournie que celle
des Canaries , c'eft apparemment
parcequ’on n'étoit pas dans l'ufa-
ge de la cüeillir toutes les années ,
comme on fait aux Canaries.
Les ouvriers qui préparent l’Or-
feille d’herbe , font un myftére
de cette préparation , mais on la
trouve allés bien détaillée dans
un Traité de M. Pierre- Antoine
Micheli , qui a pour titre : Nova,
Plant arum généra , imprimé in-4 0 .
à Florence en 1719 , page 78 > en
ces termes :
» Infectores (Florentini ) hanc
» plantain appellant Vernaculo
nomine Rocella vel Orcella vel
Rafpa y ejufque ope fericum &
lanam , non folum peculiari
»
93
C(
n
Chapitre III. 547
quodam colore fub purpureo «
imbuunt , quem Columbmum vo- *
canr , ob fimilitudinem cum cc
collo Columbkio , fed etiam cc
aliis compofîtionibus admif- <c
cent, ut diverfos colores effi- «
ciant.Præparant veto illamhoc a
modo : Plantam in pulverem «
adeo tenuem reducunt, ut per «
çerniculutn facillimè trajicia- a
tur. Deinde , vetere Maris uri- ce
nâ ( nam mulieris perniciofa ce
habetur) leviter illam irrorant «
yafe ligneo contentam , & fe- ce
mel in die agitant j atque eo- «
dem tçmpore in eam démit' «
tunt aliquantulum cineris ex «
fodà , donec expleto opéré , ce
ejus quantitas lingulis diebus «
immifla, ad quantitatem pulve- «
ris, fie in ratione 1. ad 11. lïve ce
plus , five minus \ prout planta ce
eft magis érafla vel tenuis , vel ce
recens , vel vêtus : idque fit j «
54S L’Art de la Teinture.
» donec totum compofitum præ- r>
» diftum Colorem Columbinum v
3 > exhibeat. Podca ligneo dolio- ,
» lo reponunt , & urinani vel li- c
» xivitim calcis, aut gypfi , quo p
^ dealbantur parietes , lliper in- j
33 fundunt ? ut tota quantitas con- ’
» tegatur & ad nfum fervant. u
33 Compofitionem hanc vocant ^
33 Oricello , fortè à nomine plantæ j
33 RocelU. Sufpicari fubit nonnul- >
33 las hujus generis plantas , eô- j
33 dem vel aliô modo præparatas , {
33 eumdem Colorem vel alium 1
33 præbere pode. Quod nunc in- .
33 nuide fudîciat ut inftituta ex- |
33 perimenta ad has cogitationes
33 deducant.
Dans le petit Livre Italien delT-
arte Tmtorm , ou Pliûo , petit in-
ii. page xio ; on trouve audî la
préparation de fOrfeille comme
il fuit : Prenés une livre d’Orfeil-
le de Levant ; bien nette ? humé-
Chapitre III. 549
ftez-la d’un peu d’urine ; ajoutez-
y du fel ammoniac , du fel gem-
me , du falpêtre , de chacun deux
onces; mêlez bien le tout après
l’avoir pilé , & laiffez-le ainfi pen-
dant douze jours , le remuant
deux fois par jour; ajoûtez alors
un peu d’urine , enforte que l’her-
be foit toujours humide , & laif-
fez-la encore huit jours en cet
état , en continuant de remuer.
Enfuite , prenez deux livres 8c de-
mie de potalfe bien pilée , que
vous y ajoûterez avec une livre
6c demie de vieille urine. LaiiTez
le tout encore huit jours , remuant
à l’ordinaire ; après quoi vous y
mettrez encore autant d’urine , àc
au bout de cinq ou lîx jours vous
y ajoûterez deux gros d’arfenic ,
alors elle fera en état de teindre.
Pour imiter ces procédés , en re-
jettant ce qui m’y paroiffoit d’in-
utile , j’ai mis une demie livre
550 L’Art de la Teinture.
d’Orfeille du Cap-Verd, hachée
ou coupée bien menue avec des
cizeaux , dans un vaiffeau de cry-
ftal ayant fon couvercle. J’y ai
verfé de burine fermentée , ce
qu’il en falloit pour la bien hu-
meéter, puis j’y ai ajouté luffîfan-
te quantité de chaux éteinte à
l’air, ce qui pouvoir aller cette pre^ :
miere fois à une once. J’ai bien
remué ce mélange, de deux en
deux heures, dans la première
journée. Le lendemain j’y ai ajoû-
té encore un peu d’urine fermen-
tée un peu de chaux , mais
fans la noyer , agitant quatre fois
dans ce fécond jour. L’Orfeille a
commencé à prendre une cou-
leur pourprée ; mais la chaux ref-
toit blanche : le volatil urineux
qui s’exhaloit, quand je levois le
couvercle , étoit fort pénétrant.
Le troifiéme jour, j’ai mis enco-
xe un peu d’urine de un peu de
Chapitre III. 551
chaux, &: j’ai agité quatre fois
dans le jour. Le quatrième jour
la chaux a commencé à prendre
i une couleur pourprée. Enfin , tout
étoit d’un pourpre clair au bout
de huit jours , &: ce pourpre eft
devenu foncé de plus en plus pen-
dant les huit jours fuivans } en-
forte qu’au bout de quinze jours
elle auroit pu fervir à teindre.
Mais comme celle , qu’un nom-
mé Lafond prépare avec per-
miilïon , a une odeur de vo-
lette quand il la vend , j’ai con-
fervé la mienne dans le vaiffeau
couvert , pendant un mois, pour
laiffer évaporer peu à peu le vo-
latil urineux. Au bout de trois
femaines , j'ai commencé à ap-
percevoir l’odeur de violette ,
quand je levois le couvercle , &
le peu de liqueur qui étoit au
fond du vaiffeau , avoit une très-
belle couleur de cramoifi. Ainfi ,
5 5 i L’Art de la Teinture.
par l’urine feule & la chaux étein-
te , on peut préparer très - bien
rOrfeille , fur -tout quand on la
pile pour la réduire en pâte , fans
y mettre tous les autres ingré-
dient des procédés qu’on a lus ci-
devant. 11 ne s’agit que de déve-
lopper la couleur rouge , cachée
dans cette plante , par un volatil
urineux excité par un alcali ter-
reux.
J’ai préparé en même temps,
6 de la même maniéré , une li-
vre de P e relie ou d’Or/eille de terre
des rochers de l’Auvergne, & au
bout de huit jours elle avoir pris
une couleur pourpre allés foncée 7
le quinziéme jour elle l’étoit beau-
coup plus , & j’en fis un elfai de
teinture qui réuffit parfaitement.
Quand un Teinturier veut s’af-
furer que fon Orfeille fera un bel
effet, il étend cette pâte un peu
liquide fur le dos de fa main, &
Chapitre III. 553
l’y lailfe fécher j enfuite , il lave
cette tache avec de l’eau froide.
Si cette tache y refte , feulement
déchargée d’un peu de couleur,
il juge fon Orfeille bonne , 8 c con-
clud quelle réuflira. La meilleu-
re eft celle dont la couleur peut fe
tirer à deux fois.
Le Lichen Tincîorms Saxatïhs n’eft
pas la feule plante de ce genre
dont on puilfe préparer l’Orfeil-
le , il y a plusieurs autres efpéces
de mouffe dont 011 tire un rou-
ge affés beau , 8 c M. Bernard
de Juflieu m’en a apporté de la
foret de Fontainebleau , qui , a-
vec la chaux 8 c l’urine , prennent
la couleur pourprée. Il y a un
moyen bien facile d’e Bayer celles
qui fubiront ce changement.
Je mets environ deux gros de ces
plantes dans un petit poudrier de
verre : je les humeéte d’efprit vo-
latile de fel ammoniac, 8 c de par-
A a
554 L’Art de la Teinture,
rie égale d’eau de chaux premiè-
re 3 j y ajoûte une pincée de fel
ammoniac : enfuite je ferme le
petit vailTeau d’une veflie moüil-
lée , que je lie autour 3 au bout
de trois ou quatre jours , fi le
Licheu , quel qu’il foit , eft de
nature à donner du rouge , le peu
de liqueur qui coulera, en incli-
nant le vaifleau , où on l’aura mi-
fe avec la plante , fera teinte d’un
rouge foncé cramoifi 3 &: la li-
queur s’évaporant enfuite, la plan-
te elle-même prendra cette cou-
leur. Si la liqueur ni la plante ne
prennent point cette couleur, on
11e peut en rien efpérer , & il eft
inutile de tenter fa préparation
en grand. Ainfi voilà un moyen
fort prompt , pour fçavoir fi un Z/‘-
chen , quel qu’il foit , pourra faire
de l’Orfeille ou non.
Voici maintenant la maniéré
d’employer l’Orfeille toute pré-:
Chapitre III. 55J
parée ; mais je ne parlerai que de
celle d’Herbe ou des Canaries , 6c
j’avertirai feulement des différen-
ces qui fe trouveront dans l'em-
ploi de celle d’Auvergne. On
charge une Chaudière d’eau clai-
re j 8c lorfqu’elle commence à de-
venir tiède , on y délaye la quan-
tité d’Orfeille qu’on juge nécef-
faire > à proportion de la quantité
de laines ou étoffes qu’on a à
teindre , & de la nuance à laquel-
le on veut les porter. On chauffe
enfuite le bain , jufqu’à ce qu’il
foit prêt à boüillir, 8c on y paffe
la laine ou l’étoffe fans autre pré-
paration , que d’y tenir plus long-
temps celle que l’on veut être plus
foncée. Lorfque l’Orfeille ne four-
nit plus de couleur , on chauffe le
bain jufqu’au boüillon , pour ache-
ver de le tirer. Mais fî c’efl de
l’Orfeille deTcrre ou d’Auvergne,
dont on fe fert , les couleurs tirées
A a ij
55 6 L’Art de la Teinture.
de la force fur le bain boüillant ,
feront plus ternes que les pre-
mières : TOrfeille d’Herbe , au
contraire 5 ne perdra rien de fon
éclat , quand même on feroit
boüillir le bain dès le commen-
cement. Cette derniere eft plus
chere à la vérité , mais elle four-
nit beaucoup plus de teinture j
ainfî il y a du profit à remployer ,
quand même on ne compterait
pour rien fa fupériorité fur l’au-
tre , en bonté &: en beauté. La
couleur naturelle qui fe tire en
cette maniéré , de l’une & l’autre
Orfeille , eft un beau Gris -de- lin ,
tirant fur le violet. On en tire
auffi le Violet , la couleur de Penfée >
d’ Amaranthe , &: autres fembla-
bles , en donnant à l’étoffe un pied
de bleu , plus ou moins foncé ,
avant que de la pafler fur l’Or-
feille.
On obfervera , qu’afin que les
Chapitre III. 557
nuances claires de ces couleurs
foient auffi brillantes quelles peu-
vent l’être , il eft à propos que la
laine foit fouffrée, ainfi que je l’ai
dit dans le Chapitre précédent,
foit avant que d’être paffée fur
l’Orfeille , pour les gris-de-lin ,
foit avant que d’être mife en bleu ,
pour les violets , & autres couleurs
lemblables.
Cette maniéré d’employer l’Or-
feille eft la plus fîmple de toutes -,
mais les couleurs qui en viennent
n’ont aucune folidité. On pour-
roit croire qu’on la rendroit meil-
leure en donnant à la laine une
préparation avant que de la tein-
dre , comme cela fe pratique dans
le bon teint, lorfqu’on employé
la Garence , la Cochenille , la Gau-
de , ôrc. Mais l’expérience prouve
le contraire , & j’ai employé l’Or-
feilie fur la laine boüillie en alun
àc tartre , fans quelle ait plus ré-
A a iij
558 L’Art de la Teinture.
lifté à l’air que celle qui n avoit
reçû aucune préparation.
II y a néanmoins une maniéré
d’employer l’Orfeille d’Herbe , de
de lui donner prefque autant de
folidité qu’en ont la plûpart des
ingrédiens de bon teint ; mais on
lui ôte alors fa couleur naturelle
de gris-de-lin , de elle donne du
rouge , ou écarlatte > ou pour
mieux dire cette couleur connue
fous le nom de Demi- écarlatte. On
peut auiïi en tirer la couleur du
Kermès ou de l’écarlatte de Veni-
fe, de pluiîeurs autres nuances qui
tirent fur le rouge de fur l’orangé.
C’eft par le moyen des acides que
ces fortes de couleurs fe tirent de
l’Orfeille , de toutes celles , que
l’on fait ainlï , doivent être regar-
dées comme beaucoup plus foli-
des que les autres , quoiqu’à la ri-
gueur elles ne foient pas encore
exactement de bon teint.
Chapitre III. 559
Il y a deux maniérés de tirer
de l’Orfeille ces couleurs rouges :
la première eft d’incorporer quel-
que acide dans la compofition
même dont on fe fert pour ré-
duire cette plante en pâte , telle
que les Teinturiers la connoiffent
fous le nom d’Orieiiie. On m’a
alluré qu’on pouvoir la rendre vio-
lette & même bleue ; ce quife fait
vraifemblabiement par le mélan-
ge de quelques alcalis -> mais j’a-
voue que je n’ai pu y parvenir ,
quoique j’aye fait pour cela plus
de vingt eiTais. Je vais donc paf-
fer à la fécondé méthode de tirer
de l’Orfeille une couleur rouge
belle ailés folide > parceque je
l’ai exécuté quatre lois avec fuc-
cès.
On prend de l’Orfeille des Ca- Dem
naries préparée,on la délaye à l’or-
dinaire dans un bain d’eau tiéde,&: feille *
on y ajoûte une petite quantité de
A a iiij
560 L’Art de la Teinture.
compofition ordinaire pour Té-
carlatte ; qui eft , comme on l’a vu
dans le Traité précédent , une
diffolution de l’étain dans une eau
régale affoiblie : cet acide éclair-
cit le bain lur le champ , 6c lui
donne une couleur d’écarlatte. Il
n’y a plus qu’à paffer dans ce bain
l’étoffe ou la laine , 6c l’y laiffer
jufqu’à ce qu’elle ait acquis la
nuance que l’on defire. Si l’on ne
trouve pas que la couleur ait affés
de feu, on remettra encore un
peu de compofition ; 6c on fuivra ,
pour ce genre de teinture , à peu
près la même méthode que pour
l’écarlatte ordinaire. J’ai effayé
de la faire à deux bains comme
l’écarlatte : c’eft-à-dire , de boüil-
lir l’étoffe avec la compofition 6c
un peu d’Orfeille , & de la finir
enfuite avec une plus grande
quantité de l’un 6c de l’autre , 6c
j’ai réuffi également 3 mais l’ope-
Chapitre III.
ration eft plus longue de cette
maniéré , & j’ai lait quelquefois
une auflî belle couleur en un feul
bain. Ainfi le Teinturier aura le
choix de lune ou l’autre métho-
de.
Je ne puis fixer au jufte la dofe
des matières dans cette opération,
i°. parceque cela dépend de la
nuance que l’on veut donner à l’é-
toffe j en fécond lieu , parceque
c’eft un travail nouveau dans la
teinture , & que je n’ai pas eu occa-
fion de faire teindre de la forte
une affes grande quantité d’étof-
fes pour connoître ailés précifé-
ment la quantité d’Orfei’le & de
compofition que l'on doit em-
ployer : on fçait auiïi que le fuccès
dépend du plus ou moins d’acidité
de la compofition. Enfin , cette
maniéré de teindre avec l’Orfeil-
le eft fi facile , qu’auftî-tôt qu’on
en aura fait deux ou trois eftais,
Àa y
5 L’Art de la Teinture.
même en petit, on en fçaura plus
que je n’en pourrois enfeigner par
un très-long détail. Je dois feule-
ment avertir , que plus la couleur
tirée de cet ingrédient approche
de fécarlatte , plus elle eft folide.
J’en ai fait d’un fort grand nom-
bre de nuances différentes , tou-
tes tirées de la même Orfeille, &c
qui , par conféquent , ne diffé-
roient que par le plus ou le moins
de composition } &: j’ai toujours
éprouvé , que , plus f Orfeille s e-
loignoit de fa couleur naturelle ,
plus elle acquéroit de folidité j
enforte que lorfque je l’amenois à
la nuance connue fous le nom de
demi - ecarlatte , elle réfîftoit pref*
que autant à l’adion de l’air & du
déboüilli, que celle qui fe fait or-
dinairement avec la cochenille &
la garence.
Si on mettoit trop de compofi-
tion dans le bain , la laine devien-
Chapitre III. 5 6$
droit d’une 1 couleur orangée &
défagréable Mais la même chofe
arrive avec la cochenille: ainfi ce
n’eft point un inconvénient parti-
culier à ce genre de teinture :
d’ailleurs il eft très-facile à éviter \
&: comme on elt toujours à portée
d’ajouter de la compolïtion , il n’y
a qu’à aller par degré , de en met-
tre moins qu’il n’en faut au com-
mencement , plutôt que de rifquer
d’en trop mettre.
J’ai elfayé de fubftituer divers
acides à la compolîtion d’écarlat-
te ,unais aucun ne fait aulii-bien.
Le vinaigre n’a jamais pû donner
au bain allés de rougeur } & l’é-
toffe teinte dans ce bain n’a pris
qu’une couleur de lie de vin , qui
même n’étoit pas plus folide à
l’air que celle de l’Orfeille dans
fon état naturel. Les autres acides
ont rendu la couleur terne. Enfin ,
il paroît) que* comme dans i’o
5^4 L’Art de la Teinture.
pération de l’écarlatte par la co-
chenille , il faut unir au rouge de
rOrfeille une bafe métallique ex-
trêmement blanche : cette bafe
eft la chaux d’étain qui fe trouve
dans la compofition.
J’ai répété les mêmes opéra-
tions avec l’Orfeille d’Auvergne
ou de Terre j mais les couleurs qui
en font venues n’ont pas été à
beaucoup près fi belles , ni fi bon-
nes ; ainfitout ce que je viens de
dire ne doit s’entendre que de
l’Orfeille d’Herbe , & fur-tout de
celle qui étoit fabriquée à Paris y
par le Sieur Lafond.
CHAPITRE IV.
Du Bois d’Inde , ou de Campêche*
L E Bois de Campêche , connu
.fous le nom de Bois d’Inde ,
eft d’un très-grand ufage dans le
Chapitre IV. 5^5-
petit teint 3 &: il feroit fort à fou-
haiter qu’on ne s’en fervît pas dans
le bon teint, ce qui néanmoins n’ar-
rive que trop fouvent, parce que la
couleur, que ce bois fournit, perd
en très - peu de temps tout fon é-
clat, &: difparoît même en partie ,
étant expofée à l’air. Son peu de
valeur eft une des raifons qui le
font employer fi fouvent 3 mais la
plus forte eft que par le moyen des
différentes préparations , & des
différens fels , on tire de ce bois
une grande quantité de couleurs
&: de nuances , qu’on ne fait qu’a-
vec peine lorfqu’on ne veut fe
fervir que des ingrédiens de bon
teint. Cependant il eft poftible 3
&je l’ai déjà dit, de faire toutes
les couleurs fans ce fecours 3 ainfi
on a eu très- grande raifon de dé-
fendre dans le bon teint, lufage
d’une matière dont la teinture n’a
aucune folidité.
^66 L’Art de la Teinture.
On a vu , dans le Chapitre XX,
que le bois d’Inde étoit néceflai-
re pour adoucir & velouter les
noirs : c’eft ce velouté qui fait tout
le mérite des noirs de Sedan
ainfi je renvoyé à ce Chapitre
pour ce qui regarde l’emploi du
bois de Campêche dans les noirs,
n’ayant rien à y ajouter. J’ai eu
foin d’y avertir que cet achève-
ment des noirs étoit l’ouvrage des
Teinturiers du petit teint. Je vais
préfentement dire un mot des au-
tres couleurs dans lefquelles on
employé ce bois : & j’ajouterai ,
une fois pour toutes, que lorf-
qu’on fe fert dans la teinture de
quelque bois que ce foit , il faut
au moins , qu’il foit haché en
copeaux fort menus , de qu’on doit
l’enfermer da^s un fac de toile ,
afin qu’il ne s’attache point aux lai-
nes ou écoles, pareeque indépen-
dammen. de ce que les copeaux
Chapitre IV. 5 6f
pourroientles déchirer , le bois fe-
roit des taches dans les endroits
où il s’attacheroit : par confisquent
cette précaution eft abfolument
néceffaire.
On fe fert du bois d’Inde avec
la galle & la couperofe , pour tou-
tes les nuances de gris , qui tirent
fur l 'ardoifé , le lavande , le gris de
ramier, gris de plomb , &: autres fem-
blables. Pour cet effet , on char-
ge une Chaudière d’eau claire 5
on y met la quantité de noix de
galle que l’on juge à propos 3 fui-
vant celles des étoffes qu’on a à
teindre > & la nuance plus ou
moins foncée qu’on veut leur don-
ner: on ajoute dans ce bain un
fac de bois d’Inde , &: lorfque le
tout a fait un boüillon , on y paffe
l’étoffe après avoir rafraîchi le
bain , &: l’on y jette , peu à peu,
de la couperofe veite , difloute
à part dans de l’eau. Je ne puis
'5 6% L’àrt de la. Teinture.
fixer aucune dofe de ces ingré-
diens , d’autant plus même que
les Teinturiers du petit teint font
dans l’ufage de ne point pefer les
ingrédiens quils employent. Ils
fe règlent à la feule vûè } 6c com-
me leur travail ordinaire eft d’af-
fortir de petites étoffes , pour fer-
vir de doublures aux draps dont
on leur donne des échantillons ,
ils commencent par les tenir plus
claires qu’il ne faut, & les brunif-
fent en y ajoûtant de la coupe ro-
fe , jufqu’à ce qu’elles foient de la
nuance qu’ils défirent. S’ils s’ap-
perçoivent qu’il n’y a point afifés
de bois d’Inde , ils y en ajoûtent
apres coup : ce qu’ils font auflï
lorfqu’ils ont plufieurs étoffes à
paffer de fuite fur le même bain ,
6c qu’ils voyent que le bois qu’ils
ont mis a donne toute fa teintu-
re. On reconnoît aifément , par
ce qu’on vient de lire , que ce tra-
Chapitre IV. 5^9
vail n’a aucune difficulté , 8c qu’il
ne demande qu’une forte d’habi-
tude , pour juger à peu près de la
quantité d’ingrédiens qu’il faut
employer, 8c connoître fur l’étof-
fe encore moiiillée , fî elle aura ,
étant féche , la couleur qu’on veut
lui donner.
Il y a une pratique affés fûre
pour juger , dans toutes fortes de
couleurs, fi l’étoffe fera bien affor-
tie à l’échantillon lorfqu’elle fera
féche $ c’efl d’en tordre fortement
un petit coin 8c de fouffler deffus
brufquement 8c avec force : on
chaffe, par ce moyen, la plus gran-
de partie de l’humidité, qui avoit
été portée à la furface de l’étoffe
en la tordant. On voit alors pen-
dant un moment la couleur , à peu
près telle qu’elle doit être étant
féche ; mais il faut en juger fur
le champ , car l’inftant d’après
l’humidité des environs fe eom-
j7o L’Art de la Teinture.
mimique à cet endroit fec , de on
coureroit rifque de fe tromper.
On fait auffi , avec le bois din-
de , un affés beau violet en boiiil-
lant la laine à l’ordinaire avec
alun de tartre , de la paffant en-
fuite fur un bain de bois dinde ,
dans lequel on ajoute un peu d’a-
lun difTout. Mais on le fait beau-
coup plus beau, en guédant pre-
mièrement l’étoffe , I alunant en-
fuite , de la paffant fur un bain de
Brefîl mêlé avec un peu de bois
d’Inde ; ce violet , quoique de pe-
tit teint , eft beaucoup meilleur
que le premier, pareeque le pied
de bleu fubfîfte toujours , de fou-
tient un peu la couleur.
Le bois d’Inde donne encore
la couleur bleue ; mais elle eft fi
peu folide , de le bleu de bon teint
coûte fi peu , quand il n’efl pas
des plus foncés , qu’il n’arrive
j)refque jamais qu’on fe ferve du
Chapitre IV. J71 :
bleu tiré de ce bois. Si cependant
| on vouloir le faire , ne fut-ce que
1 par { impie curiofîté , il ne faut
t que préparer un bain avec le bois
I d’Inde , y mêler un peu de vitriol
de Chypre ou vitriol bleu , & y
palier la laine fans autre prépa-
ration.
O11 peut aufli , par le même
moyen, faire le verd en un feul
bain. Pour cela , on met dans la
Chaudière du bois d’Inde , de la
graine d’Avignon de du verd de
gris ; ce mélange donne au bain
une belle couleur verte. Il fuffit
alors d’y paffer la laine, juiqu’à
ce qu’elle foit à la hauteur que
l’on defîre. On voit que ce verd
fera de la nuance que l’on vou-
dra , en mettant la quantité qu’on
jugera à propos de bois d’Inde de
de graine d’Avignon. Cette cou-
leur verte ne vaut pas mieux que
la bleue , de elles devroienc être ,
57^ L'Art de la Teinture.
l’une &: l’autre , bannies de la tein-
ture ; ii j’en ai donné les Procédés ,
c’eft pour ne rien obmettre de ce
qui eft venu à ma connoiftance fur
ce qui concerne cet Art.
Verd de Je mets ici au nombre des verds de petit teint , ce-
Saxe. lni qu’on nomme Ver a de Saxe , qui , depuis quel-
ques années , eft eftimé en Allemagne , parcequ’il eft
plus beau 5c plus brillant qu’aucun verd qu’on ait
fait jufqu’à prêtent en grand 5c eu petit teint : mais il
jçe relifte à aucune épreuve , 5c en douze jours d’ex-
poiition aux rayons du foleil , il perd plus de la moi-
tié de fon intenlité.
La compolition , telle que je l’ai reçue d’Allema-
gne , fe fait ainli : On met , dans un matras de verre i
trois parties d’indigo choifi , trois parties de cobolt ,
trois parties d’orpiment , 5c douze parties d’huile de
vitriol rectifiée 5c blanche. Il te fait une fermenta-
tion violente , dont on évité de refpirer le fulfureux
volatile qui en fort. On fait digerer le mélange pen-
dant vingt quatre heures ; puis on verte ce qu’il y a
de liquide , par inclination , dans un vaifieau à part i
on a une liqueur 3 vide d’un bleu très-foncé.
On peut iiibftituer au cobolt , qui eft rare en Fran-
ce, l’antimoine qui y eft beaucoup moins cher. Enfin,
Al. Bai on , Dôfteur en Medecine , que j’avois prié de
faire diverfes expériences avec cette compolition , a
trouvé qu’on pouvoir fuppriiner l’orpiment , Je co-
bolt 5c l’antimoine , 6c qu’il liiififoit de verter l’huile
de vitriol fur l’indigo teul , (ans autre addition , pour
avoir une compolition de bieu toute aulli belle que
la précédente.
On fait boüiilir le drap dans le quart de fon poids
d’alun, auquel on ajoute fi l’on veut , une très-pe-
tite quantité de tartre. On le lailfe pendant trois
jcmrs huine&é de fo» boiiilion j puis on le lave , de
k drap eft préparé.
Chapitre IV. 573
L’ufagele plus ordinaire du bois
d’Inde dans le petit teint , eft pour
les couleurs de frimes , de frime au,
de fourfre & leurs nuances. Ce
bois , joint à la noix de galle ,
donne toutes ces couleurs avec
beaucoup de facilité , fur la laine
guédée : on les rabbat avec un
peu de couperofe verte qui les
brunit j & Ion parvient, par ce
moyen , & tout d’un coup , à des
nuances qui font beaucoup plus
Faites chauffer de l’eau , prête à bouillir , 5c y
verfez une petite quantité de la compohtion de
bleu , elle s’y étendra dans l’inftant , 5c teindra le
bain en bleu clair. Plongez-y le drap préparé 5c l’y
roulez fans faire boiiillir : lorlqu’il aura pris le bleu
célefte , retirez-le 5c le plongez dans une autre Chau-
dière , ou vous aurez fait un bain de jaune avec la
Terra-Merzta bien pulvérifée : ce bain doit être chaud,
mais non bouillant. Le drap y prendra la nuance de
verd telle que vous la fouhaiterez , en l’y tenant plus
ou moins long-temps. Pour accélérer , ôc pour épar-
gner un fécond feu , on peut mettre la Terra-Merit a
dans le premier bain de bleu après qu’il eft tiré , 5c
le fuccès fera le même.
Quoiqu’il ne foit pas queftion des Soyes dans ce
Traité, je ne puis me difpenlêr de dire que par le
procédé que je viens de décrire , on peut teindre les
Soyes en bleus 5c en verds très-beaux , 5c de toutes
fortes de nuances , avec la plus grande facilité i ôc
Stème > les verds , en un feul bain.
574 L’Art de la Teinture.
difficiles à faifîren bon teint, par-
ceque les degrés différens de bru-
îiiture font beaucoup moins aifés
à prendre , tels quon les veut , fur
une Cuve de bleu, qu’à l’aide du
fer de la couperofe. Mais ces cou-
leurs ont le défaut de paffer très-
promptement à l’air ; &: en peu de
jours , on voit une fort grande dif-
férence , entre les parties de l’é-
toffe qui ont été expofées à l’air,
& celles qui font demeurées cou-
vertes.
Ayant éprouvé , comme je fai
dit dans le Chapitre précédent ,
que la compofîtion a écarlatte ,
changeoit la couleur de l’Orfeille
&: la rendoit plus folide , j’ai vou-
lu voir fi elle ne feroit pas fur le
bois d’Inde quelque effet à peu
près fembl;
paru fingul
quantité de
mis dans le bain de ce bois ,
mais ce qui ma
ier, c’eft que quelque
compofîtion que j’aye
Chapitre Y. 575
fa couleur violette n’a point été
changée. Voulant cependant ré-
duire cette épreuve à quelque
chofe de praticable , je teignis un
morceau de drap avec le bois
d’Inde , & je mis dans le bain une
quantité de compolîtion , à peu
près égale à celle que j’aurois mi-
le pour une pareille dofe d’Orfeil-
le ; mon drap prit une ailes belle
couleur violette : j’expofai ce drap
à l’air pendant douze jours d’été \
je reconnus que la couleur n’é-
toit pas meilleure que fi je n’y avois
pas mis de compolîtion. A la vé-
rité , en ajoûtant une petite quan-
tité de cryftal de tartre dans un
autre bain , compofè comme le
précédent , j’ai eu une couleur
plus folide , mais confidérable?
ment différente.
06 L’Art de la Teinture,
ààààà^MiàkkààààHàààikàkÂààk
CHAPITRE Y.
Du Bois de Brefil.
O N comprend fous le nom
général de Bois de Brefil ,
celui de Fernambouc , de Sainte-
Marthe , du Japon, Sc quelques au-
tres , dont ce n’eft pas ici le lieu
de faire la diftinélion , puifqu ils
s’employent tous de la même ma-
niéré pour la teinture. Il eft vrai
qu’il y en a qui donnent plus de
couleur les uns que les autres, ou
qui la donnent plus belle , mais
cela vient fouvent des parties de
ce bois qui ont été expofées à l’air
les unes plus que les autres , ou
de ce qu’il y a des endroits qui
auront été éventés ou pourris. Il
faut choifir , pour la teinture , le
plus fain le plus haut en cou-
leur,
Tous
Chapitre Y. 597
Tous ces bois donnent une affés
belle couleur , foit qu’011 les em-
ployé feuls , foit qu’on les mêle
avec le bois d’Inde , ou avec d’au-
tres ingrédiens colorans. O11 vient
de voir que dans le violet faux ,
on mettoit un peu de Brefil avec
le bois d’Inde ; mais dans les gris
vineux , ou qui tirent tant foit peu
fur le rouge 5 on en met beaucoup
plus. Quelquefois on ne met qu’un
peu de noix de galle avec le Bre-
lîl, & on brunit avec la coupero-
se y fou vent même on y ajoute un
peu de bois d’Inde , d’Orfeille ou
de quelqu autre matière , fuivant
la nuance ; d’où l’on voit qu’il
n’eft pas poffible de donner au-
cune régie fixe fur ce genre de
travail , à caufe de la diverfîté
prefque infinie des nuances , qui
le tirent de ces différons mélanges.
La couleur naturelle du Brefil ,
& celle pour laquelle il eft le plus
Bb
5 98 L’Art de la Teinture.
fouvent employé •> eft la f œuf Je e'car-
latte qui ne laiflé pas que d’être
belle éc d’avoir de l’éclat , mais un
éclat fort inférieur à celui de l’é-
carlatte de cochenille ou dé gom-
mé lac que.
Pour tirer la couleur de ce bois,
il faut fe fervir d’eau de puits la
plus dure , de celle qui ne diffout
pas le favon. L’eau de riviere ne
faitpas , à beaucoup près , fi bien le
même effet. Après avoir fait boüil-
Jirfiir ce bois haché en copeaux , 1 a
première eau qu’on y a mife , pen-
dant trois heures , onia verfe dans
une tonne. O11 remet de nouvel-
le eau de puits fur ce Brefil , &
on l’y fait boiiillir encore trois
heures , puis on la verfe fur la pre-
mière. Il faut que cette teinture ,
qu’011 appelle fuc ou jus deBrefd foit
vieille & fermentée , &: quelle file
comme un vin gras , avant que de
:$’en fervir. Pour en tirer un rouge
Chapitre V. 599
qui foit vif: il faut auflî que letoiFe
foit garnie des fels du boüillon or-
dinaire , mais où l’alun domine ,
car le tartre feul altère beaucoup
la beauté de cette couleur, ainfi que
les eaux fûtes j en un mot, les
acides lui nuifent & diflolvent la
partie qui colore en rouge. Àinfi
il faut mettre dans le bain, de-
puis fix jufqu à huit onces d’alun
de Rome pour chaque livre de
laine ou d’étoffe , & feulement
deux onces de tartre , & même
moins. On y fait boüillir la laine
pendant trois heures j après quoi
on l’exprime légèrement, & on la
tient ainfi humectée dans un lieu
frais , au moins pendant huit jours,
afin que , par le féjour de ces fels ,
elle foit fuffifamment préparée à
recevoir la teinture. Pour la tein-
dre , on met dans une Chaudière
de capacité convenable , un ou
deux féaux de jus de Brefil bien
6 oo L’Art de la Teinture.
vieux , on y teint quelque étoffe
commune qui ait été aulïi boüillie
en alun &: tartre. Cette premiè-
re étoffe grofliere étant teinte ,
on remet dans le bain du jus de
Brefil nouveau , la moitié feule-
ment de ce qu’on en a mis la pre-
mière fois , & l’on fait bien boüil-
lir une fécondé étoffe commune ,
auffi préparée par les fels , dans ce
bain , dont il faut que ces deux
étoffes tirent près des trois quarts
de la couleur. Ce bain étant ainlî
affoibli de teinture , on y plonge
la piece d ’éroffe qui a refté huit
ou dix jours fur le boüillon , &: on
l’y roule bien fans trop faire boüil-
lir le bain , jufqu’à ce quelle foit
teinte bien uniment. Mais il faut
avoir rattention d’exprimer de
temps en temps un coin de cette
étoffe , comme je l’ai dit ci-de-
vant, pour juger de fa couleur *
car quand elle eft mouillée, elle
Chapitre V. 6oï
paroît au moins de trois nuances
plus foncée quelle ne le fera après
avoir été fechée : par cette métho-
de , qui à la vérité eft un peu lon-
gues a des rouges vifs fort beaux,
imitant parfaitement certaines
couleurs que les Anglois vendent
fous le nom d ecarlatte au campé-
che, qui, éprouvées par les déboiiil-
lis , ne font pas meilleures que cel-
le-ci , fi ce n’eft qu elles parodient
avoir été légèrement garencées.
Le rouge, dont je viens de don-
ner le procédé , qui n eft décrit en
aucun endroit, réfifte à l’air pen-
dant trois 6c quatre mois d’hyver
fans rien perdre de fa nuance >
au contraire , il y brunit & fem-
ble acquérir du fond} mais il ne
réfifte pas au déboüilli du tartre.
Quelques Teinturiers du bon
teint fe fervent du Brefil pour
monter les rouges de garence ,
foit pour épargner cette racine ,
B b iij
€oi L’àrt de la Teinture.
foit pour donner au rouge, qu’elle
Fournit, plus de vivacité qu’il n’en
a ordinairement. Cela fe fait en
partant fur un bain de Brefil une
étoffe commencée avec la garen-
ce ; mais cette forte de teinture
frauduleufe eft expreflement dé-
fendue par les régie mens , ainfi
que tout mélange du grand teint
avec le petit teint , parcequ’il ne
peut fervir qu’à tromper, & faire
pafler,pourun beau rouge de ga-
rence , une couleur qui perd en
peu de jours, à Faix, tout Ion éclat
Recette portion de nuance qui a été
tirée du Brefil dans un bain de ce
bois préparé à l’ordinaire. Car la
première couleur qu’on en tire
n’eft jamais de bon teint, vraifem-
blablement pareeque c’efl: une fè-
ve mal digérée, & dont les particu-
les colorantes n’ont pas été artes at-
ténuées pour être retenues, fuffi-
famment enchaffees , dans les po-
Chapitre V. 605
res de la laine qu’on y teint. Quand
ces premières parties grofîieres
de la couleur ont été enlevées par
des étoffes communes , ainfî qu’on
l’a vu ci-deffus , celles qui relient
en petite quantité , font plus fines
&: le mêlant aux parties jaunes
que fournit la partie purement li-
gneufe ,. ou confidérée comme tel-
le , le rouge qui en réfulte eft beau-
coup plus folide.
On peut, parles acides, quels
qu’ils foient, enlever ou faire dii-
paroître toute la couleur rouge de
ce bois ’ y alors l’étoffe qu’on y teint
prendmne couleur de ventre de
biche claire ou foncée , à propor-
tion du temps qu’on la tient dans
ce bain, & cette couleur eit de
très-bon teint.
On dit que les Teinturiers
d’Amboife ont une méthode pour
affurer la couleur du Brefil. Après
que leurs Pinchinats, rougis legé-
B b iiij
6c>4 U Art de la Teinture.
rement par la garence , ont été
paffés dans un bain de gaude , &
par conféquent boüillis deux fois
en alun & tartre , ils mettent fur
le jus de Brefïlune fuffifante quan-
tité d’arfenic & de cendres gra-
velées > Sc Ton ajoûte qu’alors cet-
te couleur réfifte aux épreuves.
J’ai effayé ce procédé , mais il ne
m’a pas réuffi.
Lorfqu’on ne cherche pas à ti -
rer un rouge bien brillant du bois
de Brefil , je fçais par expérience
qu’il eft poffible d’affurer la cou-
leur qu’on en tire , de telle forte *
que l’ayant expofé pendant tren-
te jours aux rayons du foie il de
cet été , elle n’a point changée.
Mais ces fortes de couleurs font
des caffés 6c des murons pourpres.
Pour les faire , je tiens pendant
quinze jours à la cave l’étoffe hu-
meétée de fon boüillon, compofé
comme pour les rouges dont j’ai
Chapitre V. £05
parlé ci - devant. Je charge la
Chaudière d’eau de puits jufque3
aux deux tiers : j’acheve de la
remplir de jus de Brefil , auquel
j’ajoûte de la galle d’ Alep en pou-
dre fort fine, environ une once
par livre d’étoffe , & de la gom-
me Arabique la moitié du poids
de la galle j je fais boüillir une
heure , une heure & demie ou
deux heures , félon que je veux la
nuance foncée. J’évente de temps
en temps , &lorfque l’étoffe a pris
la couleur que je fouhaite , je la
laide bien refroidir avant que de
la laver. Cette étoffe étant brof-
fee , le poil couché , & mile en
preffe à froid, en fort très-belle 5 ,
très-unie , & d’un caty parfait..
3W
B b y
606 L’Art de la Teinture,
CHAPITRE VI.
Du Fujîet.
L E bois de Fujlet donne une
^couleur orangée qui n’a au-
cune folidité. Il s’employe ordinai-
rement dans le petit teint, com-
me la racine de noyer ou le brou
de noix, fans faire bouillir l’étof-
fe , enforte qu’il n’y a aucune dif-
ficulté à l’employer. On le mêle
fouvent avec le brou &: la gaude
pour faire les couleurs de tabac ,
de canelle , ôc autres nuances fem-
blables. Mais on peut regarder
ce bois comme un très-mauvais
ingrédient, car fa couleur expo-
fée à l’air pendant très -peu de
temps, y perd tout fon éclat &
la plus grande partie de fa nuance
de jaune.
Si l’on palTe fur la Cuye de bleu
Chapitre VI. 60 y
une étoffe teinte avec le Fuftet ,
on a un olive allés défagréable , qui
ne rélifte point à l’air, 6c qui de-
vient très-vilain en peu de temps.
J’ai déjà dit qu’on fe fervoit en
Languedoc du Fufiet pour faire
les couleurs de Langoûfle qu’on en-
voyé dans le Levant : il épargne
conlidérablement la cochenille.
On mêle , pour cet effet, dans un
même bain , de la gaude , du Fuf-
tet 6c de la cochenille , avec un
peu de crème de tartre , 6c l’étof-
fe boüillie dans ce bain , en fort
de la couleur qu’on nomme Lan-
goujle ; 6c fui vaut la dofe de ces
diiférens ingrédiens , elle eft plus
ou moins rouge , ou plus ou moins
orangée. Quoique cet ufage , de
mêler enfemble des ingrédiens de
bon teint avec ceux du petit teint,
foit condamnable , il paraît ce-
pendant que dans ce cas , qui eft
très-rare , 6c pour cette couleur
B b vj
608 L’Art de la Teinture.
feulement , que les CommifliorsH
naires du Levant demandent de
temps en temps , on peut tolé-
rer le Fuftet ; parcequ’ayant tenté
de faire la même couleur avec
les feuls ingrédiens du bon teint,
je n’ai pas eu de couleur plus fo-
lide. Voyez ce que j’en ai dit an
Chapitre XXV. du Traité précé-
dent.
Le changement que l’air apr
porte à la couleur de Langoujle
faite avec le Fujiet , eft fort fen-
fible ; mais il n’eft pas fi défagréa-
hle que les changemens qui arri-
vent à plufieurs autres couleurs ,
car toute la nuance s’efface ôc s’af-
foibiit à la fois j enforte que c’eft
plutôt une diminution qu’un chan-
gement de couleur , au lieu que la
couleur de Langoufte , faite avec
le bois jaune , devient couleur de
cerife*
Chapitre VIL ~6of
CHAPITRE VIL
Du Roucou .
L E Roucou qw Rmcourt eft une
efpéce de pâte féche qui
nous vient de TAmérique. Cette
matière donne une couleur oran-
gée , à peu près comme le Fuftet,
&: la teinture n’en eft pas plus fo~
lide. Ce ne feroit pas néanmoins
par le déboiiilli de l’alun qu’il fau-
drait juger de la qualité du Rou-
cou : car il n’altére en rien fa cou-
leur ? & elle n’en devient que plus
vive & plus belle } mais l’air l’em-
porte l’efface en très-peu de
temps ^ le favon fait la même chofe^
&c’eften effet par cédé boüilli qu’il
en faut juger > ainfi qu’il eft pref-
erit dans rinftruftion fur ces fortes
d’épreuves. Cette matière eft fa-
cilement remplacée , dans le bon
^io L’Art de la Teinture.
teint , par la gaude &: par la ga-
rence mêlées enfemble : mais on
fe fert du Roucou dans le petit
teint, êc voici de quelle maniéré il
s’employe.
On fait fondre , dans une Chau-
dière , de la cendre gravelée avec
une fuffifante quantité d’eau 3 on
la fait bien boiiillir pendant une
heure , afin que la cendre foit e-
xadement dilToute j on y jette en-
fuite autant delivres de Roucou
pulvérifé , qu’il y a de livres de
cendres y on pallie fortement
le bain ; on le laide boüillir pen-
dant un quart- d’heure , & on y
paffe enfuite les laines ou étoffes
que Ton veut teindre , fans leur
donner d’autre apprêt que de les
avoir moiiillées dans l’eau tiède ,
afin que la couleur prenne éga-
lement. On les laide dans ce
bain , en les remuant toujours ,
jufqü’à ce quelles foient à la nuan-
Chapitre VH. 6 ït
ce qu'on defîre ; après quoi , on
les lave bien à la riviere, &: on
les fait fécher.
On mêle fouvent le Roucou
avec d’autres ingrédiens du petit
teint 3 mais je ne puis donner au-
cune inftru&ion fur ce mélange ,
pareequ’il dépend des nuances,
que Ion veut faire que d'ail-
leurs il n’a en foi aucune difficulté.
J'ai effayé de faire boiiillir l’é-
toffe en alun de tartre avant que
de la teindre en Roucou 3 mais
quoique la couleur y ait acquis un
peu plus de folidité , elle n'étoit
pas fuffifante pour être réputée de
bon teint. En général , le Roucou
eft un fort mauvais ingrédient
pour la teinture des laines , de mê-
me il n’eft pas d’un grand ufage 3
pareequ il ne laiffe pas que d’être
cher, de qu’il eft facilement rem-
placé par d’autres plus tenaces > de
à meilleur marché.
6n L’Art de la Teinture.
La laine teinte avec le Roucou,
mife enfuite en Cuve d’Inde ou
de paftel, prend une couleur dV
live rouffeâtre , qui en très-peu
de temps devient prefque toute
bleue à l’air, parceque la couleur
donnée par le Roucou difparoît.
. 4 * itr ïîs ttr Ær C- îXt Vtr ifcr U»*' ^
'iË? 'dâ- S& 9 Z&
CHAPITRE VIII.
De la Graine d'Avignon.
L À Graine d’Avignon eft de
j très -peu d’ufage en teintu-
re : elle fait un allés beau jaune ,
triais qui n’a aucune folidité j non
plus que le verd qu’elle donne en
paffant dans fon bain ime étoffe
qui a reçu un pied de bleu. Pour
l’employer, il faut que l’étoffe foit
boüillie en alun de tartre , comme
pour la gaude. On prépare en-
fuite un bain frais avec la Graine
d’Avignon* & on y paffe l’étoffe*.
Chapitre IX. éi$
qu’on y laifïe plus ou moins long-
temps , fuivant la nuance que l’on
defire. Il n’y a aucune difficulté
à employer cette Graine , ainfi je
ne m’étendrai pas davantage : me
contentant d’avertir qu’il n’en faut
faire ufage que quand on manque
abfolument de toutes les autres
matières pour teindre en jaune :
elles ne font ni rares > ni che^
res.
CHAPITRE IX.
De la Terra Mérita , ou Curcuma »
L A Terra Mérita eft une ra-
cine qu’on nous apporte des
Indes Orientales , où celle qui
vient de Patena eft la plus eftimée»
Les Teinturiers, dans l’Inde, la
nomment Haleli . Elle eft nommée
Concomme dans le Réglement de
M. Colbert. On la réduit en pou-
6t4 L’Art de la Teinture,
dre très -fine pour s’en fervir, &r
elle s’employe à peu près de mê-
me que la Graine d’Avignon , mais
en beaucoup moindre quantité ,
parcequ’elle fournit beaucoup plus
de teinture. Elle eft un peu moins
mauvaife que les autres ingrédiens
jaunes , dont il a été parlé dans les
Chapitres précédens. Mais com-
me elle eft chere c’eft une raifon
fuftifante pour ne l’employer pref-
que jamais dans le petit teint.
On s’en fert quelquefois dans
le bon teint pour dorer les jaunes
faits avec la gaude , Sc pour éclair-
cir &: oranger les écarlattes , mais
cette pratique eft condamnable y
car l’air emporte en très-peu de
temps, toute la partie de la cou-
leur qui vient de la Terra Mérita ;
enforte que les jaunes dorés re-
viennent dans leur premier état,,
& que les écarlattes bruniflent
confidérablement. Quand cela ar-r
Chapitre IX. 61 $
rive à ces fortes de couleurs , on
peut être alfuré quelles ont été
fallîfiées avec ce faux ingrédient,
qui n’a aucune foiidité,
Je ne parle point du SafFran
vrai , qui peut fervir aufïi à tein-
dre en jaune , mais dont je ne crois
pas qu’on fade aucun ulage \ pre-
mièrement , parcequ’il eft trop
cher ; 6c en fécond lieu , parceque
fon jaune vaut encore moins que
celui des deux matières précé-
dentes.
Voilà tout ce que j’ai à dire fur
les ingrédiens du petit teint :
ils ne doivent être employés dans
la teinture , que pour les étoffes
communes, ou de bas prix.. Ce
n’eftpas que je croye qu’il foitim-
poffible d’en tirer des couleurs fo-
lides j mais alors ces couleurs ne
feront plus précifément celles que
ces ingrédiens donnent naturelle-
ment , ou par les méthodes ordi-
6i é L’Art de la Teinture, &:c.
naires ÿ comme il faut y ajouter
l’adftriétion &: le gommeux qui
leur manque , ce n eft plus alors le
même arrangement des parties 7
&: par coniequent les rayons de la
lumière feront réfléchis différem-
ment.
Fin de L'Art de Teindre les Laines,
INSTRUCTION
Sur le Déboüilli des Laines ,
&: Etoffes de Laine.
Omme il a été reconnu que la
méthode prefcrite pour les dé-
boüillis des teintures , par l'ar-
ticle XXXVII. des reglemens pour les
Teinturiers en grand & bon teint , des
draps , ferges & autres étoffes de laine ,
du mois d'Août 1669* & par les arti-
cles CCXX. & fuivans de finftruélion
générale pour la teinture des laines de
toutes couleurs , & pour la culture des
drogues & ingrédiens qui y font em-
ployés , du 18. Mars 1671. neft pas
fuffifante pour juger exaétement de la
bonté ou de la faufïeté de plufieurs cou-
leurs que cette méthode pouvoit mê-
me quelquefois induire en erreur , 8c
donner lieu à des conteftations j il a été
fait , par ordre de Sa Majefté , différen-
tes expériences fur les laines deftinées
£18 Instruction
à lafabrique des Tapilferies , pour con-
noître le degré de bonté de chaque
couleur , & les déboüillis les plus con-
venables à chacune»
Pour y parvenir ,, il a été teint des
laines fines en toutes fortes de couleurs ,
tant en bon teint qu’en petit teint , &
elles ont été expofees à l’air & au foleil
pendant un temps convenable. Les bon-
nes couleurs le font parfaitement fou-
tenues ,, 8c les faufles fe font effacées plus
ou moins, à proportion du degre de
leur mauvaife qualité : 8c comme une
coulent ne doit être réputée bonne ,
qu’au tant qu’elle réfîfte à laétion de l’air
8c du foleil, c’eft cette épreuve qui a
fervi de réglé pour décider fur la bon-
té des différentes couleurs.
Il a été fait enfuite , fur les mêmes
laines dont les échantillons avoient été
expofés à l’air 8c au foleil , diverfes é-
preuves de déboüiîli } & il a d’abord
été reconnu que les mêmes ingrédiens
ne pouvoient pas être indifféremment
employés dans les déboüillis de toutes
les couleurs , parce qu’il arrivoit quel-
quefois qu’une couleur reconnue bon-
ne par l’expofition à l’air., étoit confi-
"SUR le Deboüilli , &rc. 619
dérablement altérée par le déboiiilli,
8c qu’une couleur faulfe réfiftoit au mê-
me déboiiilli*
Ces différentes expériences ont fait
fentir l’inutilité du citron , du vinaigre ,
des eaux-fûres & des eaux-fortes , par
l’impoflîbilité de s’affûrer du degré d’a-
tidité de ces liqueurs , & il a paru que
la méthode la plus fure , eft de fe 1er-
vir avec l’eau commune , d’ingrédiens
dont l’effet eft toujours égal.
E 11 luivant cet objet , il a été jugé
îîéceftaire de féparer en trois claffes,
toutes les couleurs dans lefquelles les
laines peuvent être teintes, tant en bon
qu’en petit teint , & de fixer les ingré-
diens qui doivent être employés dans
les déboüillis des couleurs comprifes
dans chacune de ces trois clalTes.
Les couleurs comprifes dans la pre-
mière clafte , doivent être déboiiillies
avec l’alun de Rome *, celles de la fé-
condé , avec le favon blanc*, & celles
'de la troifiéme 9 avec le tartre rouge.
Mais comme il ne füfEt pas , pour
s’affurer de la bonté d’une couleur par
l’épreuve du déboiiilli , d’y employer
des ingrédiens dont l’effet- Toit toujours
êTzo Instruction
égal -, qu'il faut encore , îîon feulement
que la durée de cette opération foit
exaétement déterminée , mais même
que la quantité de liqueur foit fixée ,
parceque le plus ou le moins d'eau di-
minue ou augmente confidérablement
l'aétivité des ingrédiens qui y entrent ,
la maniéré de procéder aux difiérens
débouillis , fera prefcrite par les articles
fuivans.
Article Premier.
Le déboiiilli avec l'alun de Rome,
fera fait en la maniéré luivante.
On mettra dans un vaie de terre , ou
terrine , une livre d'eau & une demi
once d'alun *, on mettra le vaifieau fur
le feu , & lorfque l'eau bouillira à gros
bouillons , on y mettra la laine dont
l'épteuve doit erre faite , & on l'y laifi
fera boüillir pendant cinq minutes j
après quoi on la retirera , & on la lave-
ra bien dans l'eau froide : le poids de
l'échantillon doit être d'un gros ou en-
viron.
ÏI.
Lorsqu'il y aura plufîeurs échantil-
lons de laine à dé boüillir eniemble , U
faudra
i
SUR LE ÜEBOÜILLI , &C. 6t t
faudra doubler la quantité d’eau & cel-
le d’alun, ou meme la tripler, ce qui
ne changera en rien la force & l’eflet
du dé bouilli , en obfervant la propor-
tion de l’eau & de l’alun *, en forte que
pour chaque livre d’eau , il y ait tou-
jours une demi once d’alun.
III.
Pour rendre plus certain l’effet du
déboiiilli , on obfervera de ne pas faire
dé bouillir enfemble des laines de diffé-
rentes couleurs.
IV.
Le dé bouilli avec le favon blanc , fe
fera en la maniéré fuivante.
On mettra dans une livre d’eau , deux
gros feulement de favon blanc haché en
petits morceaux j ayant mis enfuite le
vailfeau fur le feu , on aura foin de re-
muer l’eau avec un bâton , pour bien
faire fondre le favon*, lorlqu’il fera fon-
du , & que l’eau bouillira à gros bouil-
lons , on y mettra l’échantillon de lai-
ne , qu’on y fera pareillement bouillir
pendant cinq minutes, à compter du
moment que l’échantillon y aura été
mis , ce qui ne fe fera que lorfque l’eau
bouillira à gros bouillons.
Ce
€iz Instruction
v.
Lorsqu'il y aura plufieurs échan-
tillons de laine à déboiiillir enfemble ,
on obfervera la méthode prefcrite par
Karticle IL c'eft-à-dire , que, pour cha-
que livre d’eau, on mettra toujours deux
gros de favon.
VL
Le déboüilli avec le tartre rouge , Ce
fera précisément de même , avec les
mêmes dofes , & dans les mêmes pro-
portions que le déboüilli avec l'alun j
en obfervant de bien pulvérifer le tar-
fre avant que de le mettre dans l'eau ,
afin qu'il Soit entièrement fondu lor£
qu'on y mettra les échantillons de laine.
VIL
Les couleurs Suivantes feront dé-
bouillies avec l'alun de Rome *, fçavoir ,
le cramoifi de toutes nuances , l'écar-
latte de Venife , l'écarlatte couleur de
feu , le couleur de cerile & autres nuan-
ces de i'écarlatte , les violets & gris-de-
lîn de toutes nuances , les pourpres , les
langouftes , jujubes , fleur de grenade ,
les bleus , les gris ardoiSés , gris lavan-
des , gris violents , gris vineux , & tou*
tes les autres nuances Semblables.
SUR LE DeBOUILLI, &C. 6l J
VIII.
Si , contre les difpofitions des regle-
mens fur les teintures , il a été employé
dans la teinture des laines fines en cra-
moifî , des ingrédiens de faux teint , la
contravention fera aifement reconnue
par le déboiiilli avec l'alun 3 parcequil
ne fait que violanter un peu le cramoi-
fi fin , c'eft-à-dire 3 le faire tirer fur le
gris-de-lin , mais il détruit les plus hau-
tes nuances du cramoifi faux , & il les
rend d'une couleur de chair très-pâle ,
il blanchit même prefqu entièrement les
balles nuances du cramoifi faux *, ainfi
ce déboiiilli efi: un moyen alluré pour
diftinguer le cramoifi faux d'avec le fin.
IX.
L'Ecarlatte de kermès oude grai-
ne , communément appellée EcarUtte
de Vemfe , n'eft nullement endommagée
par ce déboiiilli \ il fait monter récar-
latte couleur de feu ou de cochenille *
à une couleur de pourpre , & fait vio-
lanter les balles nuances , enlorte qu'el-
les tirent fur le gris-de-lin \ mais il em-
porte prefque toute la faulïe écarlatte
du Brefil , & il la réduit à une couleur
de pelure d'oignon : il fait encore un
Ce ij
é> 24 Instruction
effet plus fçnfible fur les baffes nuances
de cette fauffe couleur.
Le même déboüilli emporte auffi
prefqu'entierement l'écarlatte de bour-
re , & toutes fes nuances.
X.
Quoique le violet ne Toit pas une
couleur (impie , mais qu'elle (oit for-
mée des nuances du bleu & du rouge ,
elle eft néanmoins fi importante , quel-
le mérite un examen particulier. Le
même déboiiilli avec Talun de Rome
ne fait prefqu'aucun effet (ur le violet
fin , au lieu quil endommage beaucoup
le faux : mais on obfervera que fon ef-
fet n'eft pas d’emporter toujours éga-“
lement une grande partie de la nuance
du violet faux j parcequ'on lui donne
quelquefois un pied de bleu de paffel
ou d'indigo *, ce pied étant de bon
teint 3 n'eft pas emporté par le déboüil-
li 3 mais la rougeur s'efface , & les nuan-
ces brunes deviennent prefque bleues ,
& les pâles 5 d'une couleur défagréable
de lie de vin.
XI.
A l'égard des violets demi fins 5 dé-
fendus par le préfent réglement > ils fe«?
SUR LE DEBOÜILLI , &C. 6 l 5
ront mis dans la clafle des violets faux ,
& 11e réfiftent pas plus au déboüilli.
XII.
On connoîtra de la même maniéré
les gris-de-lin fins d'avec les faux, mais
la différence eft légère •, le gris-de-lin
de bon teint perd feulement un peu
moins que le gris-de-lin de faux teint.
XIII.
Les pourpres fins réfiftent parfaite-
ment au déboüilli avec l'alun , au lieu
que les faux perdent la plus grande par»
rie de leur couleur.
XI Y.
Les couleurs de langoufte , jujube ,
fleur de grenade , tireront fur le pour-
pre après le déboüilli , fi elles ont été
faites avec la cochenille , au lieu qu'el-
les pâliront confidérablement , fi l’on y
a employé le fuftet , dont l'ufage eft dé-
fendu.
XV.
Les bleus de bon teint ne perdront
rien au déboüilli , foit qu'ils loient de
paftel ou d’indigo , mais ceux de faux
teint perdront la plus grande partie de
leur couleur.
6i6 Instruction
XVI.
Les gris ardoifés , gris lavandés , gris
violents , gris vineux , perdront prefque
toute leur couleur , s'ils font de faux
teint , au lieu qu'ils fe foûtiendront par-
faitement , s'ils font de bon teint.
XVII.
On déboüillira avec le favon blanc ,
les couleurs lui vantes \ fçavoir , les jau-
nes , jonquilles , citrons , orangés , 8c
toutes les nuances qui tirent fur le jau-
ne : toutes les nuances de verd , de-
puis le verd jaune ou verd nailfant >
jufqu'au verd de chou ou verd de per-
roquet , les rouges de garence , la ca-
nelle, la couleur de tabac, 8c autres
femblables.
XVIII.
Ce déboiiilli fait parfaitement con-
noître lî les jaunes , & les nuances qui
en dérivent , font de bon ou de faux
reint ; car il emporte la plus grande
partie de leur couleur , s'ils font faits
avec la "graine d'Avignon , le roucou ,
la terra-merita , le fuftet ou le fafran ,
dont l'ufage eft prohibé pour les tein-
tures fines *, mais il n'altere pas les jau-
nes faits avec la farette 3 la geneltroile ^
SUR LE DEBOÜILLI , &TC. 6lf
le bois jaune , la gaude & le fenugrec.
XIX.
Le même déboiiilli fera connoître
aulîî parfaitement la bonté des verds ,
car ceux de faux teint perdent prefque
toute leur couleur , ou deviennent
bleus , s’ils ont eu un pied de paftel ou
d’indigo *, mais ceux de bon teint ne
perdent prefque rien de leur nuance .
8c demeurent verds.
XX.
Les rouges de pure garence ne per-
dent rien au déboiiilli avec le favon 5
& n’en deviennent que plus beaux s
mais fi on y a mêlé du brefil , ils per»
dent de leur couleur > à proportion de
la quantité qui y a été mife.
XXL
Les couleurs de canelle , de tabac ,
& autres femblables , ne font prefque
pas altérées par ce déboiiilli , li elles
font de bon teint j mais elles perdent
beaucoup , fi on y a employé le rou-
cou , le fuftet ou la fonte de bottrre.
XXII.
Le déboiiilli fait avec Faltm ne feroit
d’aucune utilité , & pourroit même in-
duire en erreur fur plusieurs des cou-
iiS Instruction
leurs de cette fécondé clafle , car il
n'endommage pas le fuffcet , ni le rou-
cou , qui cependant ne rélîftent pas à
l’aéfcion de l'air , & il emporte une par-
tie de la farette & de la geneftrolle ,
qui font cependant de très-bons jaunes
8c de très-bons verds.
XXIII.
On déboiiillira avec le tartre rouge
tous les fauves ou couleurs de racine *,
on appelle ainfî toutes les couleurs qui
ne font pas dérivées des cinq couleurs
primitives-, ces couleurs Ce font avec
le brou de noix 5 la racine de noyer ,
f écorce d’aune , le fumach ou roudoul ,
le fantal 8c la lùye *, chacun de ce$ in-
grédiens donne un grand nombre de
nuances différentes , qui font toutes
comprifes fous le nom général de fau-
ve ou couleur de racine.
XXIV.
Les ingrédiens dénommés dans l’ar-
ticle précédent , font bons , à l’excep-
tion du fmtal 8c de la fuye , qui le font
un peu moins , 8c qui rudiffent la laine
Iorfqu’on en met une trop grande quan-
tité : ainli tout ce que le déboiülli doit
faire connoître fur ces fortes de cou-
SUR le Deboüiili , ârc. 619
leurs , c’efl fi elles ont été fiirchargées
de fantal ou de fuye , dans ce cas elles
perdent confidérablement par le dé-
Doüilli fait avec le tartre j & fi elles font
faites avec les autres ingrédiens , ou
qu’il n’y ait qu’une médiocre quantité
de fantal ou de fuye , elles réfiftent
beaucoup davantage.
XXV.
Le noir étant la feule couleur qui ne
puiiïe être comprife dans aucune des
trois claffes énoncées ci-defTus , parce-
qu’il eft néceffaire de fe fervir d’un dé-
boiiilli beaucoup plus aétif , pour con-
noître fi la laine a eu le pied de bleu tur-
quin, conformément aux réglemens ,
le déboiiilli en fera fait en la maniéré
fiiivante.
O 11 prendra une livre ou une cho-
pine d’eau , on y mettra une once d’a-
lun de Rome , 8c autant de tartre rou-
ge , pulvérifés > on fera boiiillir le tout ,
8c on y mettra l’échantillon de laine ,
qui doit boiiillir à gros bouillons pen-
dant un quart - d’heure *, on le lavera
enfuite dans l’eau fraîche , 8c il fera fa-
cile alors de voir fl elle a eu le pied
de bleu convenable , car dans ce cas la
if$o Instruction
laine demeurera bleue prefque noire }
Sc fi elle ne la pas eu , elle grifera
beaucoup.
XX VL
Comme il eft d’ufage de brunir quel-
quefois les couleurs avec la noix de ga-
le & la couperofe , & que cette opéra-
tion appellee Brnnlture , qui doit être
permife dans le bon teint , peut faire
lin effet particulier fur le déboiiilli de
ces couleurs \ on obfervera que quoi-
qu'après le déboiiilli , le bain pareille
chargé de teinture , parceque la bruni-
ture aura été emportée , la laine n'en
fera pas moins réputée de bon teint , fi
,elle a confervé fon fond *, fi au contrai-
re elle a perdu fon fond , ou fon pied
de couleur , elle fera déclarée de faux
teint.
XXVII.
Quoique la bruniture qui fe fait avec
la noix de gale 8c la couperofe , foit de
bon teint , comme elle rudit ordinaire-
ment la laine , il convient , autant que
faire fe pourra , de fe fervir par préfé-
rence de la Cuve dinde ou de celle de
paftel.
SUR LE DeBOÜILLI , &C. 6$l
XXVIII.
On ne doit foûmettre à aucune épreu-
ve de déboiiilli , les gris communs faits
avec la gale & la couperofe , parceque
ces couleurs font de bon teint , & ne le
font pas autrement mais il faut obier-
ver de les engaler d'abord , & de met-
tre la couperofe dans un fécond bain
beaucoup moins chaud que le premier ,
parceque de cette maniéré ils font plus
beaux & plus allures.
FIN,
■TV
T î
i ç : , ' . l.
'
. *
»' j
■MP'